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Le mécénat fait rayonner la Bretagne solidaire
Bretagne # Agroalimentaire # Mécénat

Le mécénat fait rayonner la Bretagne solidaire

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Les entreprises bretonnes qui s’engagent dans le mécénat sont de plus en plus nombreuses. Près de 80 millions d’euros de dons ont été versés en 2020 à des associations qui œuvrent dans différents domaines. L'impact local est très recherché. Les acteurs économiques des quatre coins du territoire y trouvent du sens, et de quoi fédérer leurs équipes.

L'école camerounaise aidée par la fondation MV Group — Photo : MV Group

La Bretagne est la deuxième région de France qui compte la plus forte proportion d’entreprises mécènes, derrière les Pays de la Loire. Selon le baromètre Admical 2022, les entreprises bretonnes sont 6,5 % (soit 6 649 entreprises) à faire des actes de mécénat, contre 4,6 % en moyenne nationale. Entre 2010 et 2020, le nombre de PME bretonnes ayant déclaré des dons a été multiplié par 4,8. En montant, les sommes déclarées à l’administration fiscale en 2020 s’élèvent à 78,3 millions d’euros. C’est 4,2 fois plus qu’il y a dix ans. "Le mécénat consiste pour une entreprise à faire un don en numéraire, en nature ou en compétences (mise à disposition de salariés), à un organisme d’intérêt général, sans attendre en retour de contrepartie équivalente. C'est ce qui le différencie du sponsoring qui est une action de communication hors media, et non déductible fiscalement", explique "Le petit guide du mécénat 2022", une publication co-réalisée par le réseau d’entreprises breton Produit en Bretagne et Admical. Admical est l’association experte sur le mécénat d’entreprise en France. Elle livre un observatoire tous les deux ans sur la situation du mécénat d’entreprise dans les territoires. Sa prochaine enquête sortira en 2024.

"Réputation bretonne"

"Je pense que la Bretagne a beaucoup d’atouts que beaucoup d’autres régions n’ont pas, pointe Yann Queinnec, délégué général d’Admical. Il y a une identité, une culture, une réputation même. Il y a un potentiel, même à l’échelle européenne, de pouvoir faire rayonner la Bretagne à travers la mobilisation des entreprises bretonnes sur le mécénat, incontestablement."

Yann Queinnec, délégué général de l’association Admical — Photo : Clémence Parodi

Yann Queinnec, 52 ans, est Rennais. Ce juriste d’affaires et expert en RSE, formé à l’Université de Rennes, a l’ambition de décupler le budget consacré au mécénat d’entreprise dans l’Hexagone, en passant de 3,6 milliards d’euros de donations en 2021 à 36 milliards en 2030. Et il compte donc sur la Bretagne pour tirer la locomotive nationale. "Cap sur les territoires, les PME et les ETI. C’est là-bas que va se dessiner le mécénat de demain", avertit-il. Depuis la loi Aillagon en 2003 qui a posé le cadre juridique et fiscal du mécénat, une réforme votée en janvier 2020 dans le cadre de la loi Macron encourage les initiatives philanthropiques des PME. Contre 10 000 euros auparavant, elles peuvent désormais verser jusqu’à 20 000 euros à des associations, avec une réduction d’impôts jusqu’à 60 %. A contrario, les ETI et grandes entreprises y ont perdu au change. Leur réduction d’impôts est passée de 60 % à 40 % sur les dons et versements annuels supérieurs à 2 millions d’euros. Reste que l’abattement fiscal est une opportunité dont ne se saisissent pas tous les acteurs économiques. Un tiers des donateurs y renonce, ce qui fait dire à Yann Queinnec que "le mécénat d’entreprise n’est pas une niche fiscale (mais) un levier majeur d’engagement sociétal des entreprises".

La générosité à l’œuvre

Les façons de servir l’intérêt général sont nombreuses. Et il n’y a pas forcément besoin de sortir le carnet de chèques pour appuyer un projet associatif. "Prêter un local, fournir une partie de son parc informatique, mettre à disposition des véhicules, des espaces, c’est du mécénat en nature, et ça peut avoir un impact considérable", exprime le spécialiste. Dans un récent communiqué, l’Association Bretonne des Entreprises Agroalimentaires (ABEA) rend compte par exemple de l’engagement de ses adhérents sur le don alimentaire. Près de trois entreprises agroalimentaires bretonnes sur quatre sont donatrices. Depuis la crise du Covid, elles se sont fortement mobilisées, avec plus de 2,1 millions d’euros de produits alimentaires donnés en 2021.

La générosité des mécènes du fonds Oceanopolis Acts va permettre la construction d’un Espace enfant au sein de l’équipement brestois Oceanopolis — Photo : Oceanopolis

Le fonds de dotation Oceanopolis Acts, rattaché à l’équipement brestois Oceanopolis, dit lui recevoir une part non négligeable d’aide de ses adhérents sous forme de mécénat de compétences, un mode d’action en vogue. Des services en communication lui sont ainsi fournis gracieusement. Le fonds Océanopolis Acts créé en 2014 et présidé par l’explorateur Jean-Louis Etienne veut agir pour un monde plus propre et solidaire. "Nous organisons des actions comme des ramassages et du tri de déchets sur les plages. Les salariés, mais aussi les clients et fournisseurs des entreprises peuvent participer afin de sensibiliser un maximum de monde", indique Christelle Carfantan, responsable partenariats et mécénat. Le budget du fonds Oceanopolis Acts (qui compte 21 partenaires) tourne autour de 200 000 euros par an. Il est amené à croître avec l’aboutissement d’un gros projet : l’Espace enfant, qui ouvrira en 2024.

L’argent comme carburant

L’argent reste le nerf de la guerre lorsqu’un organisme à but non lucratif veut amplifier sa dynamique. C’est le cas de l’Orchestre national de Bretagne (43 musiciens permanents) qui finance ses projets en partie grâce au mécénat (28 entreprises mécènes). Le phénomène a pris de l’ampleur depuis l’arrivée il y a douze ans de l’actuel directeur Marc Feldman, d’origine américaine. Il a souhaité structurer un service entièrement dédié au mécénat, qui se pratique beaucoup plus outre-Atlantique. Depuis l’arrivée il y a quatre ans d’une chargée de mécénat, Cécile Baudouin, la part de dons a augmenté.

Cécile Baudouin, chargée de mécénat à l’Orchestre national de Bretagne — Photo : Virginie Monvoisin

"Nous avons enregistré une augmentation de 19 % entre 2021 et 2023", indique-t-elle. Les dons représentent aujourd’hui 6 % du budget annuel de l’orchestre, qui s’établit à 5,5 millions d’euros. "Notre objectif est d’atteindre les 8 à 9 %", complète Cécile Baudouin. La générosité des entreprises bretonnes permet "de prendre des risques", estime Marc Feldman. C’est-à-dire de créer des projets en propre sur la saison artistique. "Nous pouvons grâce à cela faire venir des artistes de renom comme les solistes Ibrahim Maalouf ou Gautier Capuçon, qui vont tourner avec l’orchestre dans la région", précise Cécile Baudouin.

Impact local d’abord

"Le cas de l’Orchestre national de Bretagne est une belle illustration de comment un établissement de proximité rayonne grâce au mécénat", observe Yann Queinnec. Que les entreprises flèchent la culture, l’environnement, le sport, la santé… - les causes à défendre sont nombreuses -, l’expert en mécénat d’entreprise constate une chose : l’importance pour les acteurs économiques d’appuyer des projets de leur territoire. 62 % des fonds et fondations créés depuis 2018 agissent à l’échelon départemental et régional contre 51 % des structures créées avant 2009, souligne une récente enquête de la Fondation de France. Le fonds de dotation de Groupe Vert, créé fin 2019 à l’initiative du groupe costarmoricain du même nom spécialisé dans le nettoyage des locaux professionnels (30 M€ de CA en 2023, 1 650 salariés), le prouve à travers ses actions. "Avec ce fonds, nous voulions donner encore plus de sens à nos actions environnementales, expose Pierre-Alexandre Pelage, directeur général de la holding.

En octobre 2021, le fonds de Groupe Vert a livré à la CCI Côtes-d'Armor un premier bateau dépollueur — Photo : Matthieu Leman

Le fonds Groupe Vert a ainsi procédé à une première levée de fonds de 150 000 euros, auprès d’une petite cinquantaine d’entreprises costarmoricaines, pour financer la construction d’un bateau dépollueur pour les ports. Il a été remis à la CCI Côtes-d’Armor en octobre 2021. Son parrain était Michel Rose, du Groupe Rose. Groupe Vert a participé à hauteur de 15 000 euros, plus un budget de 5 000 euros consacré aux événements de levée de fonds. Un prochain bateau, financé à hauteur de 135 000 euros par le fonds, sera lui livré à la CCI de Brest pour le début 2024, afin d’être mis à disposition des capitaineries du Finistère nord. 25 000 euros doivent encore être trouvés. Une somme que le dirigeant de Groupe Vert se dit "prêt à combler" pour la réussite du projet.

"Engagement sincère"

Quand les entreprises s’engagent, les patrons sont souvent aux avant-postes. Au sein de la fondation MV Group, Olivier Méril, le président fondateur de MV Group (450 salariés, 73 M€ de CA en 2022), société de marketing digital basée à Cesson-Sévigné (Ille-et-Vilaine), suit lui aussi de près les actions de l’entité philanthropique du groupe, mais c’est surtout une affaire collégiale : 21 salariés de l’entreprise sont en effet impliqués dans le comité de sélection qui flèche les projets associatifs à accompagner. "Cette fondation, c’est un engagement sincère sur plusieurs années, on embarque beaucoup de collaborateurs grâce à cela", exprime Olivier Méril. La fondation MV Group dispose d’un budget de 200 000 euros sur cinq ans. Elle a placé au centre de sa mission la lutte contre la fracture numérique en France et le développement de l’éducation dans le monde. Sur ce deuxième volet, une dizaine de collaborateurs volontaires de MV Group s’est envolée pour le Cameroun au printemps 2023, pour voir comment une école de la brousse avait pu être transformée grâce au coup de pouce de leur fondation. Cette expédition à vocation humanitaire a été très appréciée de tous. Voilà l’autre aspect du mécénat d’entreprise : en offrant autre chose que le travail du quotidien, il va donner du sens et une raison d’être aux collaborateurs qui s’y impliquent. Pour l’entreprise, outre l’utilité sociale évidente, le mécénat sert donc aussi sa marque employeur.

Le mécénat au service de la RSE

Pour monter sa fondation, MV Group a choisi une forme juridique différente que le très usité fonds de dotation, qualifié de "SAS de la philanthropie" par Yann Queinnec. Il a opté pour la fondation abritée, qui dépend d’une fondation abritante (La Fondation de France en l’occurrence). Un choix également fait par les bretilliens CGP Expert ou Groupe Bardon. Il correspond davantage aux besoins des PME-ETI. "La fondation abritée n’a pas de personnalité juridique propre, la responsabilité juridique et fiscale est prise par la fondation abritante. Cela est sécurisant et permet aux entreprises de se concentrer sur l’objet de leur fondation", rend compte Virginie Gautier, déléguée au développement régional à la Fondation de France Grand Ouest. Fondation abritée, fonds de dotation sinon fondation d’entreprise (à l’exemple de la Fondation Grand Ouest de la Banque Populaire Grand Ouest) : les véhicules juridiques philanthropiques sont nombreux (lire par ailleurs). Tous viennent appuyer une politique RSE déjà bien en place dans l’entreprise. C’est le cas du groupe de chimie morbihannais Socomore (400 salariés et 100 M€ de CA prévu sur l’exercice en cours), l’un des précurseurs de la RSE en Bretagne, dont le mécénat est inscrit dans le 6e engagement de la politique RSE de l’ETI.

Le morbihannais Socomore (ici son PDG, Frédéric Lescure) a inscrit le mécénat comme un engagement de sa politique RSE — Photo : Ségolène Mahias

Une commission dédiée au mécénat existe depuis 2020 sur les sites historiques de l’entreprise. Un budget de 200 000 euros est alloué à cela, avec une implication des collaborateurs dans le comité de décision. "Le mécénat est l’un des nombreux leviers de notre politique RSE. Soutenir des projets portés par nos salariés est un juste retour. Ils donnent aussi le meilleur dans leurs différents engagements", souligne Frédéric Lescure, PDG de Socomore. Les projets soutenus concernent le sport, la culture, la santé, l’humanitaire, l’éducation, le patrimoine, etc. Socomore est également mécène de la fondation Université Bretagne Sud (UBS) qui lève des fonds de mécénat auprès d’entreprises pour soutenir ses différents projets.

Performances extra-financières

Le mécénat d’entreprise monte en puissance. Virginie Gautier constate "une accélération des créations de fondations en 2022 dans le Grand Ouest, dont la moitié sont créées par les entreprises". La conjoncture économique atone a un peu freiné les ambitions en 2023. "Le mécénat d’entreprise, je vois ça comme quelque chose d’incontournable dans quelque temps. Les agences de notation commencent à noter les performances extra-financières des entreprises, sur l’environnemental ou le social. Prouver des actions de mécénat, de manière méthodique, ça va entrer en ligne de compte pour des choses qui relèvent davantage du carnet de commandes", prévient Yann Queinnec. Aux entreprises bretonnes donc d’amplifier le mouvement, pour la pérennité aussi de leurs business.

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