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Bordeaux en passe de devenir un hub mondial de la connectivité
Enquête Bordeaux # Télécoms # Collectivités territoriales

Bordeaux en passe de devenir un hub mondial de la connectivité

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Surfant sur le déploiement du câble de fibres optiques du consortium industriel "Amitié" entre les États-Unis et la Gironde, le territoire bordelais veut se hisser au rang de champion mondial de la connectivité. Le data center de l'américain Equinix à Bruges, près de Bordeaux, devient l’épicentre de cette stratégie.

Le câble sous-marin de fibre optique transtlantique Amitié a débarqué en septembre 2021 sur une plage du Porge, en Gironde — Photo : Orange

À bas bruit. L’expression trouve ici une éclatante illustration. Le câble du consortium Amitié, reliant sur 6 800 kilomètres le continent américain à l’Europe, a débarqué sur les côtes girondines en septembre 2021, puis à quelques encablures de Bordeaux, sans plus de clapotis. Opéré par le géant américain Equinix, le point de connectivité de Bruges, au cœur de la zone de fret, constitue pourtant une nouvelle donne pour le monde des opérateurs télécoms et hébergeurs de données.

Le groupe français Orange est de l’aventure. Partenaire du consortium Amitié qui regroupe Facebook, Microsoft, Aqua Comms et Vodafone, l’opérateur de télécommunications tricolore entend bien prendre une position de leader sur le front transatlantique, déjà présent sur le système du câble transatlantique Dunant mis en service en Vendée sous la houlette de Google.

Bordeaux s’impose comme la nouvelle station stratégique d'Orange pour accompagner la montée en charge du câble Amitié via les deux paires de fibres optiques qui lui sont réservées sur ce système, pour une capacité pouvant aller jusqu’à 23 Terabyte par seconde chacune. "Bordeaux va devenir un nouveau nœud télécom d’importance avec un accès direct vers l’Europe du Nord – Francfort, London, Amsterdam et Paris –, vers Lyon, Marseille et vers la péninsule ibérique", confirme Jean-Maurice Bentolila, de la direction Orange Grand Sud-Ouest.

Première mondiale pour Equinix

Mettre un pied à Bordeaux, un autre géant en a très bien - et très vite- compris le colossal intérêt. Pour qui compare le méga câble à un TGV, il est aisé de comprendre que Bruges en est la gare. Et c’est Equinix, leader mondial de l’infrastructure numérique, qui a décroché la timbale en devenant le chef de gare au sein de son data center BX1 de 4 mégawatts. Sur 20 000 m2 en bord de rocade, Equinix inaugure ainsi son premier data center régional, pour 37 millions d’euros d’un premier investissement. "Nous avons créé ce centre à Bruges parce que le câble (transatlantique) arrivait, et pour accompagner le mouvement du edge computing qui veut que l’informatique se rapproche des sources de production de la donnée, laquelle vient désormais à 50 % de nos voitures, des usines, de la ville… Il y a donc besoin d’avoir ce type de data center intermédiaire pour améliorer la performance et diminuer les coûts. C’est le premier de ce type pour Equinix", explique Régis Castagné, directeur général France d’Equinix, saluant en outre une dynamique du territoire bordelais, "en avance sur les sujets de smart city (ville intelligente, NDLR)". Conforté par cet élan, le site brugeais d’Equinix évoque son extension prochaine.

Interconnectés au sein d’un même hub

"Aujourd’hui, la moindre entreprise qui va développer des sujets autour de l’internet des objets, de l’intelligence artificielle, de la réalité augmentée, du big data, de l’analytique, va utiliser un écosystème de partenaires, pour créer une solution. Cet écosystème a besoin d’infrastructures pour faire circuler ses données de manière performante, sécurisée et peu onéreuse. Le seul moyen d’y arriver, c’est de retrouver tous ces écosystèmes au sein d’un même data center. En nous implantant à Bordeaux, nous amenons ici tous les écosystèmes qui existent au niveau mondial", reprend Régis Castagné, évoquant la métaphore d’un hub de transport où se croisent désormais les plus puissants opérateurs de télécom, de cloud et les acteurs locaux. "Prenons l’exemple de Cheops Technology, ce client de longue date à Paris est en cours d’installation sur le data center BX1 pour y prendre les écosystèmes directement ici", illustre Régis Castagné. " Pour nous, Bordeaux est à deux heures de Paris en TGV. Pour les données c’est désormais à 6,2 millisecondes", poursuit-il, se félicitant d’un temps de latence divisé par deux. Et des coûts qui le seraient d’autant.

Garder la maîtrise de ses données

Une proximité, une mutualisation, gage de rapidité, d’économies donc et de sécurité aussi. L’enjeu de souveraineté se lit dans les intentions de la Métropole de Bordeaux, qui a facilité l’arrivée d’Equinix sur son territoire. La collectivité est par ailleurs engagée dans un projet de mutualisation des services numériques à l’échelle de 15 collectivités. "Le développement du numérique à l’échelle des territoires et la nécessité d’être dans une grande confiance émettrice des données justifient de plus en plus l’utilisation de data centers de proximité, pour consolider l’ensemble de nos traitements informatiques sur des points qui soient performants et sécurisés, pour en garantir la souveraineté et la maîtrise et aussi pour limiter l’impact carbone", argumente Jean-Noël Olivier, à la tête de la direction générale numérique et systèmes d’information de Bordeaux Métropole.

L’établissement public voit en outre, à partir de l’arrivée du câble Amitié puis de son écosystème, l’assurance de disposer de puissances de calculs réclamés par ses chantiers et les transitions technologiques. "Il faut se projeter et envisager les infrastructures à fournir pour les véhicules connectés, voire les véhicules sans chauffeur", illustre ainsi le directeur. Résorber les bouchons, réguler les feux de circulations, les passages des rames du tram, gérer les réseaux d’eau, d’assainissement, analyser l’impact de la plantation d’un million d’arbres… "Les sujets sur le traitement de la donnée sont très nombreux, mais nous sommes très attentifs à ne pas déployer de la technologie pour de la technologie", nuance Jean-Noël Olivier.

Même mesure au sujet des data centers : "La Métropole n’a pas vocation à devenir terre d’hébergement de data centers. Mais il faut trouver le bon équilibre, qu’on ait les infrastructures qui répondent aux besoins des collectivités, des pouvoirs publics et des entreprises. Nous n’accusions pas de retard vis-à-vis de villes telles que Toulouse ou Nantes, mais il est certain que désormais nous prenons un train d’avance. L’enjeu, c’est vraiment de devenir un hub, un vrai point d’interconnexion."

Déclencheur d’opportunités

"Un hub mondial de connectivité", renchérit Mathieu Le Treut, directeur général de CIS Valley (160 salariés, 39 M€ de CA en 2021), entreprise bordelaise de services numériques intégrée en décembre 2021 à la branche IT du groupe drômois Koesio, client d’Equinix à Paris. "Le fait qu’Equinix soit désormais installé à Bordeaux est vraiment une opportunité pour le groupe. Au-delà des questions de coûts, j’y vois davantage un maillage pour connecter les data centers du territoire français au haut débit. Porte de collecte télécom, site de plan de reprise d’activité pour nos clients… il y a énormément de sujets possibles. Nous sommes en train d’en étudier toutes les possibilités, les éléments techniques et financiers de ces opérations. Et pour tous les acteurs de la place bordelaise, ne pas se poser ces questions, c’est une erreur", prévient Mathieu Le Treut. Quant à savoir si ce premier câble transatlantique vient combler un manque, la réponse du directeur de CIS Valley sonne une nouvelle fois comme une évidence : "Marseille est une place forte qui se connecte au Moyen-Orient et à l’Asie, Bordeaux va devenir son équivalent vis-à-vis du territoire américain où sont tous les grands acteurs du cloud".

Bordeaux va monter sur le podium

Arrivé il y a tout juste un an à Bordeaux, le marseillais Jaguar Network (200 salariés, 40 M€ de CA), confirme que l’écosystème numérique girondin va profiter d’une nouvelle attractivité. Présent également à Lyon depuis 2018 à l’occasion du rachat de DCforDATA, l’opérateur et hébergeur marseillais, filiale BtoB du groupe Iliad, ose la comparaison. "Lyon a un positionnement de métropole d’équilibre entre Paris et Marseille, mais pas de façade maritime et donc pas d’arrivée de câbles sous-marins. Marseille, en tant que hub mondial pour les télécommunications, est intégré au top 10 et Bordeaux va suivre une trajectoire similaire, avec cette ouverture vers la façade atlantique", prédit Radu Calin, responsable marketing PME de Jaguar Network.

Sans attendre, le groupe marseillais va recruter plus de 200 collaborateurs dans le cadre d’un projet d’accélération. Un investissement global de 90 millions d’euros pour 2022, à Marseille, Lyon, Sophia Antipolis, Lille, Paris et Nantes. Bordeaux n’est pas en reste. Jaguar Network annonce la mise en place d’une boucle reliant ses trois installations sur les data centers de SFR à Bordeaux Lac, TDF à Bouliac et Equinix à Bruges, "puis par capillarité adresser nos clients avec des fibres Jaguar", annonce Radu Calin. "À Bordeaux, nous poursuivons notre logique de data centers et réseaux qui se complètent pour offrir un service de bout en bout, en tant qu’opérateur télécom et hébergeur cloud souverain", complète Franck Chautard, directeur de l’antenne bordelaise de Jaguar Network.

D’autres investissements viendront aussi d’Equinix. Son PDG Charles Mayers l’a annoncé à l’occasion de l’opération "Choose France" organisée à l’Élysée en janvier. "Nous disposons d’un portefeuille d’investissement supérieur à 1 milliard d’euros pour les cinq années à venir en France. Bordeaux en fait partie", assure Régis Castagné. Le site de Bruges se rêve en futur campus du géant américain, déjà en quête de nouveaux espaces à proximité de BX1. BX2 se prépare.

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