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Incendie à Bel Air Camp : gestion de crise inédite
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Incendie à Bel Air Camp : gestion de crise inédite

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Espace privé détenu par le promoteur lyonnais Didier-Caudard Breille, Bel Air Camp est parti en fumé le 8 octobre dernier. Depuis, ce « petit village » de 350 personnes (300 salariés, 57 dirigeants) organise un sauvetage « hors les murs ». Au cœur de la tempête, l’équipe de Bel Air coordonne, soutient, temporise. Révélant ainsi la valeur ajoutée de ce lieu hybride qui promet de renaître de ses cendres.

Trois jours après le sinistre, l'équipe de Bel Air Camp (5 salariés, CA 2018 : 1 M€) composée de Sarah Isman (communication), Pauline Siché-Dalibard (DG), Emilie Terlaud (directrice commerciale), Marcelle Nyangui (assistante contrôle de gestion), Pascale Lagahe (communauté & partenariats), Carine Volo (accueil & salles de réunion).
— Photo : DR

Mobilisation générale pour Bel Air Camp. Le ban et l’arrière-ban des personnalités politiques se sont mobilisés, quelques heures après l’incendie qui a ravagé 7 000 m² de Bel Air Camp le 8 octobre dernier, pour épauler les 57 start-up hébergées dans cette ancienne usine Alstom construite dans les années 60. Détaché le jour même, Axel Riehl, directeur de l’action économique de Lyon Métropole a lâché tous ses dossiers en cours pour trouver des solutions de relogement. Priorité à la continuité de l’activité de ces structures fragiles.

Le plan de Bel Air Camp — Photo : DR

En dix jours, la presque totalité des 57 entreprises avait été relogée. Parmi elles, seize sont installées (gratuitement) à Bel Air 3, un bâtiment rénové proche de Bel Air Camp. Les capteurs de Meersens et les bijoux enfantins de La Fée galipette ont trouvé refuge (gracieusement) chez Bouygues Immobilier pour l’une et SEPR pour l’autre. Cleancup a posé ses gobelets à Léo Lagrange, Cyclik, les vélos en bambou de Félix Hébert et deux autres start-up sont installés à La Duchère. Les robots masseurs de Capsix, et les « Bookinou » pour enfants occupent des espaces chez H7. Leurs loyers sont payés par la Métropole qui a aussi ouvert son patrimoine pour sept autres entreprises à Vaulx-en-Velin et Villeurbanne. Certains comme Déambulons, ont plus de difficulté à trouver : pour fabriquer ses créations en bambou, la start-up cherche 300 m² d’atelier avec 5 mètres de hauteur sous plafond dans le 7e arrondissement de Lyon. Pas simple…

« Des profils pointus sont déjà chassés par les vautours »

Au-delà du relogement, se pose, pour les entreprises les plus technologiques, comptant le plus grand nombre de salariés, la question de la pérennité de l’activité. Au 18 octobre, seules trois des 57 TPE avaient fait une demande formalisée d’activité partielle auprès de la Direccte. Pour seulement 33 salariés payés au Smic. « C’est peu, reconnaît le directeur adjoint du Rhône, Laurent Badiou, mais elles ont un mois pour accomplir cette démarche ».

Le bâtiment principal de Bel Air Camp, la pépinière de start-up industrielles de Villeurbanne, effondré et rendu totalement inexploitable par l'incendie du mardi 8 octobre — Photo : Audrey Henrion / JDE

« La prise en charge des salariés au chômage technique pouvait paraître attrayante, mais en réalité cette solution est peu adaptée à la plupart des start-up », estime la directrice générale Pauline Siché-Dalibard qui pointe surtout la difficulté pour les jeunes pousses à préserver leur équipe. « Les profils les plus pointus sont déjà chassés par des vautours », déplore-t-elle. Certains collaborateurs venaient de déménager pour se rapprocher de leur lieu de travail, d’autres planchaient depuis des mois sur un projet… et sont d’avance découragés de tout recommencer. À la gestion des talents s’ajoutent d’autres innombrables problèmes. Les assurances qui rembourseront moins que prévus, les frais d’avocats… « Tout le monde a beaucoup perdu dans cet incendie, que du matériel ait brûlé ou pas » temporise Pauline Siché-Dalibard, listant la corrosion des pièces, le matériel couvert de suie…

Dénouer le fil des responsabilités

En interne, la fatigue, l’amertume font naître des tensions. « Nous vivons un deuil, acquiesce Pauline Siché-Dalibard Dalibard. J’ai demandé un suivi de la médecine de travail pour mon équipe, mais chaque dirigeant est autonome là-dessus ». En creux se pose l’épineuse question des responsabilités dans le déclenchement de l’incendie. « Certains ont plus perdu que d’autres, glisse cette observatrice. Et le risque pour quelques-uns de mettre la clé sous la porte, n’est pas nul, malheureusement. Il ne me paraît pas anormal de vouloir dénouer les fils des responsabilités » commente-t-elle.
L’inspection du travail, l’enquête conduite par les polices judiciaire et scientifique peuvent-elles mettre un terme aux bruits et aux rumeurs ? « La température est montée tellement haut, il est peu probable que les enquêteurs puissent déterminer l’origine de l’incendie » estime la dirigeante de Bel Air qui encourage chacun à « se projeter sur l’après ».

Le sinistre qui n’a heureusement pas fait de victime n’a pas non plus réduit en cendre le travail de fond accompli depuis trois ans. C’est presque le contraire. Comme si en disparaissant (temporairement), Bel Air se révélait dans toutes ses dimensions. « Rien qu’en faisant du business au sein même de Bel Air, deux start-up nous ont fait part d’un chiffre d’affaires multiplié par quatre en un an, et une autre d’un CA passé de 8 000 à 25 000 euros de chiffre d’affaires » rapporte la directrice. « La perte de Bel Air, c’est une perte de chance » a d’ailleurs relevé Jean-Pierre Bes, directeur régional de BPIfrance venu rencontrer les dirigeants. « Autant de femmes dans l’entrepreneuriat, avec une vraie dimension technologique, ça n’existait pas ailleurs qu’à Bel Air Camp » souligne de son côté Virginie Boissimon-Smolders, présidente de la Fondation L Digital qui promeut la place des femmes dans le numérique. De fait, sans compter l’équipe 100 % féminine de Bel Air (5 personnes), 17 des 57 entreprises sont pilotées par des dirigeantes.

Bel Air ou l’équation magique 1+1 = 3

« L’air de rien, nous formions un réseau business puissant, affirme Morane Rey Huet cofondateur de Meersens. Personnellement, j’ai vraiment envie de revenir dans cet écosystème, même s’il faut attendre un an ». Pas seulement pour le Tech parc, l’atelier et la ligne d’assemblage mutualisés, ou l’aide au prototypage. Mais aussi pour l’équation un peu magique qui veut que parfois, 1+1 = 3. Bel Air amenait une visibilité, organisant des rencontres avec les Douanes, Bpifrance, ou des patrons de grands comptes. En interne, des déjeuners entre dirigeants, des meetings de développeurs, communicants ou techniciens leur donnaient l’occasion de partager leurs bonnes pratiques. Sans oublier les indispensables moments de détentes : concours de pétanque, tournoi de foot, des fêtes d’anniversaires, des pots de départ… Une vie de quartier « juste » en sommeil selon sa direction. « Au moins trente start-up nous ont fait part de leur envie de revenir dans la communauté physique dès lors que nous aurons un nouveau toit ».

Bel Air 1 détruit, la société présidée par le promoteur Didier Caudard-Breille ouvre à titre gracieux Bel Air 3, un espace de coworking jusque là réservé à la location de salles de réunion pour de grands groupes — Photo : Audrey Henrion / JDE

Raser le bâtiment pour reconstruire à neuf

Reste à savoir sous quel type de toit. « On ne relouera pas des espaces dans de l’ancien, déclare Didier Caudard-Breille, propriétaire de Bel Air Camp qui rencontrait fin octobre la mairie de Villeurbanne pour proposer de raser le bâtiment et le reconstruire à neuf. « Dans l’idée, le futur bâtiment ressemblera peut-être plus à un centre d’hébergement de start-up comme Station F », évoque-t-il. Promettant de « revenir vite ». « Il n’est pas question que l’on laisse Bel Air comme ça, sous un amas de poutres métalliques tordues par les flammes et sous les cendres. Un architecte travaille sur le nouveau projet. Il va avancer très vite, on n’a pas le choix » affirme-t-il. D’ici là, le réseau interne Slack fait office de ligne de vie, de même que le hashtag #BelAirFamily sur les réseaux sociaux

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