Auvergne Rhône-Alpes
Énergie : les stations de ski alpines se mobilisent pour alléger leur facture
Enquête Auvergne Rhône-Alpes # Production et distribution d'énergie # Conjoncture

Énergie : les stations de ski alpines se mobilisent pour alléger leur facture

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La flambée conjoncturelle des prix de l’électricité pourrait plomber le chiffre d’affaires des stations de ski alpines en cours de renouvellement de contrat avec leurs fournisseurs. Les domaines, adeptes de la sobriété depuis plusieurs années, cherchent des solutions immédiates pour absorber la hausse de leurs factures et espèrent un geste du gouvernement.

Les remontées mécaniques représentent le premier poste de dépenses électriques pour les stations, qui prévoient d’en réduire la vitesse cet hiver pour alléger leur facture — Photo : © Courchevel Tourisme

À quelques semaines de l’ouverture des premières stations de ski, l’inquiétude est palpable chez les opérateurs de domaines. Car l’envolée du coût de l’énergie pourrait faire flamber les charges des exploitants de remontées mécaniques renouvelant leur contrat cette année. Un surcoût très difficile à envisager pour les opérateurs de domaines alpins, trois ans à peine après la fermeture des stations pour cause de Covid.

"Nous évaluons la hausse de nos charges à près de 14 millions d’euros au cours actuel de l'électricité (mi-octobre, NDLR), soit près de 20 % de notre chiffre d’affaires contre environ 4 % avant la crise. Ce qui nous met dans une difficulté potentiellement insurmontable", pose Pascal de Thiersant, président du directoire de la Société des 3 Vallées S3V (72,97 M€ de chiffre d'affaires). Les stations de Courchevel, Méribel et la Tania, qu’exploite S3V, font partie des quelque 300 stations qui devront renégocier leurs contrats d’ici la fin de l’année, aux côtés de celles gérées par la Compagnie des Alpes (469,48 M€ de chiffre d'affaires, qui détient notamment la Plagne, les Arcs et Val d'Isère) ou celles de Sata Group (99,87 M€ de chiffre d'affaires pour l’Alpe d’Huez, les 2 Alpes, la Grave). "Nous faisons partie des chanceux puisque nous avons renégocié notre contrat en décembre 2021 pour trois ans. Mais l’augmentation sur notre budget est tout de même significative puisque nous multiplions par trois notre facture, soit 600 000 euros supplémentaires", explique pour sa part Lucas Marchand, directeur général des Portes du Mont Blanc, qui exploite plusieurs stations et villages de sports d'hiver (Combloux, Cordon, La Giettaz-en-Aravis, Le Jaillet).

Vers un encadrement des prix ?

Dans toutes les stations en discussions avec les fournisseurs d’électricité, le discours est le même : ne rien signer tant que le gouvernement n’aura pas dévoilé de mesures d’aides concrètes. "Tout dépendra de ces annonces", souligne Sébastien Giraud, directeur de la station de Villard-de-Lans, dans le Vercors. "Si je signais aujourd’hui, je serais attaquable pour faute de gestion pour avoir mis l’entreprise en difficulté", affirme un autre responsable de domaine. Côté producteurs pourtant, le ton se veut rassurant. "Nous comprenons tout à fait la période de doute que rencontrent les adhérents de la chambre professionnelle Domaines Skiables de France (DSF) en ce moment, consent Frédéric Sarrazin, directeur EDF commerce Auvergne-Rhône-Alpes. Nous accompagnons les clients qui doivent renégocier leur contrat à court terme pour leur proposer le meilleur rapport qualité prix en fonction de leur situation", assure-t-il.

Mais les acteurs des montagnes et exploitants de station de ski espèrent surtout une décision gouvernementale pour les aider à encaisser le choc énergétique. "Nous demandons que la production ne soit pas soumise à des tarifs définis à l’étranger et tributaire de crises géopolitiques", plaide Christophe Aubert, maire des 2 Alpes et membre de l’Association nationale des maires de stations de montagne (ANMSM). Même requête de la part de DSF, qui prône aussi la révision du mécanisme de l’Accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arehn) afin de ne pas pénaliser les territoires de montagne, consommateurs saisonniers. Les stations souhaiteraient également bénéficier du dispositif d’accompagnement des entreprises énergo-intensives instauré par le gouvernement, "au même titre que l’ensemble des autres filières françaises", précise DSF.

Certes, l’exécutif s’est engagé début octobre à plafonner les prix de production d'électricité à 180 euros le mégawattheure et à récupérer la différence entre ce prix et le prix de marché pour la reverser aux entreprises et collectivités locales. Mais "personne ne sait à qui et comment seront redistribués ces profits", déplore un directeur de station de ski, qui dit ne pas pouvoir compter sur un tel mécanisme pour boucler son budget. "Les domaines payaient jusqu’à présent 50 à 60 euros le mégawattheure. 180 euros restent donc un tarif très élevé. Cela pèsera nécessairement sur leurs investissements futurs", avance Marie-Noëlle Battistel, députée PS de la 4e circonscription de l’Isère, chargée de défendre la "voix de la montagne" depuis le début de la crise énergétique.

Écoconduite des remontées mécaniques

En attendant que les discussions aboutissent, les domaines skiables entendent bien contribuer à l’effort énergétique national et atteindre l’objectif de 10 % de réduction d’ici deux ans, fixé par le gouvernement. Selon le gestionnaire du réseau électrique français RTE, la consommation annuelle des 250 stations de ski françaises représente autour de 500 gigawattheures, soit l’équivalent de la consommation de 100 000 foyers. Premier poste de dépenses en électricité : les remontées mécaniques (60 % de la facture environ). "Nous avons préparé un nouveau mode d’exploitation prévoyant l’arrêt de certaines remontées ou le ralentissement d’autres", décrit Jean-Marie Martin, PDG de la société d’économie mixte (SEM) de Valloire. L’écoconduite des remontées mécaniques permettrait en effet d’abaisser la consommation électrique de 10 % à 20 %, selon le directeur de la station. Un engagement qui fait partie de la charte signée par Domaines Skiables de France dans le cadre du plan de sobriété énergétique du gouvernement dévoilé début octobre.

Le constructeur français de remontées mécaniques Poma (1 400 salariés, 375 M€ de CA en 2021) a d’ailleurs devancé la crise actuelle, puisqu’il se penche sur la consommation énergétique de ses installations depuis 2013. Sa technologie Ecodrive, qui permet d’ajuster la vitesse au juste nécessaire en analysant les files d’attente, pourrait permettre d’économiser jusqu’à 20 % d’énergie. Sa première gare de télésièges Life, qui combine un ensemble d’innovations destinées à réaliser des gains d’énergies, devrait voir le jour à Megève en 2023.

Rationaliser pour ne pas faire payer le client

Rationaliser la production de neige de culture constitue également un enjeu énergétique important pour les stations françaises, la neige artificielle représentant 37 % de la surface totale des pistes de l’Hexagone et 25 % de la facture électrique. Pour ce faire, les stations sont en train d’équiper leurs dameuses d’appareils permettant de mesurer la hauteur de neige afin d’optimiser les volumes de neige produits.

Côté bâtiments enfin, les exploitants ont également prévu des mesures d’économies allant de la programmation des radiateurs dans les cabanes à la baisse du chauffage dans les salles de machines ou le changement des éclairages en Led.

Des efforts qui ne devront pas se faire au détriment de l’expérience client, estiment toutefois les opérateurs de stations. "Les Français et les Européens nous font l’honneur de venir, nous ne pouvons pas les décevoir", défend ainsi Alexandre Maulin, président de DSF, lors du Congrès annuel du syndicat à Lyon. Et pas question d’augmenter le prix des forfaits pour compenser la hausse de la facture électrique : les tarifs, fixés avant le début de la crise énergétique, seront déjà supérieurs à ceux de 2021 pour tenir compte de l’inflation généralisée. "Le prix de nos forfaits correspond aux tarifs du marché. Nous ne pouvons plus aller au-delà par rapport à nos clients, qui sont déjà eux-mêmes affectés par la hausse du coût de la vie", explique le directeur de Villard-de-Lans.

La neutralité carbone en bout de piste

En amont de tous ces efforts conjoncturels, les stations de sports d'hiver n’ont pas attendu la crise énergétique actuelle pour assainir leur consommation. À la fois dans un souci de préserver la montagne et d’œuvrer à la transition écologique, mais aussi de garantir leur autonomie. "Cela fait déjà quelques années que nous avons mis en place une politique de sobriété afin de limiter notre impact environnemental et améliorer notre rentabilité pour investir", avance le directeur général des Portes du Mont Blanc, Lucas Marchand. De fait, depuis 2020, les domaines skiables français ont signé une feuille de route environnementale de 16 éco-engagements, avec comme objectif d’atteindre la neutralité carbone dès 2037. Parmi ces mesures : bilan carbone dans toutes les stations, utilisation raisonnée des remontées mécaniques, démontage des installations obsolètes ou dameuses à hydrogène etc.

Deux ans après cet engagement du secteur, le bilan est plutôt honorable : plus de 48 sociétés de remontées mécaniques (dont La Plagne, Le Grand-Bornand, Lans-en-Vercors ou encore Les Menuires) s’approvisionnent désormais exclusivement en énergies renouvelables. La station de Val-Cenis déploiera, dès cet hiver, la première dameuse 100 % électrique, tandis que plusieurs domaines testeront un démonstrateur de dameuse à hydrogène.

Un pas important vers la décarbonation des stations, puisque 90 % des gaz à effet de serre des domaines sont liés à l’usage des dameuses fonctionnant au gasoil. Des initiatives qui visent à faire des stations de montagne un modèle en termes de transition énergétique.

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