Avec l’arrivée des gigafactories, le recrutement suivra-t-il dans les Hauts-de-France ?
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Avec l’arrivée des gigafactories, le recrutement suivra-t-il dans les Hauts-de-France ?

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Les annonces d’implantations dans la Batterie Valley que deviennent les Hauts-de-France se succèdent et se ressemblent, par le nombre conséquent de créations d’emplois prévues. De quoi se demander où ces employeurs comptent trouver leurs salariés, dans une région où les industriels peinent déjà à recruter.

Des équipes d’ACC dans l’une des usines du groupe. 1 800 recrutements sont prévus dans les Hauts-de-France pour l’usine de Douvrin — Photo : ACC

2 000 emplois chez Verkor et 3 000 chez Prologium, à Dunkerque, 1 800 chez ACC à Douvrin, 3 000 chez Envision AESC à Douai… En plus d’investissements se chiffrant en milliards, les annonces des implantations des futurs géants de la Batterie Valley ne font pas dans la demi-mesure concernant les promesses de créations d’emplois. Sans compter que, derrière les locomotives que sont les quatre gigafactories déjà annoncées – entre un et quatre autres dossiers seraient à l’étude, selon les sources - c’est toute une filière de la mobilité électrique qui se met en place. Avec à la clé à chaque fois, des créations d’emplois supplémentaires, depuis XTC qui s’implante à Dunkerque avec 1 700 salariés, jusqu’à Separ8 à Béthune, qui compte créer une unité de recyclage de batteries avec 500 salariés. "Au total, il va nous falloir entre 20 000 et 25 000 salariés supplémentaires dans l’industrie dans les années qui arrivent", s’enthousiasme Philippe Hourdain, le président de la CCI de Région. Selon ses chiffres, l’industrie dans les Hauts-de-France emploie aujourd’hui 271 250 personnes. Et peine déjà à recruter : bon nombre d’entreprises restent avec des postes à pourvoir sur les bras. Et certaines s’inquiètent de voir arriver de nouveaux acteurs, aux poches profondes, sur le marché.

Habiller Pierre sans déshabiller Paul

Le nerf de la guerre de la batterie électrique sera bien l’emploi. Comment ces immenses usines vont-elles trouver la main-d’œuvre dont elles ont besoin ? Et surtout, vont-elles réussir à atteindre leurs objectifs, sans débaucher les salariés déjà formés chez les voisins ?

"Certains industriels peuvent être un peu circonspects, mais la Batterie Valley va surtout être, un énorme appel d’affaires pour tous les sous-traitants du territoire" balaie Philippe Hourdain. "C’est une chance extraordinaire pour tout l’écosystème, y compris pour les PMI déjà en place. L’arrivée de ces nouveaux acteurs va donner un nouvel élan aux recrutements dans l’industrie, des jeunes ou des moins jeunes vont s’intéresser à ces métiers et s’y former. Et pour avoir échangé avec plusieurs des acteurs de la batterie, je vous assure qu’ils ne viennent pas en conquérants, ils ont au contraire une posture très humble. Ils sont tout à fait conscients qu’ils ne peuvent pas déstabiliser un écosystème dont ils vont être partie prenante de toute façon."

"Au niveau des recrutements, ça se détend un peu ces derniers temps", tempère pour sa part Corinne Molina, la dirigeante de Mäder à Villeneuve-d’Ascq (700 salariés, 200 M€ de CA 2022), et tête de pont de la French Fab, un mouvement rassemblant les industriels du territoire. "Il y a une vigilance de la part de certains, notamment ceux qui se trouvent à proximité des futures usines. Mais je ne sens pas de grande inquiétude pour le moment" assure la dirigeante.

Le fort ralentissement de l’activité industrielle, en 2023, rend certes moins criantes les difficultés de recrutement, qui ont constitué un frein majeur au développement des entreprises lors de la grande reprise post-confinements de 2021 et 2022. Mais il fragilise également les entreprises, et limite les efforts qu’elles peuvent consentir sur les salaires… et donc leur poids face aux recruteurs concurrents.

Former du monde…

Car sur ces secteurs d’activité encore nouveaux, la tentation peut être grande de débaucher chez les voisins, des salariés déjà bien formés et opérationnels. "On a un pacte de non-agression avec ACC", plaisantait ainsi à demi Jérôme Bodelle, le dirigeant du Critt M2A, cet automne. Le centre lensois de test automobile qui désormais se dédie entièrement aux tests sur les batteries de véhicules électriques, développe depuis quinze ans son savoir-faire sur ces sujets. Et tient à conserver l’expertise de ses salariés. "On prend en charge leurs contrôles qualité, et ils ne piquent pas nos gars," résumait son dirigeant.

Pour éviter les tensions, l’enjeu est donc d’amener rapidement le plus de monde possible au niveau d’employabilité pour les gigafactories. À cet égard, le nombre important de demandeurs d’emploi, qui représentent 8,9 % de la population active de la région selon les chiffres de la Dreets, (contre 6,9 % en France), constitue un réservoir intéressant. C’est en tout cas le pari de la Région, qui accélère sur la formation au service des industriels de la batterie. 80 millions d’euros ont été investis en 2023, dans le cadre du Programme Régional de Formation pour former 6 600 personnes dans la région, en recherche d’emploi ou en reconversion. Le dispositif passe notamment par le Battery Training Center, un plateau technique à 1,3 million d’euros, inauguré en juin 2023 par la Région et l’UIMM Hauts-de-France.

Calibré pour les besoins d’ACC (la co-entreprise créée par Stellantis, TotalEnergies et Mercedes), le programme du centre, qui dispense 400 heures de formation aux futurs salariés des usines de batteries, va ensuite s’adapter aux besoins des autres acteurs, au fur et à mesure de leur déploiement sur le territoire. Le parcours est qualifiant, "avec un taux de réussite proche des 100 %", glisse Mathieu Dos Santos, responsable RH chez ACC.

… Et miser sur le temps long

L’anticipation, c’est pour le moment la principale arme des gigafactories pour s’assurer des équipes nombreuses et opérationnelles, au moment d’appuyer sur le bouton. Envision AESC aura ainsi entamé ses recrutements deux ans avant son lancement. Lors du démarrage de la production dans son usine de Douai, prévu fin 2024, l’entreprise sino-japonaise devrait ainsi pouvoir s’appuyer sur plus d’un millier de collaborateurs : 40 managers, 100 ingénieurs, 280 techniciens, 600 opérateurs et 30 administratifs. Une partie de ces recrues aura été formée en Asie, avant même le début des travaux de son usine française. De même, le grenoblois Verkor a annoncé au mois de mai 2023 entrer en phase de recrutements pour les 1 200 premiers salariés de son usine Dunkerquoise… dont la production devrait démarrer en 2025.

De son côté, ACC, la première gigafactory à lancer son activité dans la région, débute plus modestement, mais s’apprête à entrer en phase d’accélération.

"Nous allons commencer à tourner début 2024 avec 400 personnes, et monter en charge progressivement pour atteindre les 1 800 salariés, vers 2026. La capacité maximale de production sera quant à elle, atteinte en 2030", présente Mathieu Dos Santos, responsable RH d’ACC. Soigneusement planifiées depuis trois ans, les différentes phases de recrutement menées par ACC lui ont permis de sécuriser peu à peu les différentes compétences dont elle a besoin, pour être pleinement opérationnelle au lancement des lignes. Le personnel encadrant, dont une bonne part vient de Stellantis, a ainsi été signé bien en amont, et le temps des travaux à Douvrin a été mis à profit pour le former, dans l’usine pilote d’ACC, à Nersac (16). Les opérateurs sont eux, toujours en phase de recrutement et de formation.

Les groupes résisteront-ils à l’envie de sortir le chéquier ?

"Aujourd’hui, nous avons 80 % de nos effectifs de cadres et ingénieurs. Nous sommes 400, l’objectif est d’atteindre les 1 000 personnes fin 2024. Nous recherchons en particulier, des conducteurs d’installation, des techniciens de maintenance, ou des superviseurs de production", détaille Mathieu Dos Santos. Des compétences déjà bien convoitées dans la région… Les grands groupes résisteront-ils longtemps à l’envie de dégainer leur chéquier pour faciliter les recrutements ?

Si ACC réfute toute politique salariale "agressive", "on se doit d’attirer les talents", reconnaît son DRH. Mais il plaide le réalisme, contre les fantasmes concernant la puissance de feu des gigafactories.

"Nous proposons des conditions de rémunération attrayantes, et des perspectives d’évolution, comme beaucoup de grands groupes. Nous voyons notre présence dans la région comme un soutien à l’emploi local, et une chance pour certains de relancer leur carrière, à proximité de leur point d’ancrage familial. Cela nous assure déjà en soi, de l’attractivité. Mais au niveau des salaires, nous restons bien sûr, en cohérence avec le marché du travail régional. Nous avons un enjeu de compétitivité très fort en nous implantant en France, quand notre principale concurrence est chinoise. L’équilibre va évidemment être une question vitale pour nous," rassure Mathieu Dos Santos.

Comment mieux attirer les talents ?

Malgré la main-d’œuvre disponible – moyennant formation — dans la région, un enjeu majeur pour les acteurs du territoire, est bien sûr d’attirer de nouveaux talents pour répondre à la demande. Pas si simple, au vu de la mobilité relativement faible des salariés Français et du déficit d’attractivité de la région, la seule de France métropolitaine dont le solde migratoire est négatif. "Si on n’arrive pas à attirer des gens, les recruteurs vont se servir dans les entreprises déjà existantes, qui vont se faire piller leurs cadres et leurs salariés", redoute Erik Cohidon, délégué général du Medef Côte d’Opale et président de Flandres Opale Habitat. Le bailleur social se mobilise, comme d’autres de ses confrères, pour lancer la construction de nouveaux logements dans le Dunkerquois, où les grands projets industriels, de l’implantation de Verkor et Prologium aux chantiers des EPR ou liés à la décarbonation, promettent des milliers de créations d’emplois.

Un besoin de nouveaux logements

"Autour de Dunkerque, on va avoir besoin de 12 000 nouveaux logements sur 10 ans, en social, en accession sociale à la propriété, et dans le parc privé. Proposer des logements accessibles et attractifs, c’est la condition principale pour réussir ce pari des créations d’emplois à Dunkerque. Il faut pouvoir accueillir les salariés et leurs familles, venant de la région ou de plus loin, dans de bonnes conditions. Et c’est à nous bailleurs, d’investir pour amorcer la pompe, pour être prêts d’ici deux ans quand la demande va vraiment exploser", présente Christophe Vanhersel, directeur général de FOH.

Flandres Opale Habitat lance donc des programmes pour construire 700 nouveaux logements par an pendant trois ans, mais aussi, innover en termes d’usages et de cibles. "Des appartements pourront être commercialisés en baux temporaires, avec des services hôteliers associés, pour accueillir les ouvriers qui vont venir travailler sur les grands chantiers du secteur. Nous allons renforcer ensuite notre offre locative, en logement social, mais aussi avec une offre premium. Des appartements familiaux de standing, pour les cadres des futures usines qui viendront s’installer à Dunkerque," détaille Christophe Vanhersel. En espérant que la réputation d’accueil des Hauts-de-France convainque au-delà des frontières régionales…

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