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"Dans une transmission familiale, la chose la plus importante à construire, c’est le dialogue"
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Alain Moy président du Cercle des enfants dirigeants d’entreprises familiales "Dans une transmission familiale, la chose la plus importante à construire, c’est le dialogue"

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Pas facile de se faire un prénom et de succéder à papa ou maman à la tête de l’entreprise. Alain Moy préside le Cercle des enfants dirigeants d’entreprises familiales (Cedef), une association qui réunit des successeurs d’entreprises familiales et les accompagne à prendre la suite de leurs parents. Née en Vendée, la structure est en train de se déployer dans une douzaine de départements français.

Alain Moy, président du Cedef : ce réseau accompagnant les successeurs d’entreprises familiales est en train de se développer dans toute la France — Photo : Cedef

Qu’est-ce que le Cercle des enfants dirigeants d’entreprise familiale (Cedef) ?

Créateur de plusieurs sociétés de conseil aux entreprises, Philbert Corbrejaud a fondé le Cercle des enfants dirigeants d’entreprise familiale en Vendée fin 2018, avec Cécilia Laurent, fille de Jean-Jacques Laurent, le fondateur de PRB (une entreprise vendéenne de 650 salariés, depuis rachetée par le groupe Holcim, NDLR). Cette association a pour mission d’accompagner les successeurs, plus ou moins jeunes, d’entreprises familiales. Reprendre une entreprise n’est pas une chose facile, et reprendre une entreprise familiale ajoute en complexité. En plus de la nécessité d’asseoir son autorité, de reprendre les équipes, d’acquérir le métier, il est nécessaire de gérer tout ce qui est émotionnel et affectif, avec ses parents, mais aussi avec ses frères et sœurs, voire ses cousins et cousines.

"La pérennité des PME familiales constitue un enjeu majeur, tant pour l’économie française que pour le lien social, par la création d’emplois locaux"

La succession d’une entreprise familiale est une aventure qui n’est pas simple. L’héritage, c’est un poids, mais c’est aussi un sacré engagement, parce que si je reprends une entreprise familiale, c’est que je veux la transmettre derrière aussi. La pérennité des PME familiales constitue un enjeu majeur, tant pour l’économie française que pour le lien social, par la création d’emplois locaux. Les entreprises familiales ont une vision économique de long terme, avec une gestion saine.

Qui participe au Cedef ?

Nous avons un spectre large. Il y a d’abord les jeunes qui s’interrogent pour savoir s’ils vont succéder ou non. Il y a aussi ceux qui sont déjà dans l’entreprise familiale, qui ont bien avancé sur leur décision de prendre la suite de l’affaire familiale, mais qui ont besoin de conseils. D’autres sont actionnaires de l’entreprise, mais n’y travaillent pas. Toutefois, ils ne souhaitent pas être actionnaires passifs. Ils veulent que l’aventure familiale se poursuive, sans pour autant être opérationnels. Enfin, j’ai l’exemple d’un jeune, qui était opérationnel, mais dont la préparation a été précipitée par le décès brutal de son père. Il s’est retrouvé propulsé PDG du jour au lendemain.

Comment s’organisent les sessions ?

Les Cedef sont départementaux. Le groupe se réunit une journée par mois. Nous nous appuyons sur trois piliers. D’abord, un temps d’échange d’expérience, de ce que chacun vit en tant que successeur. Ensuite, nous proposons le témoignage d’un grand témoin, un chef d’entreprise qui raconte son histoire familiale, parfois le père et le fils ou la fille sont présents. La dimension du témoignage vécu est forte. Enfin, nous faisons intervenir des experts sur des thématiques précises : comptabilité, juridique, management, etc. Chaque cercle compte une dizaine de participants. Il est piloté par un animateur référent, qui connaît son département, souvent fils ou fille d’entrepreneur.

Comment sont financés les Cedef ?

Par des partenaires extérieurs, dans le cadre du mécénat, et par les entreprises familiales qui y participent.

Comment se développe le Cedef ?

Quand j’ai pris la présidence l’an dernier, il n’y avait encore qu’un cercle, car le Covid a ralenti le développement de l’association. Ma mission première est de déployer le Cedef sur le territoire national, dans le plus de départements possibles. Nous avons vite constaté que les besoins sont les mêmes à l’autre bout de la France qu’en Vendée et que l’association présente un intérêt. Le Cedef a donc créé des antennes en Charente-Maritime, en Sarthe, en Maine-et-Loire et en Loire-Atlantique. Des cercles sont en cours de construction - les animateurs ont été recrutés - en Ille-et-Vilaine, dans le Morbihan, dans le Finistère, dans les Pyrénées-Atlantiques, en Haute-Savoie et dans le Rhône. Nous espérons aussi ouvrir en Mayenne début 2024. Et nous n’avons pas vocation à nous arrêter là : nous prenons des contacts dans les Landes, le Puy-de-Dôme, à Paris, en Normandie, dans les Hauts-de-France… Bref, dans tous ces territoires où les entreprises familiales sont nombreuses.

"Depuis quarante ans, être héritier en France n’est pas en odeur de sainteté"

Certaines études évoquent un écart important entre la France et l’Allemagne pour les transmissions intra-familiales d’entreprise (12 % en France, selon l’École de management de Strasbourg contre 65 % en Allemagne). Les PME familiales ont pourtant des atouts. Comment cet écart s’explique-t-il ?

Il y a deux choses. D’abord, depuis quarante ans, être héritier en France n’est pas en odeur de sainteté. Les gens considèrent que vous naissez avec une cuillère d’or dans la bouche. À la différence des Anglo-Saxons, les Français n’ont pas la culture de la réussite. Par ailleurs, les transmissions n’ont pas été encouragées politiquement. Les règles de succession se sont durcies, tant financièrement que juridiquement. Beaucoup préfèrent vendre à l’extérieur plutôt que transmettre. Reprendre une entreprise familiale constitue donc un choix de vie fort. Mais aujourd’hui, les choses évoluent : il y a vingt ans, les jeunes rêvaient de devenir fonctionnaires ; aujourd’hui, ils rêvent de devenir startupeurs. L’entreprise est devenue une aventure géniale à vivre.

Quels conseils donner à une personne qui s’interroge sur la reprise de l’entreprise familiale ?

Il est très difficile de répondre parce que les situations sont éminemment différentes, pas seulement liées à l’entreprise, mais aussi à la culture de chaque famille, aux modalités de fonctionnement de chaque famille, à la personnalité de chacun. Par ailleurs, avec une transmission, beaucoup de sujets sont sur la table. Ce qui ressort, c’est que le plus difficile à aborder, c’est l’affectif, le relationnel. La chose la plus importante à construire, c’est le dialogue. Ce n’est pas si facile que cela à mettre en place, soit pour les parents, soit pour les enfants. Si le jeune lance le sujet, le parent peut avoir l’impression d’être poussé dehors. C’est d’autant plus difficile de lâcher les rênes lorsqu’il s’agit d’une transmission de la première à la deuxième génération, le parent ayant créé l’entreprise. C’est délicat. Pour l’enfant, un conseil est d’aller rencontrer d’autres jeunes qui ont connu la même situation. C’est ce que nous proposons au Cedef.

Comment gérer le poids de l’héritage ?

Là encore, les situations et les personnes sont diverses. Voyez Arnaud Lagardère. Il a été écrasé par son père et ne s’en est jamais remis. Aujourd’hui, le groupe qui était un des fleurons de la France est dépecé. À l’inverse, Martin Bouygues a réussi.

Parmi les sujets évoqués, on doit trouver la question de la légitimité vis-à-vis des salariés ?

Oui, cette question ressort très souvent dans les cercles. Dans 50 % des cas, les salariés ont vu le repreneur galoper en culotte courte ou en jupe dans les couloirs de l’entreprise quand ils étaient gamins. Pour ces successeurs, il n’est pas évident de devenir patron. Toutefois, ce n’est pas le sujet le plus compliqué. Le plus compliqué est bien celui des relations parents/enfants ou frère et sœur. Mais dans la majorité des cas, cela se passe très bien.

Du point de vue du parent chef d’entreprise, comment réussir la transmission ?

Nous constatons un manque de préparation de la transmission, notamment lorsqu’il s’agit du passage à la deuxième génération. C’est différent avec la troisième génération, qui a déjà eu l’expérience de la succession. Même si, encore une fois, il est difficile de généraliser, une transmission réussie nécessite toujours plusieurs années de préparation, de cinq à dix ans.

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