Occitanie
Comment promoteurs et start-up transforment l'immobilier en Occitanie
Enquête Occitanie # Immobilier # Innovation

Comment promoteurs et start-up transforment l'immobilier en Occitanie

S'abonner

De l’appartement connecté à la gestion locative, en passant par la recherche de bien ou de financement, plus aucun segment du marché immobilier n’échappe à l’appétit des start-up. Réunies au sein de la French Proptech, mouvement né en Occitanie, elles s’imposent comme des partenaires désormais incontournables des promoteurs.

Odyssée Rive Gauche sera le futur "bâtiment totem" de la French Proptech à Montpellier — Photo : Neocity / Cogim

En 2015, Bouygues Immobilier est le premier promoteur à proposer des logements connectés à ses clients au niveau national. En 2020, le montpelliérain Roxim livre Eden Roch, un programme de 71 logements où un panel de services connectés est offert comme cadeau de bienvenu aux nouveaux habitants. Entre les deux dates, le marché de l’immobilier a connu un cycle de digitalisation foudroyante. "Les services connectés ont d’abord été un élément de différenciation, avant de devenir communs : tout acteur qui n’en proposerait pas aujourd’hui serait en dessous des standards du marché", témoigne Jérôme Barthès, cofondateur de la start-up montpelliéraine Lono (10 salariés), plateforme de digitalisation de l’habitat pour constructeurs et promoteurs.

Respectivement première et quatrième métropoles les plus attractives de France, et faisant donc face à d’énormes enjeux de logement, Montpellier et Nantes ont été les foyers de cette révolution : en 2018, les start-up locales de l’immobilier ont lancé de concert un groupement à vocation nationale baptisé French Proptech, afin d’offrir un point d’entrée unique aux aménageurs et aux promoteurs. Démarré avec 15 adhérents, le mouvement en agrège plus de 250 en France désormais. "Certaines start-up, créatrices de solutions balbutiantes il y a cinq ans, sont en phase d’industrialisation aujourd’hui. Au sein du mouvement, les levées de fonds cumulées représentaient 50 millions d’euros à l’époque, et approchaient les trois milliards d’euros l’an passé", confirme Michaël Lalande, vice-président national de la French Proptech et PDG de la PME montpelliéraine Idealys (20 salariés), éditrice de solutions smart city et smart building.

La digitalisation progressive de la chaîne de valeur

À son démarrage, la French Proptech a privilégié les partenariats avec les aménageurs, afin d’inciter les promoteurs avec qui ils travaillent à insérer dans leurs programmes les solutions conçues par les start-up. Première du genre en France, la Société d’équipement de la région montpelliéraine (SERM) a d’abord livré la Mantilla, un programme immobilier de 32 000 m2 intégrant de nombreux réseaux intelligents (énergies, eau, sécurité, accès, parking…). Elle développe aujourd’hui la ZAC Eurêka, un quartier connecté de 39 hectares, livrable en 5 tranches sur 15 ans. Parmi les innovations les plus usitées dans l’habitat connecté figurent le pilotage énergétique du logement, la gestion des espaces partagés (parking, espaces communs), la domotique ou encore la mobilité (vélos partagés, véhicules en autopartage, stationnements mutualisés).

"La maîtrise d’usage se développe en parallèle de la maîtrise d’œuvre"

Mais au fil des ans, les promoteurs eux-mêmes ont reçu des demandes de plus en plus pressantes des clients finaux. Réputés en retard sur ces sujets, parfois même dépourvus de service informatique, ils ont dû s’adapter à la diffusion des nouveaux usages. Philippe-Antoine Brouillard, vice-président de la Fédération des promoteurs immobiliers Occitanie Méditerranée (FPI OM, 51 membres), l’assure : "Les promoteurs qui donnent les clefs après livraison du logement n’existent plus. Nous devenons intégrateurs de services connectés. La maîtrise d’usage se développe en parallèle de la maîtrise d’œuvre. Pour que les futurs résidents s’approprient ces outils, les start-up doivent intervenir dès le démarrage de nos opérations". La FPI OM va même plus loin : elle a lancé, en mars 2021, "La Vitrine du Neuf", une plateforme d’achat de logements neufs, cocréée avec la start-up montpelliéraine Etiseo. Premier outil du genre conçu par une fédération de promoteurs, elle met en relation directe promoteurs et acquéreurs et propose de 1 000 à 1 500 lots, soit 70 % de l’offre régionale de logements neufs à l’année.

Le rapide changement des mentalités

Parmi les facteurs expliquant cette évolution figure l’arrivée sur le marché d’une nouvelle génération d’acquéreurs, qui a grandi avec internet et le numérique. "La société évolue de plus en plus vite en termes d’usages. On l’a vu avec le Covid-19, qui a généré une explosion du commerce en ligne. Les jeunes ménages accèdent à la consommation facilement et rapidement. Nous observons les mêmes besoins dans l’achat immobilier", commente Frédéric Bourelly, PDG de Mon Chasseur Immo (27 salariés). Connue jusqu’ici pour son réseau de 120 chasseurs immobiliers, cette PME montpelliéraine a lancé, en 2021, un bouquet de 200 services pour accompagner l’acheteur dans son parcours d’acquisition, en lien avec des acteurs du financement, de l’assurance, de la gestion locative, de l’ameublement, de la conciergerie, etc. "Il existait des portails de biens en ligne, mais ça ne suffit plus. La multiplication des agences ou des annonces crée de la confusion par rapport à ce qu’attend cette nouvelle génération. Le mobile devient l’épicentre de la consommation, pour acheter ou vendre un bien", poursuit Frédéric Bourelly. Cette approche semble payante, surtout en phase de crise sanitaire : Mon Chasseur Immo affiche une croissance annuelle de 40 % en 2020 et 2021.

"L’objectif n’est pas de remplacer l’agence immobilière traditionnelle mais de créer un nouveau marché"

À Labège, près de Toulouse, le site Altezza Services propose en ligne des services immobiliers à la carte. À sa tête, Camille Meneghin, fondatrice de l’agence immobilière Altezza. "L’objectif n’est pas de remplacer l’agence immobilière traditionnelle mais de créer un nouveau marché, explique-t-elle. Altezza Services regroupait 40 prestations lors de son lancement. Quatre mois plus tard, nous en proposons 57. L’idée est de ne pas s’arrêter aux missions classiques d’un agent immobilier." L’un des derniers services créés est un "coaching en couleurs", opéré par une agence de coloristes toulousains. Le plus populaire reste le home staging virtuel réalisé par des décorateurs d’intérieur. " Le site est en perpétuel mouvement comme un site d’e-commerce classique", précise la dirigeante. L’équipe d’Altezza Immobilier assure elle-même 40 % des prestations. Les autres sont confiées à des partenaires. "Nous développons à présent un réseau d’agents immobiliers indépendant partout en France capables de réaliser ces prestations. Nous recensons plus de 1 000 connexions par mois sur le site, et autant à Bordeaux et à Paris qu’à Toulouse", précise Camille Meneghin. D’ici la fin de l’année, Altezza Services deviendra une société distincte d’Altezza Immobilier, avec un effectif dédié de cinq personnes.

Véritable tableau de bord permettant de suivre la gestion financière de son patrimoine immobilier, l’application Omedom, créée à Albi (Tarn) par Coline Sinquin, rencontre aussi déjà un franc succès. La jeune fondatrice de la société du même nom a été récompensée par le premier prix de la Proptech au féminin en septembre dernier. "En un coup d’œil, on visionne le dernier débit, le dernier crédit et le prochain mouvement sur l’ensemble des biens, détaille-t-elle. Le taux de rentabilité s’affiche pour les investissements locatifs. L’appli permet aussi d’aider à la déclaration des revenus fonciers et permet l’envoi automatique des quittances aux locataires." Imaginée pour le marché des particuliers, la solution Omedom séduit maintenant les acteurs du B to B. "J’ai été approchée par des agences immobilières en demande de produits technologiques innovants qui leur permettent de générer du lead et de la confiance, révèle-t-elle. Je vais pouvoir dupliquer l’appli en marque blanche à des agences immobilières." Pour accélérer son développement, la dirigeante prépare une levée de fonds, entre 500 000 et 700 000 euros, pour juin. Elle prévoit de porter l’effectif d’Omedom à dix personnes d’ici le mois de décembre.

Le choc des cultures

Il n’empêche qu’entre promoteurs et start-up, les moyens d’agir diffèrent et les visions du marché ne concordent pas toujours. À Montpellier, le groupe M & A Promotion (33 salariés, CA 2020 : 500 M€) vient de créer un nouveau pôle, M & A Investissement, doté de 50 millions d’euros en 3 ou 4 ans pour investir dans les pépites de la Proptech. "Je vois de nombreuses start-up proposer des services dans la commercialisation, la recherche foncière ou la ville intelligente, mais sans avoir d’offre à 360 degrés. Mon idée est de créer un agrégat de ces différents services afin d’avoir un point d’entrée unique", analyse Laurent Romanelli, président du groupe. De son côté, Lono est une des rares start-up à avoir anticipé ce besoin. Sa plateforme multimarque recense un large panel de solutions que choisissent les promoteurs selon les vœux des acquéreurs. Cette approche a convaincu 60 bailleurs et promoteurs, dont trois majors (Icade, Urbat, Crédit Agricole Immobilier) avec qui Lono a signé un contrat-cadre. "La fragmentation des offres est encore un problème. Pour cette raison, les promoteurs nous choisissent pour l’assistance à la maîtrise d’ouvrage dans la production de logements intelligents. Nous les aidons à définir la stratégie et nous nous chargeons du reste, jusqu’à l’accompagnement des clients", répond Jérôme Barthès.

Autre motif de friction : la dimension financière de ces partenariats. Un promoteur reste un expert du montage financier, et son seul objectif est de tenir ses coûts. Quitte à rogner sur les marges laissées aux start-up ? Pour en sortir, plusieurs solutions existent : "Mettre des niveaux de garantie supérieurs", selon Michael Lalande, ou "adopter une stratégie d’équipement des logements toute en options", d’après Jérôme Barthès.

Un projet emblématique à Montpellier

Condamnés à s’entendre, professionnels et French Proptech préfèrent regarder vers l’avenir. La SERM vient de lancer "SERM Cité", un projet de plateforme numérique de quartiers mettant à disposition des futurs habitants un ensemble de services issus des données remontées par les capteurs : les opérateurs sont en cours de sélection. Pour sa part, la French Proptech disposera bientôt d’un "bâtiment totem" à Montpellier, conçu comme une vitrine de son savoir-faire, sous la forme d’un programme de 4 591 m² construit par Neocity Promotion et Cogim. "Odyssée Rive Gauche" intégrera un incubateur de start-up et des espaces de coworking. Dans le volet résidentiel, "une partie des appartements est destinée aux salariés des entreprises qui s’installeront dans le bâtiment. C’est une façon de faciliter le recrutement de talents. Nous voulons inciter les entreprises à venir s’installer ici pour faire de Montpellier la place forte de la Proptech", conclut Michael Lalande. Livraison prévue en 2023 ou 2024.

Occitanie # Immobilier # Innovation