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Navya cherche une issue de secours pour ses navettes autonomes
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Navya cherche une issue de secours pour ses navettes autonomes

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Les navettes autonomes de Navya vont-elles pouvoir continuer leur course ? Sous la houlette de son administrateur judiciaire, la firme villeurbannaise veut séduire des investisseurs qui sauront a minima valoriser son savoir-faire technologique, voire industrialiser et vendre des produits adaptés aux besoins des exploitants.

Olivier Le Cornec, président du directoire de Navya — Photo : Navya

Mis en redressement judiciaire le 1er février 2023 après cessation de paiements, le fabricant lyonnais des navettes autonomes Navya (235 salariés ; 10,1 M€ de CA en 2022) est à la recherche de repreneurs. La procédure a été confiée à l'administrateur judiciaire SCP Hunsinger Solive, qui devrait communiquer l'identité des investisseurs potentiels le 7 mars prochain. Comment cette ex-pépite de la technologie française, qui a tout de même réussi à commercialiser plus de 200 navettes de niveau 4 (sur échelle maximale d’autonomie de 5) dans 24 pays en est-elle arrivée là ?

Financer l’industrialisation

"Une étape industrielle, ça se finance. Aujourd’hui, nous sommes à un carrefour qui précède la commercialisation, à plus grande échelle, d’une technologie et d’un marché validés. Nous avons passé tous les partenariats technologiques nécessaires à l’industrialisation, notamment avec Valéo, avec Bolloré et sommes en relation avec Lohr pour voir comment on pourrait travailler ensemble", juge Olivier Le Cornec, président de Navya. Reste à peaufiner la stratégie de commercialisation, axée sur du service, une étape qui inclut l’intégration de normes de sécurité et de services pour les exploitants. L’opérateur allemand de mobilités autonomes ZF le reconnaissait lui-même au CES 2023 de Las Vegas, en déclarant travailler sur des services (aide à l’exploitation, maintenance…) pour ses clients exploitants. La preuve que, sur ce nouveau marché, la technologie, même opérationnelle, ne suffit pas à garantir le succès commercial.

Créée en 2014 par Christophe Sapet, cofondateur des sociétés Infogrames et Infonie, en association avec le fonds d’investissement Robolution Capital, présidé par Bruno Bonnell, l’entreprise a brûlé beaucoup de cash - de l’ordre de 100 millions d’euros depuis 2018 - sans réussir à trouver son marché. "Les réussites de Tesla, Google et Apple ont fait circuler l’idée dans la communauté financière qu’il y avait un eldorado de la voiture électrique autonome", répond Vincent Giolito, professeur associé en stratégie organisation à l’EM Lyon. Or, tenter de prendre sa part, même sur une niche, dans un marché prometteur est risqué car il faut à la fois être visionnaire et capable de s’adapter à la réalité d’un monde qui n’est pas encore tout à fait la feuille vierge des villes du futur…

Transport de personnes ou de marchandises ?

Comme ses concurrentes françaises, Milla et Easymile, Navya se positionne d’emblée sur le marché du transport de personnes en milieu ouvert sur le dernier kilomètre. Mais les expérimentations se heurtent à la difficulté de partager la route avec des véhicules plus rapides ou, comme elle l’a testé, de circuler dans la fourmilière humaine de La Défense, une expérimentation qui, en 2017-2018 s’est soldée par un échec.

Soutien indéfectible de la firme villeurbannaise, Benjamin Beaudet, directeur général de Beti, opérateur de navettes Navya dans le cadre du projet drômois RIMA, reconnaît que la mise en exploitation opérationnelle n’est pas simple. "Les navettes autonomes de transport de personnes ne peuvent pas vraiment être autonomes dans un environnement ouvert partagé avec des véhicules particuliers roulant à plus grande vitesse", résume-t-il. Et la gestion des interactions entre passagers à l’intérieur du véhicule pose parfois des problèmes insolubles sans l’intervention d’un opérateur humain…

En parallèle, des essais s’avèrent plus concluants dans des environnements moins contraints comme les sites industriels, les centres commerciaux ou zones d’activité. Il y a 3 ans, sa concurrente francilienne Milla s’est réorientée sur des usages industriels, notamment via son projet de livraisons de marchandises pour Carrefour sur le plateau de Saclay (Essonne). Même analyse chez Lohr qui valide le potentiel des navettes autonomes pour remplacer les bus en soirée ou la nuit et pour des dessertes sur des sites industriels ou des universités.

Mais Navya qui s’est longtemps considéré comme un constructeur automobile, a voulu développer sa propre plateforme technologique et commercialiser ses véhicules de présérie. Ces petites séries - moins de 200 exemplaires - sont vouées à demeurer des prototypes, qui rencontrent de nombreux problèmes de fiabilité, écornant l’image de la jeune entreprise. "Peut-être eut-il été plus judicieux de se concentrer sur le logiciel, voire de s’associer avec d’autres acteurs du secteur pour mutualiser l’investissement", estime un expert du secteur. Sans compter que la société tâtonne dans ses choix technologiques : après avoir réalisé ses premiers développements sous Microsoft, elle passe ainsi sous Linux.

Pression délétère de la Bourse

De surcroît, Navya souffre des conséquences d’une introduction en Bourse trop précoce. Menée en 2018 par le fonds franco-italien 360 Capital, elle se fait "au forceps" permettant de lever 27 millions d’euros en Bourse, moitié moins qu’espéré. Trois ans plus tard, le fonds 360Capital vend en 3 mois ses 40 % de capital directement sur le marché, laissant la société sans actionnaire de référence. Des observateurs soupçonnent le fonds d’avoir voulu monétiser la société en bBourse faute de retrouver un repreneur.

"Il est compliqué de diriger une entreprise qui n’est pas mature technologiquement et ne dégage pas de revenus avec la pression de la Bourse", analyse Benjamin Beaudet (Beti). D’autant que ses actionnaires ne partagent pas les mêmes intérêts. D’un côté, des financiers, désireux dans un premier temps de valoriser leur mise (ou de s’en délester quand la situation se dégrade) et de l’autre, des partenaires industriels minoritaires comme Valeo (7 % du capital) et Keolis (environ 6 % du capital) dotés d’une vision plus long terme mais impuissants aux côtés d’un actionnariat dispersé de 75 % de petits porteurs. Ce contexte instable met la pression sur les dirigeants confrontés à des difficultés de financement qu’ils ne peuvent résoudre, handicapés par les mauvaises performances boursières. En moins de 4 ans, de 2018 à 2022, Navya voit se succéder 4 dirigeants : Christophe Sapet, Etienne Hermite, Pierre Lahutte, Sophie Désormière et depuis fin décembre 2022, Olivier Le Cornec, ancien directeur R & D.

L’avenir de Navya ? Selon des proches du dossier, elle pourrait se recentrer sur son fonds de commerce ("son code") en devenant fournisseur de technologies - logiciel et architecture de capteurs - pour les acteurs du transport de passagers ou de marchandises qui souhaitent rendre leurs véhicules autonomes.

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