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Dans la Meuse, L2PI embouteille du CO2 "vert" pour désaltérer le public des Jeux olympiques
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Dans la Meuse, L2PI embouteille du CO2 "vert" pour désaltérer le public des Jeux olympiques

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Le distributeur de gaz alimentaire pour le tirage pression L2PI promet une petite mousse à faible impact environnemental au public des JO de Paris 2024. L’entreprise meusienne va substituer au CO2 extrait de puits géologiques en Allemagne, un CO2 issu de la production de méthaniseurs dans le Grand Est.

L2PI conditionne annuellement 20 000 tonnes de CO2 dans des bouteilles consignées de 2 à 35 kg — Photo : Philippe Bohlinger

Parler de dioxyde de carbone "renouvelable" n’est plus un oxymore. Le lorrain L2PI va démarrer en avril, sur son site de Void-Vacon (Meuse), l’embouteillage d’un CO2 plus vert, issu de la production d’unités de méthanisation du Grand Est. Une alternative au captage de ce gaz dans des réserves souterraines situées outre-Rhin, à 350 kilomètres de son site meusien. Résultat, la petite mousse qui sera servie cet été au public des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 affichera un moindre impact environnemental.

Ayant réalisé un chiffre d’affaires de 12 millions d’euros en 2023, la PME de 44 salariés revendique en effet 95 % de parts de marché sur le gaz pour tireuses pression (bière, cidre, limonade) en France. Pour servir ses clients, des distributeurs grossistes en boissons (France Boissons, Distriboissons, C10, Promocash, etc.), elle dispose d’ailleurs d’un second site, une plateforme de stockage installée à Ebersheim (Bas-Rhin), 25 kilomètres au sud de l’usine Kronenbourg. "Les transporteurs viennent charger les fûts de bière sur le site de la brasserie et les bouteilles de CO2 comprimé chez nous", détaille Jean-Louis Druart, le cogérant de L2PI, avec Nelly Baribault.

Jean-Louis Druart dirige L2PI avec Nelly Baribault — Photo : Philippe Bohlinger

20 000 tonnes de CO2 par an

Le petit miracle écologique à l’œuvre chez L2PI prend sa source dans un autre grand rendez-vous sportif : la Coupe du monde de football 2018 organisée en Russie. La hausse de la consommation de bières et de sodas gazéifiés – un autre débouché du CO2 de qualité alimentaire – a suscité "une pénurie européenne de CO2 pendant toute la période estivale", se remémore le cogérant. L’entreprise meusienne, explique-t-il, s’est retrouvée à l’époque "quasi en rupture de gaz en juin-juillet", ses plus gros mois. Impossible de réaliser d’importants stocks en amont, ses cuves pouvant stocker 105 tonnes au maximum.

"Lors de la Coupe du monde 2018, tous les industriels en quête de gaz alimentaire se sont rués vers le site de Coblence."

Le duo de repreneurs de L2PI, son ex-directeur et son ancienne experte-comptable, prend alors conscience de la vulnérabilité de la PME rachetée cinq ans auparavant. La société fondée en 1990, à l’origine spécialisée dans le remplissage d’extincteurs, s’était petit à petit focalisée sur le marché du gaz alimentaire pour le tirage pression, aujourd’hui sa principale activité, loin devant le dioxyde de carbone pour les pièges à moustiques et les adoucisseurs d’eau. Elle conditionne 20 000 tonnes de CO2 par an dans des bouteilles consignées de 2 à 35 kg – plus d’un million sont en circulation –, mais aussi des casiers de 450 kg destinés aux microbrasseries.

Valoriser le CO2 issu des procédés de méthanisation

Son dioxyde de carbone est fourni pour un tiers par Air Products. Le gazier récupère le CO2 issu des procédés de production d’amidon de Roquette (Bas-Rhin) et d’engrais ammoniaqués de Yara à Tertre (Belgique). Les deux tiers restants sont extraits de puits souterrains : un CO2 d’origine géologique séquestré dans le sous-sol et exploité par l’allemand Carbo à Bad Hönningen (Allemagne), une ville thermale, au nord de Coblence. Jean-Louis Druart se souvient que "lors de la Coupe du monde 2018, tous les industriels en quête de gaz alimentaire se sont rués vers ce site".

La solution pour sécuriser les approvisionnements de L2PI a été apportée par l’entreprise MD Biogaz à Bar-sur-Seine (Aube). Son président, Baptiste Dubois, cherchait à valoriser le CO2 issu de ses procédés de méthanisation. "La dégradation de résidus agricoles, d’effluents d’élevages et de déchets agroalimentaires génère du biogaz. Avant d’être injecté dans le réseau, ce gaz doit d’abord passer par une phase d’épuration destinée à séparer le biométhane (55 à 65 %) du dioxyde de carbone (35 à 45 %). Le CO2 qui avait été initialement capté par les plantes pour leur croissance est relargué dans l’atmosphère. Or, son degré de pureté (99 %) présente un potentiel non négligeable pour un industriel", explique-t-il.

L’entreprise dispose d’une flotte de quinze semi-remorques et trois citernes roulantes — Photo : Philippe Bohlinger

Massifier la production de gaz par méthanisation

Après avoir sondé les producteurs de Champagne et découvert que leurs célèbres bulles de gaz carbonique proviennent de la fermentation alcoolique, le dirigeant fait la connaissance d’un viticulteur nettoyant ses cuves par cryogénie à partir de bouteilles de CO2 fournies par L2PI. Baptiste Dubois contacte l’entreprise de Void-Vacon qui est séduite par l’idée. Sa proposition sécuriserait ses approvisionnements, réduirait les trajets de ses camions-citernes et, cerise sur le gâteau, substituerait un CO2 renouvelable à un CO2 d’origine géologique. Mais à ce stade, les deux partenaires devaient encore lever trois obstacles. Il fallait tout d’abord massifier davantage la production de gaz par méthanisation : la production annuelle de MD Biogaz n’étant que de 2 500 tonnes de CO2. Un montage économique et financier couvrant les lourds investissements dans des liquéfacteurs de gaz restait ensuite à imaginer. Enfin, le projet impliquait de disposer à proximité d’un laboratoire d’analyse capable de certifier la qualité alimentaire du gaz.

GRDF Est a mis L2PI en relation avec deux autres sociétés de méthanisation : Méthatoul (Meurthe-et-Moselle) et Arraincourt Biogaz (Moselle). À eux trois, ils atteignaient la taille critique de 12 000 tonnes de CO2 par an. Chacun a investi 1,5 million d’euros dans des liquéfacteurs pour nettoyer, sécher, refroidir et filtrer le gaz en vue d’atteindre un taux de pureté du CO2 liquide de 99,9 %.

La société meusienne commercialise du CO2 pour le tirage pression, les pièges à moustiques et les adoucisseurs d’eau — Photo : Philippe Bohlinger

Contrats d’achat sur dix ans

Leurs investissements ont été sécurisés via un contrat d’achat long termes sur dix ans. L2PI en a profité pour augmenter d’un palier ses standards de qualité alimentaire, en visant la nome ISBT (International Society of Beverage Technicians), celle exigée par un célèbre fabricant mondial de sodas gazeux. Pour assurer les contrôles qualité sur chaque cuve de 30 tonnes, avant le transport du CO2, MD Biogaz a créé un centre d’analyse qualité, portant son budget total à 2 millions d’euros, un investissement soutenu par la Région Grand Est et l’Union européenne.

Cette production de CO2 à faible impact environnemental va monter en puissance à partir d’avril en vue d’atteindre sa vitesse de croisière en juillet 2024. À l’horizon 2025, L2PI compte embouteiller 80 % de gaz issu de la méthanisation, tout en conservant 20 % d’origine industrielle. Quant au surcoût de ce gaz dit "biogénique" car produit par des organismes vivants, il est estimé à 25 et 30 %. Mais la sécurisation et le verdissement des approvisionnements valaient bien cet effort, estiment les dirigeants.

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