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Le marché immobilier lillois, nouvel eldorado des start-up de la "proptech"
Enquête Lille # BTP # Levée de fonds

Le marché immobilier lillois, nouvel eldorado des start-up de la "proptech"

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Depuis 2018, le marché immobilier lillois entame une ruée vers la "property tech" (ou proptech), ce mouvement de start-up qui réinventent les produits et services dans le secteur grâce au numérique. Ce phénomène accélère en 2021, avec la multiplication des acteurs, des levées de fonds ou encore des outils d’accompagnement. Le rattrapage du retard accumulé ou le début d’un bel essor ?

Le marché immobilier lillois séduit de plus en plus les acteurs de la proptech, avec des créations sur place ou l'implantation de start-up nées ailleurs en France — Photo : Elodie Soury-Lavergne/ Le JDE

Proptech, pour "Property Technology". Ce terme, qui n’existait pas il y a encore trois ans, est désormais installé dans le jargon économique, en particulier auprès des acteurs de l’immobilier. Les proptech, ce sont ces start-up qui veulent réinventer les usages traditionnels de l’immobilier en s’appuyant sur des produits et services innovants développés grâce au numérique. Depuis la conception et la construction, jusqu’à l’achat, la vente ou la location, en passant par la gestion : aucun pan des services immobiliers, résidentiel ou tertiaire, ne leur échappe.

Un secteur encore très cloisonné

Récentes, les proptech sont déjà légion dans certaines parties du globe, comme aux États-Unis. Le premier baromètre annuel de la proptech, publié en avril 2021 par l’école de commerce ESCP aux côtés de la principauté de Monaco, recense quelque 1 794 proptech dans le monde. Elles sont présentes dans près de 64 pays et, sans surprise, les États-Unis ont une longueur d’avance, avec 990 proptech. Si l’Union européenne occupe la deuxième place, la performance est bien moindre, avec 153 proptech.

Il faut dire qu’en Europe, comme en France, les proptech émergent depuis seulement trois ou quatre ans, contre une dizaine d’années pour les États-Unis. "L’immobilier français est un secteur très cloisonné, avec des métiers différents, de nombreuses contraintes juridiques, administratives ou techniques, qui ne facilitent pas l’innovation. Les entreprises immobilières ont surfé jusque-là sur une activité qui ne leur imposait pas de se réinventer. Ce n’est plus le cas", analyse Corentin Brabant, directeur du cluster régional Maille’Immo, dédié à l’innovation dans l’immobilier.

La proptech lilloise en ébullition

Lille suit donc la tendance nationale, avec une dynamique récente et des levées de fonds encore timides, plus timides en tout cas que dans des villes comme Paris, Lyon ou Nantes. Malgré un certain retard à l’allumage, le mouvement se met en marche. Depuis 2018, la métropole voit fleurir les nouveaux acteurs, qu’il s’agisse de créations sur ses terres ou d’implantations de jeunes sociétés nées ailleurs en France. L’année 2021 n’est pas en reste, avec plusieurs tours de table réalisés par la proptech lilloise, sans oublier le lancement en septembre de Prop3rty, le nouvel incubateur d’Euratechnologies, qui va proposer un accompagnement intensif sur douze mois.

Face à cette dynamique, une question se pose : en plus de rattraper le retard accumulé, la proptech peut-elle prendre son envol à Lille ? En tout cas, certains acteurs en sont déjà persuadés : "La dynamique immobilière à l’œuvre à Lyon et à Nantes a certainement été un terreau plus favorable à la proptech mais Lille peut rattraper son retard, voire frapper fort. Nous avons une culture entrepreneuriale et industrielle élevée, des entreprises historiques et familiales qui veulent se réinventer, des friches et des quartiers à repenser et des outils comme Euratechnologies ou le CD2E (qui accompagne les projets des entreprises et collectivités régionales, notamment autour du bâtiment, sous le prisme de la transition écologique, NDLR)", souligne le directeur de Maille’Immo.

Par ailleurs, les acteurs ne ménagent pas leurs ambitions sur un marché naissant, où tout reste possible. Ainsi, après une vague de créations dès 2018 et à la faveur de la crise sanitaire qui a accéléré la digitalisation de l’immobilier, les entreprises du secteur se structurent et lèvent des fonds en espérant percer sur un marché français qui ne compte pas encore de leaders indétrônables. Richard Winckels illustre bien ce phénomène. En janvier 2020, il a créé la proptech lilloise Brik, dont la plateforme permet d’acheter, de piloter et de développer son patrimoine immobilier. Il a finalisé en septembre une levée de fonds de 1,5 million "pour accélérer en France, avant de conquérir l’Europe". Avec 6 000 investisseurs dans l’Hexagone, Brik pilote près d’un milliard d'euros de patrimoine immobilier. La proptech, qui comptera 25 collaborateurs d’ici la fin de l’année, vise "un chiffre d’affaires de 16 millions d’euros en 2023, puis de 54 millions d’euros dès 2025".

Un terreau favorable

Pour concrétiser ces ambitions, Lille présente plusieurs atouts qui participent à faire grossir les rangs de son écosystème proptech. De quoi multiplier les chances de voir émerger un ou plusieurs champions. Parmi ces atouts, l’incubateur et accélérateur Euratechnologies. Julien Chenet, le cofondateur et dirigeant de Cautioneo (12 salariés), qui offre une solution en ligne de garantie et de caution entre locataire et propriétaire, en atteste : "Nous ne sommes pas originaires de Lille mais c’est là que nous avons choisi de créer notre entreprise. Nous n’envisagions pas de démarrer sans être accompagnés. Nous avons postulé auprès d’Euratechnologies, qui nous a suivis sur la phase de création puis d’accélération."

Les deux dirigeants portugais d’Houzing (3 salariés) ont, eux aussi, retenu Lille pour créer en 2018 leur agence immobilière digitale et 100 % intégrée dans une application. Une solution qu’ils veulent imposer en Europe. Anciens agents immobiliers "classiques", ces entrepreneurs n’avaient jamais conduit de projets professionnels à Lille jusque-là. "Lille a une position géographique idéale, à une heure de Paris, Londres ou Bruxelles. Ça facilite les déplacements, le rayonnement de l’entreprise en Europe mais aussi les recrutements. Le marché immobilier lillois est par ailleurs intéressant, avec un prix moyen des biens à 220 000 euros. Il y a beaucoup d’agences immobilières mais peu de services numériques, donc plus de chances pour nous. Et c’est un marché qui accepte bien les innovations et le numérique", résume João Pedro Pereira, codirigeant de Houzing.

Il arrive même que Lille séduise davantage les acteurs de la proptech que Paris. Si l’agence immobilière en ligne Zéfir (une trentaine de salariés), positionnée sur la vente instantanée de biens immobiliers, a installé son siège dans la capitale, c’est sur le marché lillois qu’elle a choisi de démarrer son activité en juillet 2020. Ses dirigeants, nordistes d’origine, ont été attirés par "un marché en croissance post-Covid, avec une plus grande recherche de biens en campagne ou de maisons avec un jardin". Guillaume Martin, cofondateur de Yuno (un salarié d’ici la fin de l’année), a lui aussi préféré Lille. Cette proptech accompagne les propriétaires bailleurs sur la performance de leurs investissements immobiliers et sur l’acquisition de biens. "Nous venons de transférer notre siège de Paris à Lille, notamment parce que les levées de fonds y sont plus faciles", indique le dirigeant qui vient de finaliser un tour de table de 200 000 euros, en amorçage, auprès de business angels, clients et influenceurs.

Le soutien des acteurs classiques de l’immobilier

Outre un terreau favorable et des investisseurs au rendez-vous, la proptech lilloise bénéficie aussi du soutien des grands acteurs classiques de l’immobilier. L’exemple le plus parlant est celui de Maille’Immo, une initiative sans équivalent en France. Fondée par le groupe de gestion de biens immobiliers nordiste Sergic en 2019, Maille’Immo est un cluster désormais soutenu par 21 entreprises partenaires (Vilogia, Dalkia, Rabot Dutilleul, Nacarat, Logista, etc.), qui mettent 90 salariés à sa disposition et un budget de fonctionnement de 350 000 euros en 2020. Quand Euratechnologies se positionne sur l’incubation de proptech, Maille’Immo intervient sur l’accélération. "Les groupes se nourrissent des innovations des jeunes entreprises et, en retour, ils leur offrent des lieux d’expérimentation de leur concept et souvent leur premier contrat. Notre accompagnement rassure aussi les investisseurs, explique Corentin Brabant. Nacarat a ainsi permis à la start-up Cozy Air de réaliser des tests de la qualité de l’air dans ses bureaux. Vilogia a proposé à Bioteos de tester son mur végétal connecté sur une de ses maisons vides, à Hem (Nord), etc."

Les entreprises immobilières classiques ont d’ailleurs intérêt à soutenir ces jeunes pousses, car elles n’ont pas toujours de temps ou de moyens à consacrer à l’innovation : "Les investissements sont lourds et pas forcément inscrits dans les lignes budgétaires", souligne Corentin Brabant. De plus, Maille’Immo leur permet d’anticiper les grandes évolutions de leur marché : "Nous organisons des réflexions collectives sur les sujets qui vont bousculer nos métiers de l’immobilier, comme l’intelligence artificielle ou la blockchain".

Les proptech lilloises peuvent aussi compter sur la French Proptech Nord de France. Cette déclinaison d'un mouvement né en juin 2018 à Nantes a émergé il y a quelques mois à Lille. "Nous voulons fédérer les start-up, en organisant par exemple des rencontres tous les deux ou trois mois, pour mieux les flécher ensuite auprès des grands groupes immobiliers ou pour répondre de manière collective à des appels d’offres", décrit Julien Chenet, de Cautioneo, un des trois ambassadeurs nordistes de la French Proptech. Ce soutien des grands acteurs et cette volonté de structuration de la filière pourraient bien faire la différence pour la proptech lilloise. Car si ces jeunes entreprises affichent souvent une forte croissance, elles restent fragiles, sur un marché loin d'être mature, en France comme à Lille.

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