"Chez Yeast, le montant investi par an et par membre est très supérieur à la moyenne des business angels"
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Christophe Pacaud président du réseau de Business Angels Yeast "Chez Yeast, le montant investi par an et par membre est très supérieur à la moyenne des business angels"

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À la barre de Yeast, Christophe Pacaud, le fondateur d’ITC Piercing, pilote le réseau lorrain de business angels qui compte aujourd’hui 33 membres. Plus structuré, disposant de plus de moyens, le réseau veut "garder son état d’esprit" tout en en continuant à se développer.

Christophe Pacaud est le président du réseau de business angels Yeast — Photo : Industriel Photographe - Jérôme Baudoin

Avec un total de 2,2 millions d’euros investis en 2023 dans huit start-up et plus de 9 millions d’euros dans 44 start-up en dix d’existence, Yeast est devenu un réseau de business angels de référence dans le Grand Est et même en France. Que retenez-vous de cette montée en puissance ?

Cela s’est fait petit à petit. Je suis dans le réseau depuis 9 ans, et c’était alors très différent d’aujourd’hui, puisque nous étions peu nombreux, nos moyens d’investisseurs étaient limités et nous ne voyions pas le même type de start-up. Ce qui n’a pas trop changé, c’est que nous étions souvent en co-investissement, notamment avec les fonds du groupe ILP, parce que les montants ne permettaient pas de réunir l’enveloppe nécessaire à une levée de fonds. Entre-temps, nous avons cofondé Est Angels, ce qui a permis de réunir les cinq réseaux du Grand Est et de co-investir plus régulièrement ensemble. Nous faisons deux réunions par an pour mettre nos pratiques sur la table, les problèmes rencontrés, les succès. La bonne dynamique est surtout due au travail de l’équipe de la société Blue Omingmak, qui assure l’animation de Yeast. Ça fait 25 ans que son dirigeant, Boris Ouarnier, est dans l’écosystème start-up, et il travaille comme un fou avec son équipe sur ce projet depuis 10 ans.

Souhaitez-vous continuer à élargir le cercle des investisseurs de Yeast ?

Aujourd’hui, Yeast compte 33 membres et les nouveaux membres arrivent assez naturellement. Plus il y a de chefs d’entreprise dans l’association, plus nous avons des capacités à instruire des dossiers, plus les compétences sont importantes. Nous venons tous de métiers différents, et chacun amène sa petite pierre à l’édifice. En étant plus nombreux, nous faisons un meilleur boulot pour choisir les start-up, puis pour les aider pendant toute la période de leur développement. On a tendance à dire que les réseaux de BA (business angels) rentrent pour 4 à 5 ans. Mais en réalité, c’est plus souvent, 6, 7 voire 8 ans. La question qui se pose, c’est de savoir comment nous ferons pour garder l’état d’esprit, la façon de travailler, tout en grossissant. Nous avons déjà changé plusieurs fois de façon de travailler du fait de cet accroissement du nombre de membres.

"Un réseau de BA n’a qu’une seule vocation, c’est de rentrer pour aider et de sortir après."

Il y a une époque où les membres du réseau se retrouvaient au restaurant après avoir fait la session de pitch. Le restaurant à six, ça marche assez bien, à 8 ça marche encore, mais à 33 ça n’a plus beaucoup de sens. Et entre les start-up, les invités, les partenaires et les membres du réseau, nous sommes vite à 40 autour de la table. Donc c’est plus facile d’organiser une réunion et un apéritif dînatoire derrière, avec tout le monde debout. Mais si un jour le réseau atteint 60 ou 70 membres, il faudra encore changer le format. Nous avons beaucoup de réflexions sur le fonctionnement, mais pour plein d’autres raisons, et notamment pour tendre vers une forme de semi-professionnalisation de nos activités. Nous avons beaucoup de formations et de documents écrits pour accompagner les instructeurs, ce qui n’était pas le cas avant. Nous avons aussi des sujets de réflexion sur les outils tels que les pactes d’associés, parce que les pratiques évoluent.

Pourquoi avez-vous multiplié les signatures de partenariats avec les acteurs de l’écosystème de l’innovation et du financement ?

Aujourd’hui, nous sommes plus structurés, donc nous officialisons les choses et nous signons des partenariats. Nous avons signé avec l’ILP, mais ça faisait des années qu’on travaillait ensemble. Avec l’Incubateur Lorrain, c’est pareil. Aujourd’hui, c’est un de nos meilleurs pourvoyeurs de start-up sur le Grand Est. Donc nous avons officialisé un partenariat, mais il était déjà là.

Parmi les projets pour le futur de Yeast, figure la dynamisation du financement et des cessions des start-up du portefeuille. Concrètement, qu’est-ce que vous voulez faire ?

Nous arrivons à un âge où il y a des sorties qui commencent à se présenter. Le but est d’accompagner au mieux les start-up dans ces sorties. Ça veut dire à la fois les accompagner dans la façon dont il est possible de le faire, mais aussi ne serait-ce qu’en parler. Quand on est dans les premières années, on a tendance à ne pas trop parler de la sortie, alors que la sortie, en réalité, est annoncée le jour où nous rentrons. Un réseau de BA n’a qu’une seule vocation, c’est de rentrer pour aider et de sortir après. Donc il faut bien que ce soit clair dans la tête de tout le monde : je dirais qu’un dirigeant de start-up qui voudrait garder sa société pendant 30 ans, ça ne pose absolument aucun problème, mais à un moment ou un autre, il faut s’occuper de la sortie des BA. Le but, c’est de structurer la réflexion. Et donc de les amener systématiquement à en parler, ce qui n’était pas nécessairement la pratique courante il y a encore 4 ou 5 ans. Et ça fait partie des axes de développement, notamment parce qu’en fonction de la taille des sociétés, il faudra peut-être travailler avec certains fonds ou industriels qui pourraient être amenés à racheter ces sociétés, ou les aider dans une levée de série A, ce qui normalement n’est plus notre sujet.

Où en êtes-vous de la création d’un fonds de co-investissement destiné à une catégorie de membres préférant investir via un véhicule collectif ?

Cela fait partie des pistes de développement à l’étude en 2024. Sachant que c’est assez éloigné de notre modèle d’origine. C’est le modèle des SIBA (société d’investissement de business angels), dans lequel chacun met, par exemple, 20 000 euros au pot commun, lequel va ensuite investir dans plusieurs start-up. Un fonds, ça peut être une façon de faire rentrer des gens qui ne désirent pas instruire des dossiers, participer comme nous on le fait, mais qui ont envie d’investir dans de l’Equity. Auquel cas, ça pourrait être une porte d’entrée, notamment avec la nouvelle loi fiscale, pour les personnes qui veulent défiscaliser. Cela permettrait de proposer un fonds pour une nouvelle catégorie de membres (avec moins de temps ou moins de moyens), et ce fonds co-investirait aux côtés nos membres historiques, aux mêmes conditions. À noter que nous avons une particularité chez Yeast, c’est que nous avons un montant investi par an et par membre qui est très supérieur à la moyenne nationale. La moyenne nationale, c’est 25 000 euros par membre et par an, chez nous, on est à 75 000 euros.

Le marché du capital-risque a ralenti fortement en 2023, quand les business angels de Yeast ont beaucoup travaillé. Comment faut-il comprendre cette situation ?

La plupart du temps, quand on parle d’Equity, on donne des chiffres globaux, et on y met dedans les gros, les familly offices, les fonds d’investissement, des gens qui ont des moyens monstrueux. À côté, nous sommes des lilliputiens. Je pense que la croissance que nous avons est due à l’envie des membres, peut-être à l’ambiance, peut-être au travail de l’équipe d’animation qui fait que tout est très bien structuré. Il y a une vraie gestion du "deal flow", du nombre de start-up qu’on voit par an, de la qualité de la pré-instruction. L’équipe voit 130 start-up par an, pour en présenter 20 ou 25 aux membres du réseau. Au final, nous en instruisons 12 et on investit dans 5 (plus 3 réinvestissements).

"On le voit bien, c’est assez rare que les start-up réalisent leur business plan… "

Il y a quand même un entonnoir qui est assez violent. C’est compliqué de comparer cela avec l’argent qui est globalement injecté dans des sociétés à l’échelle mondiale. Je sais que ce sont les très grosses levées qui ont le plus souffert. Mais nous, ce n’est pas notre domaine. Ce n’est pas tout à fait le même métier, pas la même échelle de risques. Nous sommes des chefs d’entreprise de la région qui ont décidé d’investir dans les sociétés qui nous entourent pour dynamiser le bassin d’emploi, dynamiser la création d’entreprise dans l’endroit où nous vivons, et c’est passionnant ! Ce n’est pas pareil d’investir 10 ou 50 millions d’euros dans une entreprise et d’investir 300 000 euros. Notre ticket moyen, c’est entre 250 000 ou 300 000 euros, ça reste des tickets qui sont assez raisonnables.

La gourmandise des porteurs de projet sur le niveau de valorisation de leur société est toujours d’actualité ?

C’est toujours d’actualité. Mais c’est parce que les porteurs de projet font des business plans qui sont un peu ambitieux. Et la valorisation de la société, elle est liée à son cap. Donc si un porteur de projet pense qu’il va faire 8 millions d’euros de chiffre d’affaires dans 3 ans, la valorisation va être collée à ce qu’il essaye de vendre, c’est-à-dire son bilan prévisionnel. Et comme les business plans (BP) sont trop ambitieux, les valorisations sont trop ambitieuses. Mais on le voit bien, c’est assez rare que les start-up réalisent leur BP… On essaie d’être raisonnable parce qu’après, ça pose aussi le problème de la sortie ou des levées suivantes. Une société dans laquelle vous allez rentrer à une valorisation de 2 millions d’euros, si au bout de 4 ans elle n’a pas réussi, ce n’est pas facile de récupérer vos billes. Mais ce n’est jamais la valorisation qui va empêcher un investissement. Ce qui va empêcher un investissement, c’est que ce qui nous a été dit n’est pas vrai, soit par omission, soit parce qu’un porteur de projet ne vous dit pas la vérité quand vous lui posez une question.

Le Grand Est est-il un terrain fertile pour les start-up ?

Oui et il y a une raison toute simple. Le Grand Est est la deuxième région de France en écoles d’ingénieurs et en laboratoires de recherche derrière l’île-de-France. Donc ça veut dire que nous sommes dans la deuxième région qui a le plus de chercheurs, d’ingénieurs et de laboratoires de recherche. Du coup, il y a beaucoup de start-up technologiques, avec des sujets qui sont souvent assez passionnants. Parfois, c’est un peu loin de la réalité économique, c’est-à-dire qu’il est compliqué de voir comment le projet va pouvoir devenir quelque chose de viable et de rentable dans les années qui viennent. C’est notamment le cas de beaucoup de projets dans le domaine médical. Souvent, sur ce sujet, nous hésitons à y aller parce que nous n’avons pas vocation à accompagner des sociétés en faisant trois levées de fonds successives pendant 7 ans afin que le projet puisse aboutir un jour, et que la molécule découverte puisse réellement faire une application au niveau de la santé. D’autre part, avec les gens qui sont vraiment de purs chercheurs, il est difficile de savoir s’ils auront la capacité à diriger une entreprise. Est-ce qu’un bon chercheur est un bon chef d’entreprise ? Peut-être, mais c’est difficile de le dire tant qu’il n’a pas essayé.

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