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Bernard Bigot (Iter Organization) : « Nous devons combattre le désamour pour l’industrie »
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Bernard Bigot directeur général d’Iter Organization Bernard Bigot (Iter Organization) : « Nous devons combattre le désamour pour l’industrie »

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Président de l’édition 2019 de l’événement L’Usine Extraordinaire, qui s’est déroulée à Marseille du 14 au 16 novembre dernier, Bernard Bigot évoque les besoins en main-d’œuvre de l’industrie. L’occasion aussi de faire le point sur les retombées économiques d’Iter, le plus important chantier d’Europe, qui ambitionne de mettre au point l’énergie du futur, issue de la fusion nucléaire.

Bernard Bigot est par ailleurs le président de l'édition 2019 de l'Usine Extraordinaire — Photo : D.R.

Le Journal des Entreprises : Vous avez accepté la charge de président de l’événement L’Usine Extraordinaire, qui s’est déroulée à Marseille courant novembre. Son objectif : réconcilier le grand public, et en particulier les jeunes, collégiens et lycéens, avec le monde de l’industrie. Plus de 20 000 personnes ont assisté à la rencontre. Pour vous l’industrie n’est pas appréhendée à sa juste mesure ?

Bernard Bigot : Nous sommes un pays d’ingénieurs, de techniciens hautement qualifiés, et pourtant, il existe encore beaucoup de préjugés sur le monde de l’industrie. C’est ce désamour qu’il nous faut combattre. De nombreux pays ont accru leurs niveaux de compétences, comme l’Inde ou la Chine, et proposent des coûts de fabrication bien moins élevés que les nôtres. Nous avons eu tendance à faire produire dans ces pays, mais cette stratégie n’est pas la bonne. Au final, ce sont non seulement des emplois en moins, mais également une perte de maîtrise des produits.

« Un nouveau monde industriel est en train de naître sans que le grand public ne s’en rende compte.»

Les mentalités évoluent. Le grand public veut consommer local et il est également assez attentif au respect des normes sociales et environnementales, ce que nous savons faire. L’Usine Extraordinaire a été l’occasion de montrer concrètement à quoi ressemble véritablement l’industrie. Il ne s’agit plus des usines pleines de bruit, de fureur, de graisse et de fumée du début du XXe siècle. Les normes de sécurité sont strictes et la digitalisation est partout. Même les objets les plus simples sont aujourd’hui dotés de capteurs électroniques.

Un nouveau monde industriel est en train de naître sans que le grand public ne s’en rende compte. Plus de 70 entreprises ont accepté de jouer le jeu et ont présenté leurs savoir-faire lors de la rencontre. En Paca, 90 % des entreprises industrielles sont des PME, dans l’aéronautique, dans la réparation navale…

Les entreprises industrielles ont-elles du mal à recruter ?

B. B. : Il y a, en France, un déficit de 250 000 emplois dans l’industrie. Les entreprises peinent à trouver les salariés dont elles ont besoin. Dans l’industrie, il y a certes des postes d’ingénieurs, mais il y a aussi besoin de nombreux techniciens très qualifiés : des soudeurs, des personnes qui pilotent des systèmes de contrôle-commande numériques. Et les emplois industriels sont ainsi près de 30 % mieux payés que les autres. Le salaire mensuel brut moyen dans l’industrie est de 3 310 euros, contre 2 300 euros dans les autres secteurs.

En dirigeant Iter Organization, vous êtes à la tête d’un projet industriel hors du commun. Où en est-on et quelles sont les prochaines échéances ?

B. B. : Nous venons d’achever les travaux de génie civil et nous allons maintenant passer à la phase d’installation des composants, qui ont été fabriqués dans le monde entier et vont transiter par le Grand port maritime de Marseille pour arriver jusqu'au site de Saint-Paul-Lez-Durance (Bouches-du-Rhône). Cette phase d’installation sera achevée d’ici à fin 2024.

Iter a vu le jour en 2007, date à laquelle 35 pays se sont engagés dans la construction du plus grand tokamak jamais conçu, une machine qui doit démontrer que la fusion - l’énergie du Soleil et des étoiles - peut être utilisée comme source d’énergie à grande échelle, non émettrice de CO2, pour produire de l’électricité. Notre tokamak sera dix fois plus grand que le plus important existant actuellement en Angleterre. Lui n’a généré que 16 MW de puissance. À Iter, nous ambitionnons de générer 500 MW pour une puissance d’entrée de 50 MW. Iter est une machine expérimentale, dont l’objet n’est pas ensuite de produire de l’électricité.

Le chantier se poursuit jusqu’en 2025, date à laquelle la première production de plasma est programmée (le plasma étant un gaz chaud issu de l'hydrogène, utilisé pour déclencher la fusion nucléaire). Quelles sont les retombées économiques du projet pour la Région Sud ?

B. B. : Le montant des contrats attribués à des entreprises implantées en région Paca est de 2 685 M€, soit tout de même 72 % du total des contrats attribués à des entreprises françaises (3 745 M€). Si l’on ajoute à cela les salaires des personnes travaillant sur le chantier qui sont dépensés en région, nous pouvons dire qu’Iter a généré 3 Md€ de retombées pour l’économie locale.

Nous avons 143 entreprises de Paca mobilisées sur le site, dans un large éventail de domaines d’activité, allant de la haute technologie, comme Bertin Technology ou la CNIM, au service, comme Onet ou Proman. Le premier plasma sera obtenu en 2025 et nous avons ensuite deux à trois années de test avant de produire de l’énergie. Pour les prochaines années, il reste encore 1,8 Md€ de contrats, dont les tout premiers liés au fonctionnement et à la maintenance.

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