Coronavirus : ces risques qui vont peser sur les entreprises françaises 
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Coronavirus : ces risques qui vont peser sur les entreprises françaises 

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Jusqu’où ira le coronavirus Covid-19, apparue en Chine en décembre 2019 ? Si le bilan humain de l'épidémie s’alourdit de jour en jour, les premiers symptômes d’un ralentissement économique commencent à peine à se faire sentir. Ruptures d’approvisionnement, baisse des échanges, fragilisation de certains secteurs… la menace est pourtant réelle. Diagnostic de ces risques qui pourraient bien peser sur les entreprises françaises.

A Wuhan, centre économique de la Chine et foyer de l'épidémie de coronavirus, les ponts sont coupés avec le reste du monde et du pays : la ville est placée en quarantaine depuis le 23 janvier — Photo : San Sereyroth - Pixabay

Le coronavirus va-t-il finir par jeter un coup de froid sur la (déjà) frêle croissance française ? L’incertitude demeure, mais la question persiste, près de trois mois après l’apparition du virus Covid-19 dans la province du Hubei, en Chine.

Difficile d’y apporter une réponse claire, alors que l’épidémie continue de progresser. Plusieurs études permettent néanmoins d’évaluer le niveau d’exposition et les points faibles de la France face à un virus qui a, d’ores et déjà, déréglé la machine économique chinoise.

Impact limité sur la croissance française… pour l’instant

Si le bilan humain du coronavirus est actualisé quotidiennement (plus de 2 100 décès et de 75 000 cas diagnostiqués à ce jour), son impact économique, lui, paraît encore difficile à mesurer. Mais face à la propagation de la maladie dans l’un des poumons économiques de la planète, la question n’est pas tant de savoir si, mais de combien, le PIB français va être amputé en 2020, sous l’effet du Covid-19.

Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a estimé, le 13 février, qu'il en coûterait 0,1 point de croissance à l’Hexagone « si on estime que le pic (de l’épidémie) est atteint ou près d’être atteint ». Rien n’est moins sûr, mais l’hypothèse de Bercy est en ligne avec d’autres, qui tablent sur une baisse de 0,1 à 0,2 point dans la zone euro. À condition, bien sûr, que la situation sanitaire soit effectivement sous contrôle et que l’économie chinoise reprenne sa marche en avant d’ici à la fin du premier trimestre.

Fermetures d’usines et supply chain perturbée

L’ampleur des dégâts économiques causés par le coronavirus dépend en effet, et en grande partie, de la Chine. Non seulement parce que l’épidémie en cours reste relativement circonscrite à ce seul pays. Et surtout parce que la place centrale prise par l’Empire du Milieu (16 % du PIB mondial en 2018), dans une économie planétaire ouverte et interdépendante, fait craindre des réactions en chaîne. Et d’abord au niveau logistique et industriel.

« Le deuxième trimestre 2020 risque bien d’être celui d’une guerre logistique... »

La région touchée par le virus Covid-19 apparaît ainsi comme une plaque tournante des flux internationaux. Selon une évaluation de Dun & Bradstreet, elle concentrerait « 90 % de toutes les entreprises actives en Chine ». Or, au moins 5 millions de sociétés dans le monde compteraient un à plusieurs fournisseurs parmi elles.

Si l’épidémie perdurait, le risque serait donc grand d’une rupture des chaînes d’approvisionnement mondiales. Ce que redoute, par exemple, Frédéric Lescure, le PDG de Socomore, entreprise bretonne implantée en Chine... et ce qu'ont déjà expérimenté la PME nordiste Etigo et le groupe industriel mayennais Gys. Son PDG Bruno Bouygues prévient : « Le deuxième trimestre risque bien d’être celui d’une guerre logistique... »

• Électronique et textile sous la menace

Plusieurs secteurs en particulier pourraient être victimes de ces perturbations dans leur supply chain. Fin janvier, une étude d’Euler Hermes et Allianz retenait le cas de l’électronique et du textile - le premier du fait de la faiblesse de ses stocks, les deux en raison de leur dépendance à la Chine : le pays participe respectivement pour 19 % et 17 % de la valeur ajoutée dans la production globale de ces deux secteurs.

En la matière, la France a peut-être du souci à se faire : les produits informatiques et électroniques, ainsi que les textiles, formaient précisément les deux principales catégories de biens importés de Chine en 2018 (pour des montants de 14,8 et 9,9 milliards d’euros chacun).

• Coup de frein possible dans l’automobile

Autres activités sous la menace : la chimie et les transports. Dans ce dernier domaine, l’industrie automobile est en première ligne. Foyer de l’épidémie, la région de Wuhan en est un fief national, et même mondial. Résultat, selon le cabinet d’analyse TrendForce, les constructeurs du monde entier font face à des risques de pénurie sur les pièces produites en Chine. D’où une baisse attendue de 14 % du marché mondial au premier trimestre 2020.

En cause, les fermetures d’usines, imposées par les autorités, dans cette zone sous quarantaine. Une mesure appliquée aux sites de production des fournisseurs locaux, comme des entreprises françaises implantées sur place. Renault, PSA, mais aussi les équipementiers Valeo ou Plastic Omnium, ont ainsi vu leur activité complètement gelée dans la province du Hubei.

• Rideau baissé et salariés absents dans les usines françaises

Ils ne sont pas les seuls. L’avionneur européen Airbus a également été contraint à la fermeture de son usine de Tianjin. Le groupe Serta a connu le même sort, tout comme la PME Wirquin. Cette entreprise de Loire-Atlantique a repris son activité depuis. Comme elle a pu : seule la moitié des salariés était à leur poste à la réouverture. « Ce n’est pas si mal, relativise le vice-président de Wirquin, Grégory Le Coënt. Certaines des autres entreprises installées en Chine, avec qui je discute, ne comptent que 20 à 30 % de collaborateurs présents. »

Le taux et les délais de reprise du travail, couplés aux restrictions de circulation des biens et des personnes toujours en vigueur, vont donc encore peser lourd sur les entreprises présentes sur place.

Demande en berne et ventes en baisse

S’il reste encore difficile de mesurer l’ampleur des dérèglements provoqués par le coronavirus sur l’approvisionnement des entreprises françaises, l’impact économique de la maladie devient, en revanche, plus concret chez celles qui commercent directement avec la Chine ou y sont implantées.

Pernod-Ricard vient, par exemple, d’abaisser son objectif annuel de résultat opérationnel courant de 3 points pour 2019-2020 (croissance prévue de +2 % à +4 %, au lieu de +5 % à +7 %). Le fabricant de spiritueux réalise 10 % de ses ventes en Chine, son deuxième plus gros marché. Schneider Electric y réalise, pour sa part, 15 % de son activité. Et dit s'attendre, en conséquence, à un impact de 300 millions d'euros sur son chiffre d'affaires du premier trimestre 2020.

Mais l’inquiétude ne grandit pas que dans les grands groupes. Elle se propage aussi dans les PME installées en Chine. C’est ce que révèle un sondage, mené par plusieurs acteurs institutionnels représentant la France dans le pays (Business France, Conseillers du commerce extérieur, CCI France Chine, French Tech Shanghai et l'Ambassade) : 61 % des 466 entreprises interrogées craignent que leur chiffre d’affaires aille jusqu’à chuter de moitié au premier semestre 2020. Et pour celles qui ont déjà évalué leur besoin de trésorerie pour compenser leurs pertes, la facture pourrait être salée : 200 000 euros en moyenne pour les TPE, 1 million pour les PME. Un impact financier subi indirectement par le groupe messin Maison Dufossé.

Principales difficultés attendues par les 466 entreprises françaises présentes en Chine et interrogées par les réseaux économiques français dans le pays — Photo : Nextstep Studio

• Le déséquilibre des relations bilatérales préserve la France

Qu’en est-il pour les entreprises françaises qui exportent vers la Chine ? L’impact de l’épidémie devrait rester relativement limité.

Au niveau mondial, détaille une note d’Euler Hermes et Allianz parue le 7 février, le ralentissement des exportations de produits et services vers la Chine dû au coronavirus entraînerait des pertes potentielles de 26 milliards de dollars par semaine (24 milliards d'euros). La croissance du commerce international serait ainsi amputée de 0,5 point.

En France, et pour le seul export de biens, le manque à gagner hebdomadaire ne dépasserait toutefois pas les 200 millions de dollars (185 M€, 16e pays le plus touché). Une situation qui reflète un déséquilibre bien connu : la Chine n’est que le 7e client de l’Hexagone (pour une part de marché évaluée autour de 1,4 %), avec à peine 21 milliards d’euros d’exportations contre 50 milliards d’importations.

De la même manière, les liens capitalistiques limités entre sociétés des deux pays protègent relativement la France des baisses d’activité et de revenus suscités par l’expansion du coronavirus. Dun & Bradstreet a ainsi calculé que, sur les 49 000 filiales de sociétés étrangères basées dans les régions chinoises touchées par la maladie, seuls 2 % avaient une maison-mère française (10e pays le plus représenté). Inversement, 5 % des entreprises de cette zone ont des succursales en France (7e position).

• Vigilance sur le tourisme et les services

En revanche, dans les services liés au tourisme, la France pourrait perdre 130 millions de dollars par semaine (120 M€, 7e pays le plus touché). En 2018, 2,2 millions de Chinois étaient venus visiter l’Hexagone et y dépenser 4 milliards d’euros. En matière de voyages, Air France-KLM s'apprête déjà à payer le prix fort : le groupe estime que la suspension de ses vols de et vers la Chine, jusqu'au 15 mars, abaissera de 150 à 200 millions d'euros son résultat d'exploitation, entre février et avril.

L’agence Moody’s notait par ailleurs, cette semaine, que les services étaient l’un des trois principaux vecteurs par lesquels le ralentissement économique attribuable au Covid-19 allait se répandre. Un constat partagé par les entreprises françaises du secteur tertiaire implantées en Chine : près d'une sur cinq pense perdre jusqu'à 80 % de son chiffre d'affaires dans cette crise (deux fois plus que dans les entreprises industrielles), selon le sondage réalisé par les réseaux français présents sur place.

À la lumière de ces différents indicateurs, la France paraît toutefois bien moins exposée que les voisins régionaux de la Chine (Hong Kong, Japon, Corée du Sud) ou que ses principaux partenaires occidentaux, comme les États-Unis et, dans une moindre mesure, l’Allemagne et le Royaume-Uni. Mais l’ampleur du préjudice économique pourrait n’apparaître réellement que dans les prochaines semaines, lorsque les entreprises n’auront plus assez de stocks pour faire le dos rond. Ensuite ? Tout dépendra de la principale inconnue du moment : l'intensité et la durée d'une épidémie que les autorités chinoises ont jusqu'à présent peiné à endiguer.

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