La Défense en quête d’innovations auprès des entreprises de la région Paca
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La Défense en quête d’innovations auprès des entreprises de la région Paca

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Début juillet se sont tenues les Rencontres régionales Sud de la Défense. De nombreux événements se sont ainsi enchaînés entre les Bouches-du-Rhône et le Var pour positionner la Région Paca au rang de première région française dans l’économie de Défense. L’occasion aussi pour les entreprises et les grands acteurs de la Défense de se rencontrer, d’échanger et de préparer l’avenir ensemble et capter une partie des augmentations annoncées du budget du ministère des Armées.

La base aérienne 125 d’Istres abrite une unité des forces aériennes stratégiques en charge de la dissuasion nucléaire ainsi que le centre DGA d’essais en vol — Photo : D.Gz.

À quelques mètres de la plus grande piste d’aviation d’Europe, sur la base aérienne 125 d’Istres-Le Tubé, dans l’immense hangar Mercure, qui abrite aujourd’hui le Pôle aéronautique d’Istres, s’est tenu, le 5 juillet dernier, la deuxième édition du salon AeroSud, coup d’envoi des Rencontres régionales Sud de la Défense. Une semaine de rencontres entre donneurs d’ordres et PME, qui s’est ensuite poursuivie à Toulon, premier port militaire d’Europe.

L’occasion de rappeler que la région Sud dispose de nombreuses activités industrielles de Défense et de services, organisées autour du naval, de l’aéronautique et du spatial, et soutenu par un riche tissu d’acteurs technologiques, trop souvent oubliés au profit du tourisme ou du BTP. "La Région Sud est la première région française de l’économie de Défense. Elle est l’une des régions qui abrite toutes les armées, avec 47 000 personnels civils et militaires, avec le premier port militaire d’Europe à Toulon, le plus grand champ de tir d’Europe occidentale à Canjuers, l’unique école de l’air française à Salon-de-Provence ou encore la filière aérospatiale à Cannes. Ce n’est pas la première image que l’on se fait de la Région Paca, mais c’est une réalité", souligne Didier Goguenheim, directeur général de TVT Innovation.

Au total, en Paca sont générées chaque année près de 6 milliards d’euros de chiffre d’affaires liés aux activités de Défense, soit 17 % des activités nationales de la Base industrielle et technologique de Défense (BTID), qui regroupe l’ensemble des industries nationales prenant part aux activités de Défense. Un positionnement et des chiffres qui prennent un écho nouveau quand le Président Emmanuel Macron affirme, en juin dernier, lors de son allocution au salon Eurosatory : "La France est entrée dans une économie de guerre et nous avons besoin d’une industrie de la Défense européenne beaucoup plus forte".

50 milliards d’euros de budget Défense d’ici à 2025

Alors qu’il est désormais question de souveraineté industrielle dans de nombreuses filières, depuis le conflit en Ukraine, la Défense est devenue un enjeu crucial. Ainsi, le budget du ministère des Armées, déjà reparti à la hausse ces dernières années, va encore croître de trois milliards d’euros par an d’ici 2025, pour atteindre 50 milliards d’euros. "À nous, ici en Région, de nous mettre en ordre de marche pour capter une partie de ces augmentations", a souligné Renaud Muselier, président de la Région Sud, rappelant "la coexistence d’activités militaires et civiles au sein même des entreprises qui composent la filière". Une dualité qui, selon lui, constitue un atout majeur du dynamisme et de la résilience des entreprises.

Un marché ouvert aux innovations

Ce facteur de résilience, évoqué par le président de la Région, constitue l’une des raisons qui devraient pousser les entreprises à se rapprocher du secteur de la Défense. En effet, les marchés militaires ne sont pas sujets à des fluctuations conjoncturelles. Cela permet aux entreprises de toujours conserver un carnet de commandes régulier. "Pendant la crise sanitaire liée au Covid, notre secteur aéronautique régional a ainsi été bien moins impacté que dans d’autres régions, car nos entreprises étaient souvent positionnées sur le double marché : civil et défense", confirme de son côté André Soulage, directeur du pôle de compétitivité des filières aéronautique, spatial et sécurité, Safe.

Mais, plus encore que de contribuer à leur résilience, le rapprochement avec le secteur de la Défense peut permettre aux entreprises innovantes de financer leur recherche et développement en mobilisant des fonds, notamment issus de l’AID (Agence de l’innovation de Défense), créée en 2018 avec pour objectif de favoriser l’innovation dans le secteur militaire. "Nous avons besoin d’innovations parce que nous nous inscrivons dans un environnement, qui est une course entre le glaive et le bouclier. Pour conserver notre supériorité militaire, l’innovation est indispensable et nécessaire sur le terrain, mais aussi dans nos activités de soutien", souligne d’ailleurs l’ingénieur en chef de l’armement Jérôme Guyon, directeur adjoint du Service de soutien de la flotte, à Toulon. En 2021, l’AID a ainsi financé plus de 100 projets et nouvelles phases de projets lancés avec la DGA (Direction générale de l’armement) pour un montant total de 1,405 milliard d’euros.

Détecter l’innovation

"La Défense a toujours généré des programmes innovants. Mais les délais couraient sur du temps long. Aujourd’hui, les choses vont beaucoup plus vite et l’armée s’est rendu compte qu’elle ne bénéficiait pas forcément des innovations en temps réel, parce qu’elle ne les connaissait tout simplement pas. Ainsi sont notamment nés, en région, les pôles d’innovation, NovAero et Gimnote", poursuit André Soulage. Des pôles d’innovation qui ont vocation à être les bras armés de l’AID en région. NovAero est issu d’un partenariat visant à favoriser le développement de l’innovation dans la composante aéronautique et spatiale de la défense. De son côté, Gimnote (groupe d’innovation pour la maîtrise navale en opération par la technologie et l’expérimentation) est le premier cluster d’innovation technique lancé par la DGA en partenariat avec la Marine nationale et TVT Innovation, l’agence de développement économique de la Métropole Toulon Provence Méditerranée, représentée par son réseau System Factory, dédié à l’ingénierie des systèmes complexes. "La Défense a changé, sa demande aussi. Nous constatons un regain d’intérêt pour des technologies existantes. Nous connaissons leurs besoins et essayons de les projeter sur un ensemble de PME, qui peuvent avoir des solutions", confirme Stéphane Claisse, directeur de System Factory. "Nous sommes capables d’aller vite et de soutenir le passage à l’échelle. C’est là toute notre force : nous ne cherchons pas à innover théoriquement, mais à vendre. Nous sommes ainsi capables de réduire considérablement les délais pour que l’innovation soit réellement utilisée par les forces de Défense au sens large", poursuit-il.

Chasser en meute

Ainsi, System Factory a accompagné la maturation de plusieurs projets depuis sa création en 2018, parmi lesquels Scan Drone, mis au point par un consortium de quatre entreprises : Marine Tech (Six-Fours-les-Plages), Ennovia (Toulon), IVM Technologies (Marseille) et Hologarde (région parisienne). Scan Drone permet de numériser un bateau en 3D et ainsi d’identifier des points de rouille, des déformations de la coque. "Nous avons caractérisé un besoin et sélectionné ce projet via un appel à manifestation d’intérêt", ajoute Stéphane Claisse. "Alors que la Défense a accès à des solutions technologiques variées, mais manque de compétences pour les intégrer, nous avons réuni nos entreprises pour fournir une solution complète. Par ailleurs, l’investissement restait raisonnable dans la mesure où les différentes technologies étaient déjà existantes et qu’il fallait simplement les interfacer", explique Vincent Chiaroni, PDG d’IVM Technologies, spin-off de la société marseillaise Comex. Dès le départ, ce projet a été développé en partenariat avec la DGA et l’AID. Aujourd’hui, une preuve de concept est en cours à bord d’une frégate de la Marine nationale pour confirmer les cas d’usage. "La Défense est très ouverte aux PME. Elle n’a aucun complexe à travailler avec des petites entreprises", souligne Jean-Yves Kbaier, dirigeant de l’entreprise Ennovia, spécialiste de l’ingénierie de maintenance industrielle qui emploie 15 personnes.

Même son de cloche chez Novadem (15 salariés, 4 M€ de CA), une entreprise créée voici quinze ans par Pascal Zunino. Basée sur l’Europôle de l’Arbois, à Aix-en-Provence, elle s’est spécialisée dans la conception, la fabrication et la commercialisation de microdrones. Si l’entreprise visait à son origine les marchés civils et militaires, elle est aujourd’hui essentiellement positionnée sur des projets liés à la Défense, la police ou les pompiers. "Nous équipons notamment l’armée française dans le cadre d’opérations extérieures pour des missions de renseignement ou la couverture de convois", confie Pascal Zunino.

Depuis près de dix ans, Novadem fait partie du Cluster Eden, fondé en 2008 à l’initiative de six entrepreneurs rhônalpins, avec le soutien de la CCI de Lyon et de la DGA. En mutualisant leurs savoir-faire, les membres d’Eden peuvent proposer des solutions personnalisées à des prix compétitifs. "L’idée est de chasser en meute. Nous pouvons ainsi répondre ensemble à des appels d’offres, en France, mais aussi à l’international où nous participons à des salons sous la bannière d’Eden. Le cluster nous apporte une visibilité que nous ne pourrions avoir seuls", détaille le dirigeant, dont l’entreprise est également positionnée dans le cadre du Fonds européen de Défense dans des programmes de recherche associant grands groupes et PME. "Nous participons dans le cadre d’un consortium de onze entreprises à un programme destiné à accroître les capacités de tirs de missile, notamment à l’aide de drones. Ces programmes permettent de développer des technologies et de pouvoir ensuite avoir des offres conjointes avec de grands groupes, portes d’entrée au secteur de la Défense".

Les grands groupes sont des portes d’entrée

Parmi ces grands groupes présents en région Sud, Naval Group. Ce géant français de l’industrie navale de défense, qui emploie plus de 4 000 salariés dans le Var, au sein de la base navale de Toulon, à Ollioules et à Saint-Tropez, va investir 140 millions d’euros dans le département, un choix qui vient confirmer l’ambition de Renaud Muselier de positionner la Région Sud comme "première région européenne de la Défense". Naval Group souhaite réindustrialiser l’ancienne usine de torpilles du groupe aux Bormettes, à La Londe-les-Maures pour abriter, à l’horizon 2026-2027, un centre d’excellence autour des drones sous-marins. Une extension du site d’Ollioules, inauguré en 2017, est également prévue, de manière à regrouper toutes les activités du groupe.

Naval Group, mais aussi Airbus Helicopters à Marignane, Thales Alenia Space à Cannes sont les grands donneurs d’ordres d’une filière, qui compte aussi de nombreuses entreprises innovantes, start-up, TPE et PME, employant plus de 35 000 personnes.

Des territoires attractifs

"Pour qu’une entreprise industrielle se développe, il faut également des territoires adaptés", précise toutefois André Soulage, directeur du pôle Safe. Pour Didier Goguenheim, le directeur de TVT Innovation, "Toulon présente un écosystème unique regroupant l’ensemble des maillons nécessaires au développement de l’innovation, de la captation du besoin et des technologies nouvelles jusqu’à leur prise en compte dans les systèmes de défense navals. Toute notre ambition est de positionner Toulon comme une pépite de l’innovation de Défense française dans le naval."

Dans l’aéronautique, les collectivités ont choisi de miser sur Istres et sa base aérienne, hub des armées françaises. Ainsi est né le pôle aéronautique Istres Jean Sarrail, qui se veut l’un des projets économiques structurants portés par la métropole Aix-Marseille-Provence. Déployé sur 34 hectares en bord de piste et doté d’un hangar construit pour la maintenance des avions Mercure, le site se positionne dans la maintenance aéronautique. Deux entreprises (JJGK et Ares) y sont d’ores et déjà installées, séduites par la proximité avec les grands donneurs d’ordres que sont Airbus Helicopters et la base aérienne 125. La renaissance du Hangar Mercure devrait également permettre d’accueillir l’usine de montage du dirigeable stratosphérique Stratobus de Thales Alenia Space, qui se positionne sur un marché mondial de plusieurs milliards de dollars et qui pourrait générer plus de 300 emplois directs à Istres.

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