L'économie du Grand Est transfigurée par la crise
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L'économie du Grand Est transfigurée par la crise

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À crise sanitaire soudaine, mesures radicales pour tenter d’endiguer la pandémie de Covid-19 venue frapper la France en entrant par la porte du Grand Est. Le confinement, décrété pour raisons médicales, a immédiatement eu des répercussions sur la vie économique de toute une région. Et avec elles de nouvelles réflexions émergent pour repenser l’économie de demain. Entre relocalisation, soutien aux filières et plan de relance, tour d’horizon de la situation dans le Grand Est.

— Photo : © Pôle Textile Alsace

Des rues désertées, des bureaux vides, des usines à l’arrêt : en quelques jours dès la mi-mars, toute la région Grand Est s’est figée, et avec elle, le tissu économique. Un mot revenait alors dans la bouche des dirigeants d’entreprise du territoire : la sidération. Face à la brutalité de cette crise inédite, même les statistiques sont restées muettes pendant quelques semaines. Le 7 mai, les services de l’Insee Grand Est notaient que l’économie régionale avait « brutalement ralenti » en réaction à la Covid-19 et au confinement. « La perte d’activité est estimée à 31,5 %. Cela signifie que la région produit actuellement près d’un tiers de richesse de moins qu’en temps normal », précisait l’Insee. Si le coup de frein régional semble un peu moins marqué qu’au niveau national (-32,8 % sur l’ensemble de la France), c’est un département alsacien qui encaisse la baisse d’activité la plus marquée, avec -34,7 % dans le Haut-Rhin : une situation due à l’importance de secteurs tels que la construction ou l’industrie automobile. À l’inverse, des départements (Meuse, Aube, Marne) où le secteur agroalimentaire est plus important ont limité les baisses d’activité.

« En dehors des données de l’Insee, il est trop tôt pour tirer un bilan chiffré de cette crise », pointe Lilla Merabet, vice-présidente de la Région Grand Est en charge de l’économie, du numérique et de l’innovation. Un point de vue partagé par Christine Bertrand, la présidente du Medef de Meurthe-et-Moselle. « Nous n’en sommes qu’au début. J’attends avec beaucoup d’angoisse le dernier trimestre 2020. » Des angoisses qui n’empêchent pas la réflexion : le modèle économique qui a assuré la croissance des entreprises du territoire n’est-il pas arrivé en bout de course ? La crise peut-elle être transformée en opportunité pour reconstruire ? Les grands concepts sont lâchés : relocalisation et économie verte.

Un renouveau industriel nécessaire

Josiane Chevalier, préfète du Grand Est, Jean Rottner, président de la Région Grand Est, Lilla Merabet, vice-président de la Région Grand Est — Photo : © Jean-Luc Stadler

Préparée pendant la crise, la feuille de route de la relance économique régionale, ou « le Business Act anti-Covid », doit être soumise au vote des conseillers régionaux le 10 juillet 2020 et est déclinée sous trois axes prenant en compte les enjeux climatique, industriel et numérique pour « poser les bases du renouveau économique », selon Lilla Merabet. Ce plan ne dispose pas encore d’enveloppe budgétaire précise. Néanmoins « sur un budget régional global de trois milliards d’euros, l’économie en représente 75 à 150 millions, ce qui n’est clairement pas à la hauteur des besoins engendrés par la crise », souligne la vice-présidente de la Région Grand Est. L’institution régionale espère alors pouvoir s’appuyer sur des partenaires bancaires et des fonds européens pour compléter l’enveloppe nécessaire.

« On ne peut vivre que de services et d’air du temps. » Cette phrase, Hervé Bauduin, le président de l’UIMM Lorraine, la martèle depuis longtemps. Sauf que cette fois, l’ancien président d’Usines Claas France (implanté à Woippy en Moselle) se sait entendu : « Avec la crise sanitaire, tout le monde s’est aperçu de notre nécessité. Pour avoir un certain niveau d’infrastructures et de vie, l’industrie est primordiale. » Pour amener un vrai renouveau industriel, l’UIMM Lorraine a publié une charte en 12 points. Elle pointe du doigt 12 freins : rentabilité insuffisante, coûts de production trop élevés ou encore administratif complexe.

Signée par de nombreux industriels dont Céline Gris (Gris Group), Thierry Jean (Preci 3D), Nathalie Vaxelaire (Trane 88), la charte vise, entre autres, à développer l’attractivité économique du Grand Est en dégageant des mesures sous trois mois via l’appui du SRDEII (schéma régional de développement économique d’innovation et d’internationalisation). Avec le concours des EPCI, des communes, de la Région et des départements, la charte propose aussi un travail d’identification des terrains accessibles à l’implantation d’entreprises industrielles. Dans le même temps, les industriels signataires s’engagent à maintenir, renforcer, voire initier des approvisionnements chez des fournisseurs de la région.

Des relocalisations souhaitables ?

Encourager les relocalisations ne signifie pas pour autant diriger l’économie : « Permettre à la production d’être réalisée au plus près de son marché relève du bon sens économique. Pour autant, nous ne sommes pas les décisionnaires finaux. Ce que la Région est en mesure d’apporter, c’est de procéder à un état des lieux des besoins et des forces en présence quant à la chaîne d’approvisionnement », précise Lilla Merabet. La Région a ainsi mandaté des consultants extérieurs pour réaliser un audit des besoins et des ressources en supply chain. Une dizaine d’entreprises est en cours d’audit dans le Grand Est et une cartographie est réalisée avec le concours de la Banque des territoires.

Du côté des organisations patronales, il s’agit de ne pas « louper la fenêtre d’opportunité » afin de créer les meilleures conditions possible pour entreprendre dans la région Grand Est. Pour Olivier Klotz, le président du Medef Alsace, « tout projet de relocalisation est positif, à condition qu’il assure la compétitivité des entreprises françaises avec des mesures en ce sens telles que la baisse des impôts de production, les simplifications des formalités administratives et du droit du travail ou encore la baisse de la fiscalité ».

Revaloriser des filières oubliées

Reste qu’on ne bouscule pas les chaînes de valeur de l’industrie en le décrétant. À l’image du travail de fond mené dans la filière textile au niveau du Grand Est, il faudra du temps. Depuis plusieurs années, le Pôle textile Alsace, association composée de plus de 80 entreprises membres en Alsace et dans les Vosges, milite pour sauvegarder l’industrie textile du territoire en créant des filières. Une première étape a été passée fin 2019 pour la filière du lin avec l’installation d’une filature capable de transformer cette fibre naturelle en fil dans l’usine Emanuel Lang de Pierre Schmitt à Huningue, dans le Haut-Rhin. Le pôle textile travaille également sur le retour de la production agricole de lin en Alsace, abandonnée il y a de nombreuses années. La crise du coronavirus n’a fait que renforcer cette position du Pôle textile. « La crise nous a montré l’importance d’avoir des filières complètes sur le territoire, affirme ainsi Benoît Basier, président du Pôle textile et dirigeant de la corderie Meyer-Sansboeuf à Guebwiller, dans le Haut-Rhin. Quand on a besoin d’acheter une matière première ailleurs, même si on a l’usine de transformation sur place, on est dépendants ». Le président du Pôle textile estime également que la crise a changé « la vision communément acceptée du fait que les filières ont une chaîne de valeur qui va de la matière première au produit fini. Aujourd’hui, il faut prendre en compte une dernière étape, le recyclage. On le voit avec les masques jetables que l’on retrouve déjà dans la mer ». Selon lui, « les collectivités et l’État doivent soutenir cette évolution, pas uniquement avec des subventions pour les machines de recyclage qui coûtent certes cher, mais en prenant en compte les bilans carbone, sociétaux et environnementaux des produits dans les appels d’offres. »

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