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Vignoble de Nantes : après le gel, une éclaircie sur l'horizon
Enquête Nantes # Agriculture

Vignoble de Nantes : après le gel, une éclaircie sur l'horizon

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Après un épisode terrible de gel printanier en 2021, le vignoble nantais vit un moment particulièrement difficile. Il s’ajoute à trois autres gelées de printemps qui ont mis à genoux de nombreux domaines viticoles. Une descente aux enfers ? Pas forcément. Au pays du muscadet, de nombreux vignerons s’arment pour combattre le froid tandis qu’une nouvelle génération est en train de prendre ses marques.

Louise Chéreau, domaine Chéreau-Carré, dans les vignes du château de Chasseloir, une propriété datant du 15e siècle — Photo : David Pouilloux

La douleur est encore là. Plusieurs mois se sont écoulés, mais rien n’y fait. La morsure du froid les a blessés, profondément, les vignerons. Dans la nuit du dimanche au lundi 12 avril 2021, une gelée de printemps d’une férocité historique s’est abattue sur le vignoble nantais. Le thermomètre est descendu à – 5°C, - 6°C parfois, – 7°C par endroits. Le mois de mars avait été chaud, avec des journées à 25°C. Réveillée de son sommeil hivernal par cette chaleur soudaine, la vigne avait pris son départ, tambour battant, croyant les beaux jours devant elle. Les bourgeons du melon de Bourgogne, cépage du muscadet, étaient sortis, avec la vulnérabilité d’un poussin sans plume. Le gel les a brûlés. Pas de bourgeons ? Pas de fleurs, pas de grappes de raisin, pas de vin. En septembre, la récolte de l’année 2021 affiche des pertes de plus de 70 %, dans neuf domaines sur dix. Un désastre. Une douleur.

Marie et Pierre-Marie Luneau, du domaine Luneau-Papin, au Landreau — Photo : David Pouilloux

"Quand les filles sont arrivées au caveau le lundi matin, quand elles ont vu les vignes blanches de givre, les bougies allumées, la fumée noire, elles avaient les larmes aux yeux. Tout le monde avait mal au cœur, raconte Marie Chartier-Luneau, du domaine Luneau-Papin, au Landreau, à quelques kilomètres à l'est de Nantes. C’était dur à encaisser. Avec mon mari, on s’est dit : il ne nous manque que les sauterelles." Allusion aux sept plaies d’Égypte.

À une poignée de kilomètres de là, à Saint-Fiacre-sur-Maine, Louise Chéreau se souvient de la blancheur de ce matin terrible, de ce drap d’albâtre posé sur les vignes assoupies. "Je suis sortie de chez moi, je ne voulais pas y croire. Pendant plusieurs jours, j’ai été dans le déni. Je ne voulais pas admettre ce qui venait de se passer. On ne pouvait pas avoir tout perdu."

François Ménard, du domaine Ménard-Gaborit à Monnières, au centre du vignoble, est le président de l’association des jeunes vignerons nantais. Depuis sa création il y a un an, elle regroupe une quarantaine de membres. "Ce gel de printemps est historique, relate le jeune vigneron. En 2019, il avait aussi gelé, on était tous restés chacun chez soi. Cette fois, entre vignerons, nous avons échangé. On avait envie de se retrouver, on était contents pour ceux qui avaient moins gelé. Ça nous a permis de moins broyer du noir, de se sentir solidaire." C’est nouveau dans le vignoble où la solitude et le chacun chez soi a longtemps fait partie de la culture. Un univers où "la nature donne parfois des coups très rudes", dit Louise Chéreau.

"Quand on est vigneron, en trois heures, avec le gel, on peut perdre 80 % de sa récolte"

Le souci, c’est que l’année 2021 s’ajoute à trois autres années de gel printanier : 2016, 2017 et 2019. Autrement dit, en six ans, le vignoble nantais a enduré quatre années où la production de vin a été sévèrement réduite, mettant à genoux nombre de domaines viticoles. "Nous sommes des entreprises agricoles mais nous sommes les plus fragiles d’entre elles, résume Marie Chartier-Luneau, dont le domaine vend entre 180 000 et 200 000 bouteilles par an pour 1,2 million d’euros de chiffre d’affaires. Quand on est vigneron, en trois heures, avec le gel, on peut perdre 80 % de sa récolte. Ce n’est pas le cas quand on a des vaches ou du blé. Et surtout, ça n’arrive pas aussi souvent."

Après un épisode de gelée, les domaines viticoles conservent leur chiffre d’affaires avec la vente des stocks, stocks issus des "belles années" de récolte, comme 2018. Mais ce système de gestion de trésorerie fonctionne à condition que les années de gel ne se succèdent pas. Aujourd’hui, dans le muscadet, les stocks sont à sec, les trésoreries en danger.

Gwenaëlle Croix, du domaine de la Pépière, à Maisdon-sur-Sèvre, a perdu 75 % de sa récolte en 2021. L’accumulation récente des périodes de gel met à mal l’économie de son entreprise. "Un gel une fois tous les dix ans, comme en 1991 ou 2008, ça fait partie des aléas, dit-elle. Là, avec 2016, 2017, 2019 et 2021, on a l’impression de prendre dans la figure les effets du changement climatique. On est obligé d’agir en amont, sur du préventif. De gros investissements sont en cours dans le vignoble, même s’il est impossible de tout protéger."

Stratégie de protection pour assurer la production

Face aux épisodes de gels printaniers à répétition, le vignoble nantais est à un moment charnière de son histoire. La lutte contre le froid s’organise et s’impose comme un impératif absolu. L’enjeu, le plus crucial, c’est de pouvoir produire du vin, renouveler les stocks, rassurer les clients fidèles - particuliers, cavistes, restaurants, hôtels, grandes surfaces et agents à l’export. "On n’a pas le choix ! En deux ans, on a investi 300 000 euros dans une tour antigel et dans les bougies pour protéger 15 hectares sur les 35 du domaine, rapporte Pierre-Marie Luneau, du domaine Luneau-Papin. Cette année, on a développé une stratégie de proximité, en installant les bougies près des chais pour réagir le plus vite possible."

Il faut avoir les reins solides pour investir des sommes aussi importantes, sommes qui s’ajoutent aux frais d’assurance, entre 30 000 et 50 000 euros par an. "L’assurance permet de payer les charges, le personnel, mais elle ne remplit pas les cuves de vin", résume le vigneron.

Tour antigel, bougies, mais encore ? Le domaine de la Pépière occupe 42 hectares, en bio et biodynamie, au cœur du Sèvre-et-Maine. Quand tout va bien, environ 200 000 bouteilles sortent des chais de cette maison qui fait 100 % de vendanges manuelles et exporte dans une trentaine de pays. Comme partout ailleurs, le gel de printemps a frappé durement les parcelles. "On ne peut pas revivre ça, estime Gwenaëlle Croix, qui dirige le domaine avec son associé Rémy Branger. La solution vers laquelle nous nous dirigeons, c’est la vaporisation d’eau. Cette technique d’aspersion permet de protéger les bourgeons en les enveloppant de glace. Le bourgeon reste à zéro degré et survit au gel extérieur à - 5°C. Nous sommes mobilisés avec plusieurs vignerons pour obtenir une dérogation afin de pouvoir utiliser l’eau de la Maine, pendant les quelques jours critiques. Cela nous permettrait de protéger, pour nous tous, environ 20 hectares, soit les crus communaux."

"Tous les investissements prévus ont été réorientés vers la lutte contre le gel. C’est une question de survie."

Au domaine Ménard-Gaborit, François Ménard évoque carrément un changement de stratégie au niveau des investissements. "On voulait changer notre étiqueteuse, notre matériel de mise en bouteilles, de travail du sol, acheter une rogneuse. Aujourd’hui, il y a des choses plus urgentes : il faut produire, avoir du vin. C’est pourquoi nous avons complètement changé notre fusil d’épaule. Tous les investissements prévus ont été réorientés vers la lutte contre le gel : câbles chauffants, tour antigel, bougies. C’est une question de survie. On ne cherche pas à démarcher d’autres clients, mais à fidéliser ceux que l’on a. Mais quand on n’a pas de vin…"

Josselin Bouet, un jeune vigneron installé au Pallet, pense à la diversification avec l’élevage de cochons — Photo : David Pouilloux

Une autre piste est en train d’être défrichée. Josselin Bouet vient de reprendre les vignes d’Yves Maillard, le domaine de la Joconde : dix hectares en trois îlots près du village de Pé de Sèvre, au Pallet. "Ce sont des terroirs magnifiques mais le seul point négatif, c’est que les trois parcelles gèlent", dit le jeune vigneron aux allures de géant. Il défend aussi la vente en local, le circuit court, et le bio. Il dit : "Il faut faire avec la nature, même si c'est difficile. En avril, ici, on est descendu à -7°C. La grosse réflexion pour l’avenir : est-ce que l’on change d’encépagement ? Personnellement, je n’ai pas envie de changer de cépage. Je suis un enfant du pays, je suis ancré ici, je suis attaché au muscadet."

François Ménard va, lui, tenter l’expérience sur un demi-hectare. "Avec un cépage de l’Est, qui démarre plus tard. Les bourgeons sortent après les gelées et il y a une repousse de bourgeons si jamais le gel est trop fort." Il ajoute néanmoins : "Le muscadet restera notre pièce maîtresse. C'est un cépage magnifique." Josselin Bouet envisage, lui, la diversification. "Je vais élever des cochons, une race régionale, le porc blanc de l’Ouest. Je vendrais du pâté et du jambon au domaine." Une façon de tenir le coup les années de gel. Comme autrefois.

Chute drastique des surfaces et effondrement du nombre de domaines

La crise que traverse le vignoble nantais, avec ces gels printaniers rapprochés, n’est pas la seule. En réalité, deux autres mutations profondes sont en cours. La première concerne la réduction drastique des surfaces viticoles et la diminution vertigineuse du nombre d’exploitations. "Au début des années 90, le vignoble AOC muscadet occupait 13 000 hectares, rapporte François Robin, de la Fédération des vins de Nantes. Aujourd’hui, les surfaces AOC plantées en melon de Bourgogne représentent 6 800 hectares, soit une diminution de moitié en vingt ans, avec une forte accélération ces dix dernières années. Dans le même élan, nous sommes passés de 1 500 vignerons en 2000 à 450 aujourd’hui, soit une baisse de 75 % du nombre d’exploitations." Aucun vignoble au monde n’a subi une telle transformation en si peu de temps.

Que se passe-t-il ? Pour répondre à cette question, il convient d’abord de regarder encore plus en amont de l’histoire du vignoble. Nous n’irons pas jusqu’à interroger les archives qui montrent que des moines ont planté de la vigne voilà 1 000 ans du côté de Vertou, Saint-Philbert-de-Grand-Lieu ou entre la Sèvre et la Maine. Non, le plongeon dans l’histoire s’arrête au début des années 70, il y a 50 ans donc. "À l’époque, le vignoble en muscadet, c’était 9 500 hectares, rapporte François Robin. Au début des années 80, le muscadet est devenu à la mode. On a beaucoup planté de vignes. Et pas forcément sur les meilleurs terroirs. On a arraché des haies, des landes, des bois. Il fallait planter, produire à tout prix, répondre à la demande. La qualité n’était pas toujours au rendez-vous."

François Robin, de la Fédération des vins de Nantes, qui met en lumière les 450 vignerons nantais et protège l’appellation AOC Muscadet — Photo : David Pouilloux

C’est à ce moment précis que la réputation du muscadet a pris un virage néfaste : "vin de soif", "vin de comptoir", "petit vin blanc", "vin pour les huîtres". L’image des vins de Nantes se détériore. À la sortie des années 90, l’euphorie laisse la place à la descente aux enfers. Pendant vingt ans, on assiste à une diminution sans précédent des surfaces viticoles. François Robin résume l’ambiance de l’époque : "Le gel de 2008 a mis un coup de rabot sur les exploitations les plus fragiles. En 2009 et 2010, une grosse campagne d’arrachage encouragée par des primes a fait diminuer le vignoble de 2 000 hectares environ. Puis, la chute se poursuit. En dix ans, beaucoup de domaines ont mis la clé sous la porte."

Trop peu rentables économiquement, les domaines qui ne font pas de la qualité la pierre cardinale de leur production subissent, à ce moment-là, de plein fouet, la concurrence de nouveaux adversaires. "La qualité des vins de Loire a fortement augmenté durant cette même période, estime François Robin. Le sauvignon, plus fleuri, plus facile d’approche, est devenu le cépage à la mode." Touraine, Chablis, Quincy, Reuilly gagnent du terrain sur les tables et dans les bistrots. Les vins du nouveau monde, plus ronds, plus gras, plus généreux, du Chili, de l’Argentine, de l’Australie, de l’Afrique du Sud, arrivent sur le marché en même temps, et jouent des coudes à l’étranger, sur des marchés où le muscadet était apprécié : Grande-Bretagne, États-Unis, Belgique et Japon.

De 100 millions de bouteilles à 40 millions en 20 ans

Gwenaëlle Croix, du domaine de la Pépière, à Maisdon-sur-Sèvre, cultive 42 hectares en 100 % bio — Photo : David Pouilloux

Le résultat est sans appel : la production s’effondre. On passe de 100 millions de bouteilles à 40 millions en vingt ans. Le muscadet occupe aujourd’hui une surface inférieure à celle d'il y a cinquante ans. Car un autre phénomène s’est ajouté à la disparition des domaines les plus fragiles et les moins disant sur la qualité de leur vin : la pression foncière des villes. "Environ 2 000 hectares de vignes ont été urbanisés, dont 1 000 de beaux terroirs", relève François Robin. Il suffit d’aller dans le vignoble pour le constater. "Dans cette rue, une ou deux maisons étaient habitées, il y a dix ans", se souvient Gwenaëlle Croix, du Domaine de la Pépière. Maintenant, elles sont toutes retapées et des maisons neuves poussent sur des parcelles.

"Oui, on perd en surface chaque année mais on ne régresse pas. Sur le plan de la qualité, on progresse"

Cette réduction de taille du vignoble nantais est-elle pour autant une catastrophe ? Louise Chéreau, 32 ans, appartient à la jeune génération qui prend les manettes de l’une des plus grandes maisons du vignoble nantais, le domaine Chéreau-Carré : 130 hectares de vignes, six châteaux, et près d’un million de bouteilles vendues chaque année. Le chiffre d’affaires flirte avec les 4 millions d’euros. "Depuis dix ans, c’est vrai, notre vignoble connaît une crise, reconnaît Louise Chéreau, qui est aussi la porte-parole de la Fédération des vins de Nantes. Il faut reconnaître que l’on a planté à des endroits qui n’étaient pas forcément heureux, sur des sols qui ne le méritaient pas. On s’en aperçoit aujourd’hui avec les analyses géologiques. Le muscadet est en quelque sorte concentré aujourd'hui sur ses terres d’origine. Oui, on perd en surface, chaque année, mais on ne régresse pas. Sur le plan de la qualité, on progresse. On s’est remis en question depuis de nombreuses années. On recentre sur la qualité des terroirs et sur le patrimoine végétal qui en vaut vraiment la peine."

Une nouvelle génération au pouvoir et des vins de terroir

Le melon de Bourgogne, cépage du muscadet, donne un vin élégant, délicat, fruité, avec de la tension. Un cépage hélas sensible à la gelée de printemps qui a frappé le pays nantais quatre fois en six ans — Photo : David Pouilloux

Trois tendances de fond sont aujourd’hui à l’œuvre dans le vignoble et permettent de comprendre ce qui s’y passe, voire d’envisager l’avenir sous un jour moins sombre. La première tendance est là : à l’image de Louise Chéreau, une nouvelle génération de vignerons arrive aux manettes des domaines avec une vision des choses différentes, en particulier avec la volonté de produire des vins de terroirs de grande qualité, des crus communaux notamment et des cuvées parcellaires. "Nous devons valoriser nos vins" est la phrase que l’on entend à chaque rang de vigne, dans chaque chai. Valoriser ? Cela veut tout simplement dire vendre à un meilleur prix.

Trop longtemps, le muscadet s’est vendu à un prix qui ne permettait pas aux vignerons d’envisager l’avenir avec sérénité, d’avoir des marges suffisantes pour investir. La production partait aux négoces, en très grande partie, et à des prix certes avantageux pour le consommateur, mais désastreux pour les vignerons souvent "dans le rouge" sur le plan de la trésorerie. "Comment gagner sa vie en vendant 3 ou 4 euros la bouteille ?", sonne comme une ritournelle dans la bouche de nombreux vignerons.

"Quand on vend une bouteille 10, 15 ou 20 euros, on gagne correctement notre vie"

Une première réponse à la valorisation des vins s’est engagée voilà une décennie avec la démarche des crus communaux. À la manière des crus que l’on trouve en Bourgogne ou dans le Bordelais. Dans le pays nantais, on en compte sept (Clisson, Château-Thébaud, Monnières-Saint-Fiacre, Gorges, Le Pallet, Mouzillon-Tillières, Goulaine) et trois autres (La Haye Fouassière, Vallet et Champtoceaux) sont en cours de labellisation par l’INAO (Institut national des appellations d’origine). Le Domaine de la Pépière compte quatre crus communaux, par exemple, qui se vendent aux quatre coins du monde sur les plus belles tables. "Quand on vend une bouteille 10, 15 ou 20 euros, on gagne correctement notre vie, dit Gwenaëlle Croix. On doit être fier de nos vins. Beaucoup sont des vins de gastronomie."

Marie Chartier-Luneau va dans le même sens. "Le prix d’un vin doit être à la hauteur de l’engagement qu’il a demandé en termes de travail, de qualité, d’investissements réalisés, dit-elle. Faire du bio, ou de la biodynamie, ça demande plus de main-d’œuvre. Lorsque l’on a pris le domaine, en 2008, il y avait 7 personnes. Aujourd’hui, nous sommes 13, et pourtant nous sommes passés de 47 hectares à 35." Elle ajoute, agacée et passionnée : "Je ne comprends pas qu’aujourd’hui il y ait encore ces idées reçues que l’on répète sans réfléchir sur le muscadet, que ce n’est pas un bon vin. Le jour où les Nantais prendront conscience que l’on fait de grands vins, des vins parmi les meilleurs du monde, on aura fait un grand pas."

La progression fulgurante du bio

François Ménard, du domaine Ménard-Gaborit, une famille de vignerons depuis six générations. Il revient au domaine après un périple viticole à l’étranger — Photo : David Pouilloux

Un second mouvement, très vif, est en train de se renforcer sur le vignoble nantais : le bio. En France, en dix ans, le nombre d’exploitations viticoles en agriculture biologique a été multiplié par trois. C’est la même chose dans le vignoble nantais, où 15 % des domaines sont labellisés Agriculture Biologique, soit 60 exploitations, contre 5 % voilà une décennie. "Dans dix ans, ce sera 50 %, estime François Robin. Tous les jeunes qui s’installent le font en bio." Quitte à secouer les habitudes familiales où l’efficacité du désherbage chimique permettait de gagner du temps et de l’argent (pas de labour, moins de matériel, moins de personnel).

De nombreux jeunes, après quelques années à l’étranger, ont accepté de prendre la suite de leurs parents, mais en posant ainsi leurs conditions. Soit le domaine passait en bio, soit ils ne revenaient pas. "Le bio, ce n’est pas un pari. C’est une façon de voir l’avenir, estime François Ménard, dont la famille cultive la vigne depuis 1734. J’ai travaillé en Espagne, en Italie, en Hongrie et en Afrique du Sud. J’ai terminé ma formation en Bourgogne, au château de Pommard, un domaine prestigieux qui passait en conversion biologique. J’ai découvert la biodynamie et le label Déméter, en Afrique du Sud. Je ne me voyais pas revenir ici en revenant en arrière avec des herbicides et des pesticides. Finalement, mon père s’y est mis, avant même mon arrivée ! Des vignes étaient en souffrance, ne produisaient plus. Elles avaient souffert trop longtemps de l’usage des produits chimiques."

Julien Rossignol, néo-vigneron, vient d’acheter le domaine du Grand Mouton, à Saint-Fiacre-sur-Maine, passé en conversion biologique dès la première année d'acquisition — Photo : David Pouilloux

L'installation des néo-vignerons

C’est la même chose du côté des néo-vignerons, non-issus de familles déjà dans le secteur. Eux viennent d’ailleurs et achètent un domaine, après une vie professionnelle en-dehors du raisin. Julien Rossignol est de ceux-là. Il vient d’acquérir le domaine du Grand Mouton, l’un des plus beaux du Sèvre-et-Maine : 25 hectares d’un seul tenant et une réputation d’excellence. Le café se déguste d’ailleurs avec les anciens propriétaires, Marie-Luce Métaireau et Jean-François Guilbault, qui accompagnent le néo-vigneron en travaillant au domaine pour quelques années encore. Le nouveau venu dit : "J’ai travaillé chez Accenture et aux Galeries Lafayette. J’avais envie de passer à autre chose. J’aime le vin. Nous avons cherché un domaine durant deux ans, et nous voilà dans le muscadet. Le bio ? C’est une attente des consommateurs. Une évidence. Dès la première année, je suis passé en conversion bio." Le choix du vignoble nantais ? "Le coup de cœur pour le domaine, et le coût."

Le prix de l’hectare de vigne est abordable dans le pays nantais : entre 10 000 et 20 000 euros contre 20 à 40 000 euros en Anjou, 100 000 euros dans le Sancerre et 1 million d’euros en Champagne ou en Bourgogne. Il permet de nouvelles installations à des coûts raisonnables.

"On a besoin de ces personnes qui apportent leur expérience de chef d’entreprise, leur connaissance du marketing, leur vision, avec des stratégies d’entreprise affirmées"

Frédéric Niger, du domaine de l’Ecu, au Landreau, a été un des premiers à s'installer dans le pays nantais alors qu’il arrivait du monde de l'informatique. C'était en 2010. "Tout le monde a ri lorsqu’il a pris la suite de Guy Bossard, l'un des pères de la biodynamie dans notre vignoble avec Jo Landron, rapporte Marie Chartier-Luneau. Parce qu’il n’était pas du milieu. Aujourd’hui, il inspire les autres. On a besoin de ces personnes qui apportent leur expérience de chef d’entreprise, leur connaissance du marketing, leur vision, avec des stratégies d’entreprise affirmées."

Julien Rossignol se retrouve dans ce portrait du "venu d'ailleurs", aux idées innovantes, lui qui en quelques mois a fait de la vente en ligne un moyen de générer 15 % de son chiffre d’affaires alors que la chute des ventes à l’export en plein confinement donnait des sueurs froides à son expert-comptable. "Quand on vend une bouteille, son prix doit nous permettre de générer des marges. Une vigne doit être rentable. Chaque fois qu’on vend une bouteille, il y a une part de l’avenir du domaine dedans."

Dans l’avenir immédiat, une phrase de Marie Chartier-Luneau résonne à la manière d’une prophétie : "On a tous besoin de faire du vin. En 2022, ce serait bien que le ciel nous fiche un peu la paix." Une prière ne suffira pas. Dehors, une semi-remorque vient de déposer 20 tonnes de bougies, de 20 et 70 kg. Les vignerons nantais sont prêts à combattre.

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