Fabienne Dulac (Orange) : « La crise sanitaire va accélérer la révolution numérique »
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Fabienne Dulac directrice générale adjointe Orange et CEO d'Orange France Fabienne Dulac (Orange) : « La crise sanitaire va accélérer la révolution numérique »

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Pour Fabienne Dulac, directrice générale adjointe du groupe Orange et CEO d’Orange France, la crise sanitaire est un révélateur de la dépendance des organisations humaines aux réseaux et entraîne une accélération de la numérisation de la société. La dirigeante estime que cette « révolution numérique » doit notamment permettre le développement des territoires et aider à accompagner la relance économique.

"Les technologies vont permettre aux entreprises d’être à même de piloter leur propre empreinte environnementale", explique Fabienne Dulac — Photo : Orange

Quels enseignements tirer de la crise en matière de réseaux ?

Fabienne Dulac : La crise a été un révélateur de notre dépendance aux réseaux car la révolution numérique s’est accélérée. Elle s’est installée dans notre vie quotidienne, parce que l’on s’est tous retrouvé en télétravail, ou en tout cas avec des besoins de débit pour assurer l’éducation des enfants, son travail, mais aussi ses divertissements. L’autre volet qui a été très apparent, c’est celui des entreprises qui ont été obligées, dans cette période de télétravail et de confinement, de prendre conscience de l’importance des réseaux et de la nécessité d’accélérer leur révolution numérique. Chez Orange, nous voyons, depuis le 11 mai, une accélération de la demande du monde de l’entreprise pour être accompagné et pour accélérer la numérisation, la révolution numérique que vivent elles-mêmes les entreprises, à la fois dans la connectivité mais aussi dans les services. Pour moi, cette accélération est positive car elle va accompagner cette relance que l’on souhaite tous voir arriver.

Cette révolution est en marche depuis déjà plusieurs années, mais je pense que la crise que nous vivons aligne l’ensemble du monde professionnel. Autant les grandes entreprises ont été précurseurs et s’en sont emparées très tôt, autant au sein des PME la révolution et la transformation ont été plus longues. Cette accélération se traduit également par l’appétence de relocalisation du monde économique. Et les besoins sont là dans tous les domaines. Ainsi, l’agriculture a aussi besoin de très haut débit, mais aussi le monde médical. Au final, une telle révolution ne se réalise pas avec une seule locomotive, mais avec un faisceau de locomotives. Pour moi, et c’est peut-être le plus flagrant avec cette crise, c’est la multiplicité des usages et des besoins qui ont émergé qui va accélérer la révolution numérique.

Cette crise peut-elle aider au développement des territoires ?

Fabienne Dulac : Oui, la crise révèle une volonté flagrante, d’une partie de la population française, de repenser son mode de vie, de quitter les grandes villes. On l’oublie, mais ce phénomène existe depuis trente ans. Si vous regardez les études des géographes et sociologues, la population française déserte peu à peu les très grandes villes pour aller vers des villes moyennes et vers le rural. On le constate chez Orange avec l’évolution que nous avons dû mener sur nos réseaux. Cette fois, un pas supplémentaire est franchi avec une volonté plus affichée et accélérée d’aller vers des territoires ruraux. C’est pour cela que l’accélération du déploiement de la fibre et du très haut débit dans ces territoires va aussi correspondre à une évolution de la société. Or s’il y a évolution de la société, il y aura aussi évolution de l’économie, ce qui est très positif.

« Il n’y a pas une seule entreprise en France qui peut passer à côté de cette transformation numérique »

Les déploiements ont-ils été ralentis ?

Fabienne Dulac : La crise a ralenti les déploiements de la fibre, parce que globalement il a fallu se concentrer sur des priorités pendant la période de confinement, et même si nous avons continué de déployer, nous avons pris plusieurs mois de retard – au moins six mois sur les déploiements nationaux –, notamment parce qu’il nous faut des autorisations de déploiement et nous ne les avions pas. La connectivité est à présent un besoin fondamental du monde des entreprises, des professionnels, mais aussi du grand public. Pour nous, la priorité est d’accompagner nos clients, et aussi d’utiliser cette crise en termes d’enseignements, de continuer à nous améliorer et de nous transformer. Il n’y a pas une seule entreprise aujourd’hui en France qui peut passer à côté de la transformation, ce n’est pas possible. Il faut donc en tirer les enseignements pour nous adapter.

Quelle est la part du déploiement de la fibre pour Orange sur le territoire national ?

Fabienne Dulac : Orange a déployé 70 % de la fibre en France. C’est 19,3 millions de foyers qui peuvent aujourd’hui accéder à la fibre, c’est-à-dire un peu plus de la moitié des foyers français. Ce qui fait de la France une championne européenne en matière de déploiement et d’accessibilité de la fibre. Notre second axe de développement a été de déployer la fibre dans les zones rurales.

Quel travail reste-t-il à effectuer en matière de déploiement ?

Fabienne Dulac : Je pense que nous avons tous en tête une date qui est 2022, d’abord sur les zones très denses et moyennement denses. Je pense que d’ici 2025, même s’il est impossible de dire que la totalité de la France sera fibrée, la très grande majorité du territoire sera fibrée. De leur côté, les zones rurales ont des échéances autour de 2025-2026.

Comment la crise sanitaire a-t-elle impacté Orange ?

Fabienne Dulac : Il y a eu plusieurs étapes. D’abord celle du confinement, avec un enjeu de mettre en place très rapidement un plan de continuité de l’activité, à la fois pour organiser une supervision des réseaux à un moment où ont explosé les usages. Le télétravail a été multiplié par dix, la voix a été multipliée par trois, les visioconférences par deux, et les usages à la maison pour l’éducation et le divertissement ont également explosé. Nous avons reconfiguré, en un temps record, nos réseaux pour qu’ils soient capables de tenir cette surcharge. Pendant la période de confinement, nous avons mené un million d’interventions sur nos réseaux !

Pendant le confinement, 55 000 de nos salariés étaient en télétravail, soit l’intégralité de ceux qui n’étaient pas sur le terrain. Nous avions déjà un accord de télétravail avant la crise, avec 20 % des salariés d’Orange France qui en avait l’habitude. Des accords permettant jusqu’à trois jours de télétravail par semaine. Nous avons évidemment mis en œuvre cette pratique plus largement et nous continuons de vivre sur cet accord pour le moment.

Un nouvel accord d’entreprise va-t-il être signé au sujet du télétravail ?

Fabienne Dulac : Nous en avons déjà trois, l’un signé en 2009, puis en 2013 et 2017, qui nous permettent de tenir toute cette période de crise, et nous sommes, en effet, en train de retravailler à un accord de plus long terme, compte tenu des évolutions de la société française.

Vous avez participé au Forum RSE de Giverny (Eure), le 4 septembre. Quels sont les enjeux de la RSE au regard de la crise actuelle ?

Fabienne Dulac : C’est un sujet que nous avons intégré depuis une dizaine d’années. Nous sommes le seul opérateur européen à avoir une double certification ISO 14001 et ISO 50001 qui montre que nous avons un système de management environnemental relativement solide et une priorisation sur nos réseaux. Notamment nos data center, dont celui de Val-de-Reuil (Eure) qui est un exemple dans sa conception avec une réduction de 30 % de la consommation énergétique et de l’émission de CO2. Nous avions annoncé en décembre 2019 un objectif d’empreinte carbone neutre en 2040, avec moins 30 % en 2025. C’est donc une dynamique intégrée dans nos réseaux, ou encore la conception de nos box, la dernière étant à 100 % en plastique recyclé et consomme 30 % de moins d’électricité. Mais, la crise nous oblige encore plus. Elle va nous demander de tenir ces engagements et d’essayer d’accélérer. Le télétravail va permettre moins de transports. Demain si vous êtes agriculteur et que vous êtes capable, grâce au réseau fibre et 5G, de monitorer votre arrosage grâce à des capteurs connectés, c’est aussi un moyen de réduire l’empreinte environnementale. Il y a à la fois les opérateurs qui doivent réduire leur empreinte environnementale sur leurs réseaux, mais les technologies vont aussi permettre à des tiers dans le monde industriel, de la logistique, de l’agriculture, d’être aussi plus à même de piloter leur propre empreinte environnementale.

Le plan de relance a été présenté par le gouvernement le 3 septembre. Qu’en attendez-vous ?

Fabienne Dulac : Il y a énormément de moyens alloués, sur tous les secteurs. Je pense que le gouvernement a essayé d’avoir une approche la plus large possible, à la fois dans le soutien aux salariés et au monde de l’entreprise. Il y a une focalisation sur le monde de l’entreprise et je pense que c’est clé parce que c’est comme cela que l’on soutiendra l’emploi et, au final, l’employabilité de demain. Ce que je vois particulièrement dans le monde numérique c’est qu’il y a, là aussi, 240 millions d’euros mis sur la table pour déployer la fibre et pour lutter contre la fracture numérique avec le développement de l’équipement et des usages. Je trouve qu’il y a réellement un effort volontaire de prendre le sujet dans son ensemble.

# Télécoms # RSE # Politique économique