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Le plan d'Aledia pour devenir un géant mondial des écrans
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Le plan d'Aledia pour devenir un géant mondial des écrans

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Ikea et Valeo à ses débuts, Intel Capital et Bpifrance plus récemment, se sont penchées sur le berceau de cette entreprise de haute technologie spécialisée dans les écrans microLEDs. Elle déploie un savoir-faire unique pour produire des écrans flexibles, à la luminosité unique, pour des clients eux-mêmes leaders mondiaux. Portrait d'Aledia, qui a choisi l'écosystème grenoblois pour partir à la conquête du monde.

— Photo : Aledia

Assiste-t-on à la naissance d’un futur champion mondial dans le secteur ultra-convoité des écrans Led ? D’ici deux ans, Aledia détiendra à Champagnier, près de Grenoble (Isère), une usine de production de diodes électroluminescentes (Led) de 50 000 m², sur un terrain de 9 hectares, avec 500 millions d’euros d’équipement. D’ici 2025, elle pourrait accueillir 500 salariés. Et réaliser un chiffre d’affaires à l’échelle du milliard d'euros.

« Le marché des écrans, qui représente 120 milliards de dollars par an, va connaître un tournant majeur », revendique Giorgio Anania, PDG de cette start-up née en 2011 au CEA-Leti de Grenoble, un centre de recherche appliquée en microélectronique et nanotechnologies. L’aboutissement de longues années de recherches menées par Philippe Gilet et Xavier Hugon.

Un tour de table à 120 millions d’euros

Mi-octobre 2020, Giorgio Anania a reçu un renfort financier de poids : Intel Capital, l’une des plus puissantes sociétés de capital-risque au monde (12,9 milliards de dollars investis depuis 1991), deux des plus grandes sociétés de la tech mondiale (confidentielles), mais aussi le fonds SPI géré par Bpifrance, principal investisseur de ce tour de table, ont permis à la start-up de clôturer la première tranche de son financement, soit 80 millions d’euros sur un total attendu de 120 millions d’euros en série D. « Les investisseurs historiques ont renouvelé leur confiance », se félicite l'homme d'affaires, évoquant sans le confirmer que l’équipementier automobile français Valeo (20 milliards d'euros de chiffre d’affaires) et le géant suédois Ikea, qui avaient participé à un tour de table d'Aledia en 2015, ont remis au pot.

D'un point de vue capitalistique, le projet part de loin. « Au lancement de la start-up, nous avions levé deux fois 6 millions d’euros, là où une start-up californienne démarre avec 50 ou 80 millions pour faire la même chose, se remémore Giorgio Anania. Nos concurrents mettent 200 millions d'euros en machines quand nous mettons 5 millions ». Grâce à la levée de fonds, Aledia « s’achète de la vitesse », afin de rester dans le tempo de ses concurrents.

Les sorbonnes d'Aledia sur le site d'Echirolles, des hottes industrielles permettant d'extraire des vapeurs toxiques des produits utilisés lors de manipulations — Photo : DR

Une réponse à la demande d'écrans Led en forte croissante

Aledia parie que les technologies Oled et les cristaux liquides, qui dominent aujourd'hui le marché des écrans, seront vite dépassées par les microLEDs ou WireLed, une technologie proposant une meilleure définition des couleurs, y compris en plein soleil. Contraste, luminosité, réactivité de la réponse, résistance aux écarts de température… « Tout le monde considère que c’est la future technologie d’affichage, assure le dirigeant. Nous avons une façon de fabriquer les écrans qui vont les rendre moins chers ». Il compte ainsi s’adresser à une clientèle plus large.

« Une technologie unique au monde »

La stratégie d’Aledia repose sur la conquête de trois marchés : les écrans de taille intermédiaire (tablette, téléphone, montres, ordinateurs) dont ceux équipant les véhicules automobiles, les grands écrans (téléviseurs) et, d’ici quatre à cinq ans, le marché de la réalité augmentée « avec une technologie unique au monde ».

Ces trois segments exigent de puissants investissements en R & D – plus de 30 millions par an –, « pas si fréquents en Europe pour une start-up », souligne Giorgio Anania, qui continue la collaboration avec le CEA-Leti.

Une production à forte valeur ajoutée

Toute l’audace du projet Aledia tient en un mot : l’industrialisation. « Nous ne voulons pas nous contenter de délivrer des licences. D’ailleurs, si on dépense tout cet argent en R & D ce n’est pas pour avoir un droit de 2 ou 3 % de la valeur, c’est pour avoir davantage. Nous voulons garder l’industrialisation du process, nous faisons du hardware. Les fonderies avec lesquelles nous travaillons, basées en Israël notamment, ne sont pas des partenaires mais des sous-traitants », illustre le PDG.

" Des écrans complètement flexibles "

« En France, il est fréquent de s’arrêter au début de la chaîne de valeur. Notre ambition est d'aller jusqu’à ces display (écrans, NDLR) très grands. Une de nos technologies permet de faire des téléviseurs mais aussi des nouveaux formats, des écrans flexibles, de la transparence… qui vont les rendre moins chers, de meilleure qualité, et même mécaniquement complètement flexibles », plaide Giorgio Anania.

Aledia, qui part d’une feuille blanche, tente un sacré pari. La production des microLEDs à partir de nanofils est une technologie qui permet de détenir à peu près 25 à 35 % de la valeur ajoutée, à partir d’une usine dont le coût sera moindre par rapport à celles des concurrents. « Même si on dépense beaucoup en équipement, l’usine ne pèse qu’un quart de l’investissement en capital, détaille Giorgio Anania, précisant que si l’usine de Champagnier exige 40 millions d’euros d’investissement, c’est surtout l’équipement, pour 200 à 500 millions d’euros, qui fait grimper la facture.

Les réseaux de neutralisation des fluides en salle blanche d'Aledia — Photo : DR

Un calendrier très séquencé

Le PDG explique : « Nous avons trois plateformes technologiques : la première entre sur le marché en 2022, la seconde nécessite une année de plus de développement, et la troisième est révolutionnaire mais encore moins développée. Quand elle sera prête, nous n’aurons plus peur de personne. Nous travaillons en parallèle sur les trois générations ».

Ainsi, pour les petits écrans comme les lunettes de réalité augmentée, Aledia va vendre le produit complet aux Gafa (Google, Amazon, Facebook, Apple). Pour les écrans plus grands, il faut en revanche assembler les puces électroniques sur un substrat en verre, qui est un marché contrôlé par un petit nombre de producteurs de dalles. « Nous vendrons nos plaques de pixels aux grands producteurs d’écrans (tel que le coréen Samsung, qui a présenté au CES 2020 de Las Vegas un écran micro-LEDS vendu 1,2 million d’euros, NDLR) pour la fabrication de leurs écrans », cite Giorgio Anania.

Du côté du calendrier, les étapes s’enchaînent. En 2022, le développement des premiers produits sera achevé, pour un démarrage en volumes moyens, alors qu’en parallèle l’usine iséroise sera opérationnelle pour la production en grand volume qui débuterait en 2023.

Un écosystème bienveillant

Reste à comprendre comment un tel projet d’usine a pu se monter en France. Au début, ce n’était d’ailleurs pas envisagé à Grenoble. « On ne voulait pas construire à partir de zéro, sans salle blanche par exemple, estimant que ça allait mettre trop de temps et coûter trop cher, raconte le PDG d'Aledia. Le plan, c’était de viser une usine en Asie déjà existante ou une autre en France. Et soudain l’écosystème de Grenoble s’est mis en marche et Grenoble est revenu en tête ». Notamment grâce au soutien de la Région Auvergne Rhône-Alpes (une garantie d’emprunt de 6 millions d’euros), de la Métropole de Grenoble et du département de l’Isère (pour 6 millions d’euros garantis également).

" Un site à 10 minutes plutôt qu’à 12 heures d’avion "

« Construire un site à 10 minutes de notre siège plutôt qu’à 12 heures d’avion, ça change tout », se réjouit cet Italien naturalisé américain, qui emploie déjà 126 personnes à Échirolles, sur le site de R & D et de prototypage d'Aledia. Parmi les points négatifs cependant, la capacité à attirer des profils pointus. « Nous ne parvenons pas par exemple à convaincre les Allemands de venir, et même chose avec les Californiens, qui viennent mais repartent assez vite. On attire en revanche des Européens de la Silicon Valley qui souhaitent revenir vers leurs familles » détaille le PDG. Si plus d’un tiers des 120 salariés en 2020 était essentiellement composé de docteurs, les profils s’élargissent désormais à la supply chain et à la maintenance, pour se préparer à la phase industrielle.

Une prise de risque sous contrôle

À gains énormes, risques équivalents ? Le principal serait de mettre plus de temps que prévu pour se déployer et optimiser et qu’un concurrent devance Aledia. Ou que la performance n’augmente pas à la vitesse prévue. Mais l'homme d’affaires a l’habitude des gros paris : « Notre technologie est très différente des autres. Il y a des domaines où l'on est en avance ». Surtout, « on ne peut pas attendre qu'il n'y ait aucun risque pour pousser le bouton de l’industrialisation », assure-t-il.

Avec de telles sommes en jeu, Aledia assure sa propriété intellectuelle « avec 200 familles de brevets qui se déclinent en à peu près 1 000 brevets ». Crise du Covid ou pas, le projet avance. « Nous dépensons plus de 20 millions d’euros en équipements car nous avons l’argent et accélérons tout de suite. Ceux qui ne trouvent pas l’argent prendront du retard, les choses se jouent maintenant ».

Le site de R & D et de prototypage d'Aledia à Échirolles, près de Grenoble — Photo : DR

Des ambitions de recrutement élevées

Quelque 20 à 30 personnes seront recrutées dans les douze prochains mois, mais c’est à partir de 2022 que se feront les vagues d’embauche, notamment des opérateurs pour faire fonctionner cette usine modulaire et ses équipements d’une valeur de plus de 500 millions d’euros.

En 2022, les premiers chiffres d’affaires devraient être au rendez-vous à partir de quelques machines de production. Le grand volume arrivera en 2023, année où l’usine sera prête avec le projet de recruter 500 salariés sous cinq ans, et trois fois ce chiffre avec les fournisseurs et sous-traitants.

En vitesse de croisière, Aledia tournera avec trois à quatre clients, et un produit par client, pesant de 500 millions à 4 ou 5 milliards de dollars chacun. « Nous n’avons pas besoin de plus de clients », assure le dirigeant. D’autant que trois sont déjà actionnaires et ont réinvesti.

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