Haute-Savoie
"La plupart des entreprises se pensaient plus ouvertes en matière d’innovation"
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Romain Gandia cotitulaire de la chaire IOPEN de la fondation de l’université de Savoie Mont Blanc : "La plupart des entreprises se pensaient plus ouvertes en matière d’innovation"

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Pendant quatre ans, les entreprises Alphi, Enedis, Pfeiffer Vacuum, Nicomatic, Salomon et Somfy ont planché sur leur processus d’innovation ouverte, au sein de la chaire IOPEN, portée par la fondation de l’université Savoie Mont Blanc. Un travail d’analyse qui n’a pas été sans surprise pour les sociétés, comme l’explique Romain Gandia, cotitulaire de la chaire.

Romain Gandia, maître de conférences en management de l'innovation, cotitulaire de la chaire IOPEN de la fondation de l'université Savoie Mont Blanc — Photo : DR

Vous venez de clôturer une chaire de recherche de la fondation de l’université Savoie Mont Blanc dédiée à l’innovation ouverte. Quel était l’objectif de ce travail, mené en collaboration avec six industriels (Alphi, Enedis, Pfeiffer Vacuum, Nicomatic, Salomon et Somfy) pendant quatre ans ?

Dans le monde de l’entreprise, tout le monde parle d’innovation ouverte. Reposant sur la collaboration, elle présente en effet l’intérêt de favoriser les échanges d’idées, de connaissances, de pratiques entre les salariés et/ou avec des partenaires externes. Mais nous voulions savoir ce qu’il se passait réellement au sein des entreprises qui lançaient de tels projets d’innovation. Savoir comment elles collaboraient avec d’autres partenaires et quelles dynamiques étaient mises en œuvre en interne. Six entreprises du territoire ont accepté de financer cette chaire et de nous ouvrir leurs portes pour co-construire ce programme.

Vous vous êtes tout d’abord intéressés aux dynamiques internes. Les entreprises ont-elles été surprises de leur propre niveau d’ouverture en matière d’innovation ?

L’objectif de ce premier axe de recherche était en effet d’aider les entreprises à se positionner elles-mêmes et par rapport aux autres sur cette question. Cette étape a été très instructive pour les industriels, qui ont souvent été très surpris des résultats. Salomon (745 salariés, 255 M€ de CA en 2021), qui dispose tout de même de son propre design center, se pensait par exemple plus ouvert. Le diagnostic a permis de mettre en lumière que son processus d’innovation gravitait toujours autour des mêmes partenaires.

Chez Somfy (1 855 salariés ; 1,53 Md€ de CA en 2022), on s’est rendu compte que l’innovation émanait des profils d’ingénieurs, mais que ceux-ci avaient parfois du mal à mettre en œuvre des processus d’ouverture malgré une direction favorable à l’innovation ouverte. Chez Alphi (130 salariés, 30 M€ de CA en 2021) comme chez Enedis, on s’est aperçu qu’il y avait un décalage entre le discours stratégique émanant de la direction et la réalité du terrain. Les collaborateurs qui souhaitaient s’engager dans un processus d’innovation ouverte ne le pouvaient pas, par manque de temps, d’engagement managérial ou encore de perception des ressources à leur disposition.

À l’inverse, certains se sont-ils révélés plus ouverts qu’ils ne le pensaient ?

Nicomatic (350 salariés, 85 M€ de CA) s’est rendu compte qu’il était peut-être allé trop loin dans l’ouverture. Le groupe a supprimé la hiérarchie en interne. Le diagnostic a permis de mettre en lumière que cette décision avait conduit à l’émergence d’une collection d’intrapreneurs. Tous les collaborateurs étaient bien conscients des possibilités d’innovation et tous avaient leurs ambitions personnelles, ce qui pouvait, au final, nuire au sens collectif de l’innovation.

Vous avez ensuite étudié les relations avec les partenaires extérieurs. Quels sont les principaux enseignements de cet axe de travail ?

En travaillant sur les partenaires extérieurs, nous avons pu montrer aux industriels l’importance de l’alignement des objectifs. Les acteurs s’engagent-ils dans un projet pour accroître leurs profits, cherchent-ils un bénéfice social, etc. ? Il faut s’assurer que tous les partenaires ont le même but. De leur propre aveu, les entreprises ont tendance à se lancer dans un projet, à aller vers un prototype, avant de prendre le temps d’analyser ces facteurs. Or, nous avons établi que les conditions favorables à l’émergence d’un écosystème d’innovation sont l’alignement des objectifs, le partage équitable des ressources et des compétences (les entreprises tirent un bénéfice proportionnel à leur implication dans le projet) et la structure de la gouvernance.

Vous vous êtes aussi intéressés à la façon dont la performance de l’innovation ouverte est perçue en interne. L’image qu’en ont les salariés diffère-t-elle en fonction des structures ?

Non. Globalement, tous perçoivent bien le levier économique (renouvellement des produits et services, satisfaction des clients), ainsi que l’impact social (amélioration des conditions de travail par exemple). Par contre, les collaborateurs perçoivent mal l’impact environnemental de l’innovation. Les entreprises ont constaté la nécessité de communiquer en interne, car, globalement, le manque de perception de l’impact de l’innovation ouverte peut conduire à un désengagement de la part des salariés.

Vous avez développé plusieurs outils à destination des entreprises, permettant de mieux analyser la façon dont elles appréhendent l’innovation ouverte. Sont-ils accessibles à d’autres entreprises ?

Nous avons en effet développé trois outils : le premier permet de réaliser un diagnostic de la maturité en matière d’innovation ouverte. Le deuxième permet d’évaluer l’alignement des objectifs entre une société et ses partenaires. Le troisième est utilisé pour mesurer la perception des résultats de l’innovation ouverte en interne. Nous réfléchissons aujourd’hui à collaborer avec un cabinet de consulting de manière à standardiser ces outils, via une plateforme numérique. Cela nous permettrait de les diffuser plus largement.

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