Hauts-de-France
Un vent de réindustrialisation souffle sur les Hauts-de-France
Enquête Hauts-de-France # Industrie # Capital

Un vent de réindustrialisation souffle sur les Hauts-de-France

S'abonner

Malgré un climat économique encore lourd d’incertitudes, les industriels des Hauts-de-France n’hésitent pas à jouer la carte de la relocalisation. Il faut dire que la crise sanitaire a créé un terrain particulièrement propice à ce mouvement, en particulier dans la région, où la filière industrielle n’a jamais cessé de peser. Explications.

Lauréat du plan de relance, l’industriel textile Lener Cordier va investir 600 000 euros dans un projet de réindustrialisation sur son site historique d’Hazebrouck, dans le Nord — Photo : Lener Cordier

Après avoir mis une majeure partie de l’industrie française à l’arrêt, en mars 2020, la crise sanitaire du Covid-19 lui aura été indéniablement favorable. Épaulée par le plan de relance du gouvernement, une vague de réindustrialisation pourrait déferler sur l’Hexagone. Un phénomène qui a une résonance toute particulière dans les Hauts-de-France, une région dont l’industrie a un jour fait les heures de gloire et qui continue de peser plus qu’ailleurs, en moyenne, dans le tissu économique. Ce n’est pas un hasard si, fin 2020, lors de l’annonce des 31 premiers projets de relocalisation retenus par l’État, la région Hauts-de-France arrivait en deuxième position, juste derrière Auvergne-Rhône-Alpes, avec cinq projets lauréats. Depuis, trois autres sont venus grossir les rangs, sans oublier les 52 entreprises régionales bénéficiaires du fonds d’accélération des investissements industriels dans les territoires et la quarantaine concernées par le fonds de modernisation automobile et aéronautique.

La réindustrialisation n’est pas un phénomène nouveau : des projets étaient déjà à l’œuvre avant cette crise sanitaire, avec toutefois leurs lots de difficultés et des issues plus ou moins favorables. La mésaventure de Laurent Mainaud en atteste. En 2018, cet entrepreneur a tenté de rapatrier à Roubaix (Nord) une partie de la production du tisseur Vanoutryve, repris en 2013 à la barre du tribunal de commerce et installé en Belgique. "Tout le monde a trouvé cette idée formidable. Mais dans les faits, je n’ai eu aucun coup de pouce financier, malgré les 150 000 euros investis. Le projet n’a donc pas abouti, il est arrivé trop tôt", regrette-t-il. Mais la donne a changé et les acteurs économiques régionaux en sont convaincus : il y aura bel et bien un "monde d’après" pour l’industrie.

Un regard qui change sur l’industrie

L’un des premiers changements de taille, induits par cette crise, c’est le regard porté sur l’industrie. "Il y a encore vingt ans, on voulait garder la R & D en France et laisser partir la production en Asie. Tout le monde pensait que les usines, c’était l’affaire du XXe siècle, voire du XIXe…", regrette Pascal Cochez, à la tête du groupe industriel valenciennois Cochez (CA 2020 : 30 M€, 300 salariés).

Ce regard a changé et tout est parti d’une prise de conscience brutale : celle de notre dépendance aux importations. "Les consommateurs veulent plus de produits français, c’est un phénomène accéléré par la crise", constate Julie Fournier, responsable communication et marketing chez Fruits Rouges & Co (241 collaborateurs), qui produit et commercialise des fruits rouges frais, surgelés et produits transformés. L’entreprise, basée à Laon (Aisne), compte parmi les lauréats du plan de relance du gouvernement. La subvention publique va lui permettre de relocaliser une unité de première transformation de fruits (équeutage, découpe, etc.), face à "un outil saturé, qui ne permet pas de répondre à la demande française". L’opération induira, sous trois ans, 43 recrutements.

Malgré cette prise de conscience, rien n’aurait été possible sans une importante vague de financements. La pandémie a joué un rôle clé en déclenchant un plan de relance avec des aides publiques inimaginables un an plus tôt : "Il y a des fonds qui n’auraient jamais été débloqués sans cette crise", insiste Kathie Werquin-Wattebled, directrice régionale de la Banque de France. "On observe depuis six mois une vague d’investissements inédite dans la santé, confirme de son côté Étienne Vervaecke, directeur général du pôle d’excellence lillois Eurasanté. Les projets décidés ou en cours représentent 991 millions d’euros d’investissements dans les Hauts-de-France, ce qui devrait induire, selon nos estimations, 1 810 emplois. Il y a vraiment un processus nouveau à l’œuvre."

De nombreux projets sur les rails

Face aux nouvelles dispositions, les projets des industriels des Hauts-de-France vont bon train : une filière de protéines à base d’insectes est en train de voir le jour dans la Somme, avec l’implantation de deux grosses unités de production. Une autre se dessine autour de la protéine végétale, dans le Pas-de-Calais, avec l’arrivée d’une usine portée par la société Nxtfood (détenue par des fonds d’investissement des familles Mulliez et Roquette). Dans le même temps, la filière lin tente de faire son grand retour dans la région, avec un projet à cinq millions d’euros entrepris par l’industriel Safilin.

La filière santé bat de son côté des records d’investissements, s’imaginant déjà comme le prochain fer de lance de l’économie régionale : "Le total des investissements programmés ou décidés devrait bientôt dépasser le milliard d’euros", pointe Étienne Vervaecke. Sans oublier la filière automobile, étroitement liée aux Hauts-de-France, qui doit quant à elle relever le défi de la modernisation. Parmi les projets en cours : l’usine Renault de Douai vient d’investir 550 millions d’euros pour préparer sa transition vers une production dédiée à 100 %, à terme, aux véhicules électriques.

Le phénomène est tel que certaines entreprises industrielles, âgées de plus d’un demi-siècle, s’y mettent également, après avoir été contraintes de délocaliser leur outil de production il y a quelques décennies, face à la mondialisation. Une jolie revanche sur l’histoire. C’est le cas de Lener Cordier (CA : 19 M€, 335 salariés), un fabricant de manteaux et de prêt-à-porter basé à Hazebrouck (Nord). Figurant depuis mars parmi les lauréats du plan de relance, l’industriel va investir 600 000 euros dans un projet de réindustrialisation, financé à 50 % par l’État. Celui qui a réussi à maintenir une production sur son site historique, dédiée au prototypage, à l’échantillonnage et à la petite série, va pouvoir en accroître la capacité. "Nous allons installer de nouvelles machines pour relocaliser la production qui fait sens dans le cadre du made in France, avec l’aspect social et environnemental que ça comporte et tout le savoir-faire et l’agilité que l’on peut ainsi apporter aux clients", se réjouit Frédéric Lener, le dirigeant.

Savoir où placer le curseur

Mais la réindustrialisation a aussi ses limites. D’abord, parce qu’elle intervient toujours dans un contexte de crise : "Pour bénéficier du plan de relance, nous devons investir ces 600 000 euros en vingt-quatre mois, ce qui n’est pas sans poser problème dans une période compliquée", tempère Frédéric Lener.

Par ailleurs, il ne sera pas possible de rapatrier dans les Hauts-de-France l’ensemble des outils industriels envoyés aux quatre coins de la planète. Et ce, pour plusieurs raisons : un manque de main-d’œuvre disponible, le niveau des salaires en France ou tout simplement l’impossibilité de fermer brutalement des sites ouverts dans d’autres pays, après des investissements importants. Car il ne faudrait oublier trop vite que la désindustrialisation a eu, elle aussi, ses vertus. "Tout n’est pas tout blanc ou tout noir, commente Kathie Werquin-Wattebled. La croissance du PIB mondial a été dopée par celle des échanges. Le fait de produire ailleurs qu’en France a augmenté notre pouvoir d’achat et notre richesse. Nous avons pu acheter plus de biens, ce qui a permis à des pays comme l’Asie de s’enrichir, puis de nous acheter à leur tour des produits, dans l’aviation, le luxe, etc. Nous sommes allés trop loin, à une époque, sur la désindustrialisation, il ne faut pas faire la même erreur dans l’autre sens."

Enfin, il faut que la consommation suive et en particulier la commande publique, comme le souligne Étienne Vervaecke, d’Eurasanté. "Les investissements actuels ne seront pas durables sans la commande publique, notamment dans la santé. Il faut mettre en place une exception sanitaire, pour que les acheteurs publics ne basent pas leurs choix uniquement sur le prix, mais aussi sur la création d’emplois, l’empreinte carbone et la souveraineté sanitaire et économique. Sans ça, on peut avoir de réelles inquiétudes sur la durabilité de cette réindustrialisation."

Hauts-de-France # Industrie # Banque # Agroalimentaire # Automobile # Textile # Santé # Capital # Investissement