Louis Gallois : "La réindustrialisation demande de la persévérance et de la cohérence"
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Louis Gallois coprésident de La Fabrique de l’Industrie "La réindustrialisation demande de la persévérance et de la cohérence"

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Ancien patron d’EADS, de PSA et de la SNCF, Louis Gallois estime que la réindustrialisation de la France est possible. Pour l’actuel coprésident du laboratoire d’idées La Fabrique de l’Industrie, elle passera par une mobilisation européenne, une montée en puissance de la recherche et l’implication de la jeunesse.

Pour Louis Gallois, « rattraper notre retard sur la recherche est absolument décisif » — Photo : DR

Le gouvernement veut faire passer la part de l’industrie dans le PIB de 10 à 15 %. Est-il possible de réindustrialiser la France ?

Si nous voulons rétablir les équilibres économiques du pays, redresser la balance commerciale, créer des emplois, réduire des fractures territoriales qui résultent de la désindustrialisation, il est indispensable de réindustrialiser. Et je crois que cela est possible. Il y a quelques éléments positifs actuellement. Il faut s’en saisir pour continuer. Le chemin va être long, la réindustrialisation demande de la persévérance et de la cohérence.

Quelles sont les raisons d’espérer ?

L’emploi industriel a recommencé à croître, certes de manière limitée. Mais il ne faut pas oublier que nous avons connu dans un passé récent une baisse extrêmement profonde de l’emploi industriel. Aujourd’hui, il y a plus de sites industriels qui se créent qu’il n’en disparaît et l’investissement industriel a repris. Je constate par ailleurs que de plus en plus d’entrepreneurs décident de revenir vers l’industrie. Pour réindustrialiser, il faut beaucoup plus que cela, mais il se passe quelque chose actuellement en France. Il y a des bourgeons, il faut espérer qu’ils vont donner de belles fleurs.

Il y a 10 ans, le rapport sur l’industrie que vous aviez remis au Premier ministre Jean-Marc Ayrault préconisait " un choc de compétitivité ". Que retenez-vous de cette dernière décennie ?

Il y a eu d’abord une prise de conscience que les questions de compétitivité étaient des questions qui concernaient tous les Français. Il était très important que notre pays soit capable d’être présent dans la compétition mondiale sur les biens industriels. Deuxièmement, il y a eu la mise en œuvre de ce qu’on appelle la politique de l’offre. La France était plutôt habituée à traiter les problèmes de conjoncture en poussant la demande de manière assez keynésienne. Nous sommes passés à une politique de l’offre durant le mandat de François Hollande et cette politique a été poursuivie et amplifiée par Emmanuel Macron. Elle s’est traduite par la baisse d’impôts de production, les lois Travail, le lancement de programmes comme France Relance puis France 2030, le projet de loi sur l’industrie verte, etc. On sent qu’il y a une priorité nouvelle qui est donnée à la réindustrialisation. C’est un élément déterminant, mais les efforts ne sont pas terminés.

Que faut-il faire aujourd’hui pour réindustrialiser ?

L’industrie de demain aura quatre caractéristiques. Elle va d’abord être technologique. Notre problème, c’est que l’effort de recherche en France est insuffisant. Il faut le porter le plus rapidement possible à 3 % du PIB. Nous n’en sommes qu’à 2,2 %. L’Allemagne est à 3,1 % et se fixe un objectif à 3,5 %. La Corée du Sud est à 4,5 %. Rattraper notre retard sur la recherche est absolument décisif. Deuxièmement, l’industrie va être numérique. Cela suppose que l’on aide le tissu industriel à aller clairement vers le numérique. Les PME sont parfois hésitantes sur ce sujet. Les patrons des PME craignent d’une certaine manière de perdre le contrôle de leur entreprise dans des technologies numériques qu’ils ne maîtrisent pas totalement. Troisièmement, l’industrie sera éco-responsable, c’est-à-dire que les processus industriels devront être décarbonés. Cela va nécessiter un effort financier considérable. Il va falloir que les États aident, comme le fait Joe Biden aux États-Unis, les entreprises à se décarboner parce que, seules, elles n’y arriveront pas. La dernière caractéristique de l’industrie de demain, c’est qu’elle va être électrique. Il faut que nous soyons capables de faire face à cette demande. Le programme nucléaire doit être lancé le plus rapidement possible et peut même être amplifié.

Parmi vos préoccupations, la capacité à donner envie aux jeunes à aller vers l’industrie…

En matière de compétences, j’ai deux préoccupations. La première, ce sont les mathématiques. Le niveau baisse en France, c’est très préoccupant parce que nous avons besoin des mathématiques pour avoir des chercheurs, des techniciens et des ingénieurs. Le deuxième point, ce sont les lycées professionnels. Si nous avons fait beaucoup de progrès sur l’apprentissage, je reste sur ma faim par rapport à la réforme qui est actuellement engagée sur le lycée professionnel. Je pense qu’il faut aller plus loin. Il y a 650 000 jeunes dans les lycées professionnels, c’est presque autant que dans l’enseignement général. Ces jeunes viennent souvent dans les lycées professionnels de manière subie. Il faut qu’ils retrouvent leur place qui est de préparer les jeunes à exercer des métiers qui, dans l’industrie, sont des métiers passionnants. Si nous sommes capables de convaincre les jeunes d’aller vers l’industrie, je pense qu’on aura gagné la partie.

Que pensez-vous du projet de loi sur l’industrie verte ?

Le problème, c’est qu’il manque un peu de moyens. Le gouvernement a fait un effort sur France 2030 et nous connaissons la situation financière de l’État. Nous ne sommes pas en mesure de concurrencer nos voisins allemands qui vont flécher beaucoup d’argent vers leur industrie. Et quand je vois les moyens financiers que les Américains déploient pour décarboner leur industrie, je me dis que le relais européen serait très utile. Cela vaudrait vraiment le coup que l’Europe utilise sa capacité d’endettement pour permettre aux pays européens d’assumer complètement la transition écologique et énergétique. Le rapport Pisani-Mahfouz estime que la France devra investir 66 milliards d’euros supplémentaires par an d’ici à 2030 pour atteindre la neutralité carbone. Ses auteurs proposent quelques voies de financement auxquelles je peux m’associer, mais je pense que le relais européen serait utile. À vrai dire, si l’Europe n’est pas capable d’agir dans ce domaine, vital pour tous les pays européens, je serais amèrement déçu.

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