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En mission ministérielle, Olivier Lluansi défend une industrialisation de la France partout en donnant la main aux territoires
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En mission ministérielle, Olivier Lluansi défend une industrialisation de la France partout en donnant la main aux territoires

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Spécialiste du secteur industriel, Olivier Lluansi s’apprête à rendre au gouvernement son rapport sur la réindustrialisation de la France. À l’occasion d’une visite fin mars en Mayenne, l’ancien délégué interministériel aux Territoires d’industrie nous détaille les grandes lignes de son rapport.

Olivier Lluansi est spécialiste du secteur industriel et prépare un rapport interministériel sur l’industrialisation de la France à l’horizon 2035 — Photo : Aurore Baron © 2023

À la fin du mois d’avril, Olivier Lluansi remettra son rapport sur la réindustrialisation de la France au ministre de l’Économie Bruno Le Maire et au ministre délégué en charge de l’industrie Roland Lescure. Venu prendre le pouls de l’industrie en Mayenne le 28 mars pour nourrir son rapport, avec des visites chez Wilo, Cofidur EMS, Bel Évron et MPO International, l’ancien conseiller du Président de la République à l’industrie et aux énergies dévoile ses premières conclusions.

L’objectif du gouvernement trop ambitieux

Le gouvernement veut réindustrialiser la France, se fixant pour objectif de faire passer la part de l’industrie du PIB de 10 à 15 % d’ici à 2035. Une ligne d’horizon qui semble difficilement atteignable pour Olivier Lluansi : "Aujourd’hui, l’industrie pèse pour 10 % du PIB, ce qui place la France aux derniers rangs de l’Union européenne, devant la Grèce. L’objectif raisonnable serait d’atteindre entre 12 et 13 %", selon l’expert cité par la Banque des Territoires.

Pour atteindre cet objectif, l’initiateur des Territoires d’industrie plaide pour une décentralisation des politiques de réindustrialisation, qui devront être soutenues par des milliards d’euros d’argent public.

10 milliards d’euros d’argent public

"Je préconise le lancement d’un programme de financements similaires à ce qui a été fait avec France Relance à hauteur d’un milliard d’euros par an pendant dix ans", annonce Olivier Lluansi. Lancé à l’automne 2021, le plan France 2030 avait déjà fléché 54 milliards d’euros pour tenter de rattraper le retard industriel français. En plus, Olivier Lluansi compte donc injecter 10 milliards d’euros de fonds publics. Il s’agirait de "soutiens ciblés vers les secteurs où la concurrence, notamment avec les Chinois, est rude ; dans l’électronique par exemple".

Un tiers de cette somme serait financé par l’État, un tiers par les Régions, et un tiers par les fonds européens qui sont sous-utilisés en France.

Cet apport de fonds publics "pourrait générer environ 50 milliards d’euros d’investissements dans les outils productifs", expose Olivier Lluansi. De quoi créer de la valeur et des emplois afin de réduire au maximum le déficit de la balance commerciale manufacturière qui est actuellement de 60 milliards d’euros.

Ne pas se focaliser que sur les innovations de rupture

Olivier Lluansi ne verse pas dans une certaine vision idyllique de la French factory. "La France a cru un temps qu’elle sauverait son industrie par des industries de rupture, les innovations, etc. Bien sûr qu’il faut se focaliser sur les innovations de rupture parce que la France n’est plus un grand pays industriel. Mais se concentrer sur ces projets ne doit pas signifier ignorer le reste, insiste l’expert. Personnellement, je pense qu’il faut agir partout. On ne peut pas mettre uniquement de l’argent dans des start-up, l’hydrogène, des supercalculateurs quantiques, etc., alors que les trois quarts de notre potentiel sont dans des projets en place. Si on veut créer 50 000 emplois par an dans l’industrie d’ici 2035, il faut agir de manière agile dans les territoires."

Assouplir le "zéro artificialisation nette"

Pour réindustrialiser, Olivier Lluansi plaide aussi pour un environnement législatif et réglementaire favorable. Il prône ainsi "un assouplissement des ZAN", instauré par la loi Climat et Résilience de 2021. L’objectif du "zéro artificialisation nette" consiste à limiter toute extension de l’artificialisation des sols d’ici 2050. Olivier Lluansi ne précise pas pour le moment comment il souhaite assouplir les ZAN. Mais ce qui est certain, c’est qu’en règle générale, il plaide pour des marges de manœuvre élargies aux acteurs locaux pour leur permettre d’adapter la réglementation nationale aux réalités locales.

Olivier Lluansi, ici chez MPO avec la sous-préfète Norchen Chenoufi, est venu rencontrer des dirigeants d’entreprises et visiter quatre usines en Mayenne dans le cadre de son rapport sur la réindustrialisation de la France à l’horizon 2035 — Photo : Frédéric Gérard

Olivier Lluansi nuance par ailleurs l’impact de l’industrie face aux ambitions des ZAN : "Historiquement, l’industrie en France occupe 4 % de la surface nationale. L’artificialisation est jusqu’ici plutôt liée à l’étalement urbain et au développement des surfaces commerciales."

Réinvestir les friches

Pour concilier les objectifs écologiques et de réindustrialisation, la réutilisation des terrains actuellement en friches pourrait s’avérer une bonne option. "Nous avons les surfaces disponibles pour réindustrialiser les territoires : il faudrait entre 25 000 et 30 000 hectares, actuellement 120 000 hectares sont en friches. Évidemment, ces surfaces ne sont pas toujours aux bons endroits, et les coûts de dépollution peuvent parfois coûter cher", constate Olivier Lluansi. Ce qui suppose de muscler le soutien financier apporté par le fonds friches.

Des friches qui peuvent se situer aussi bien à la campagne qu’en ville. Car Olivier Lluansi est aussi favorable à la réindustrialisation en zone urbaine. "Sincèrement, je crois qu’il est possible de réindustrialiser les villes, avec des usines plus performantes, plus automatisées et avec les réglementations environnementales plus fortes". Par ailleurs, "la main-d’œuvre qualifiée sera plus facile à trouver et à faire venir en zone urbaine", résume l’ex-Monsieur Territoires d’industrie.

Faciliter les recrutements

Dans les usines qu’il a visitées en Mayenne fin mars, comme ailleurs en France, les industriels peinent à recruter. "Il y a 60 000 postes vacants dans l’industrie en France, rappelle Olivier Lluansi. Cela peut pénaliser certaines entreprises dans leur plan de développement pour pouvoir répondre à la demande". L’une des raisons réside dans "une inadéquation entre les attentes des jeunes générations et le monde de l’industrie. Les jeunes veulent un management mutuel et des tâches non répétitives, pas du Fordisme ou du Taylorisme. Ils cherchent un épanouissement, des valeurs", indique-t-il.

En matière de recrutement, l’État ne peut pas tout faire, prévient Olivier Lluansi. "Les entreprises, seules, non plus. Il faut un travail des communautés de communes, des Régions, des fédérations patronales". Olivier Lluansi propose que ces acteurs s’associent pour travailler sur l’image de l’industrie et faire en sorte que le secteur puisse davantage séduire les jeunes. Plus largement, poursuit Olivier Lluansi, "il faut refaire du lien entre l’éducation et l’industrie, entre l’industrie et la famille".

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