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Alain Di Crescenzo (CCI France) : "Les entreprises meurent à cause de leur trésorerie"
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Alain Di Crescenzo président de CCI France "Les entreprises meurent à cause de leur trésorerie"

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Alain Di Crescenzo, président de CCI France, tête de réseau des 122 chambres de commerce et d’industrie en France, fait le point sur les menaces qui pèsent sur les entreprises en ce début d’année. L’occasion également de présenter la feuille de route 2024 du réseau.

Alain Di Crescenzo, président de CCI France, voit les nuages s'accumuler pour l'économie française : "Attendons-nous globalement à des entreprises qui auront le pied sur le frein, sur les coûts, donc sur les embauches et les investissements." — Photo : David Bécus

Quelles sont les principales difficultés auxquelles sont confrontées les entreprises ?

Les PME nous disent "Je dois tenir le coup". Les inquiétudes concernent les délais de paiement et la trésorerie. Les entreprises meurent à cause de leur trésorerie. Celle-ci vient à la fois des marges et de la croissance, soit du volume de la demande. Les entreprises ont fait face à une croissance de 0,9 % en 2023, cela veut dire qu’il n’y a pas de volume, pas d’augmentation. À côté de cela, il y a l’inflation et des coûts qui augmentent, que les PME ne savent pas répercuter. Donc mécaniquement leurs marges, qui sont leur variable d’ajustement, baissent. Si leurs marges baissent et qu’elles sont endettées - car les PME sont plus endettées qu’avant -, mécaniquement, elles freinent leurs coûts et leurs investissements. C’est ce qui s’est passé en fin d’année dernière et c’est ce qui va se passer encore en 2024, même si l’inflation sera moins forte, d’autant qu’il y a une inertie à l’ajustement des taux d’intérêt par rapport à l’inflation. Attendons-nous globalement à des entreprises qui auront le pied sur le frein, sur les coûts, donc sur les embauches et les investissements.

"Les défaillances pourraient connaître un pic à fin 2024"

Autre indicateur qui n’est pas bon : 38 % des entreprises se plaignent de retards de paiement, jugeant ces retards pénalisants pour leur trésorerie (66 %) et plus fréquents (61 %). C’est un indicateur qui me fait peur, tout comme celui des défaillances. Nous avons dépassé 2019. Est-ce du rattrapage ? Peut-être, mais lorsque l’on voit à la fois le moral des chefs d’entreprise et les difficultés qui sont en face de nous, cela risque de durer. Les défaillances pourraient connaître un pic à fin 2024 et dépasser les 60 000 sur l’année.

Comment allez-vous accompagner ces entreprises en difficultés ?

Je salue la décision de Bruno Le Maire de repousser les échéances du PGE. Sinon, dans le commerce et la construction, nous aurions rapidement touché les 60 000 à 70 000 défaillances, ce qui risque d’arriver, mais arrivera du coup plus tard. Nous allons accentuer notre accueil pour pouvoir aider les entreprises en difficulté. Mais le problème que nous avons est que lorsqu’elles viennent nous voir, c’est souvent déjà trop tard. Nous devons arriver à "les éduquer" afin que, dès qu’elles commencent à percevoir une tension, elles viennent voir les CCI ou tout autre réseau d’aide et regardent les procédures qui existent pour leur donner de l’oxygène. Il en existe beaucoup en France, mais lorsque c’est trop tard, les entreprises passent directement en liquidation. C’est ce qui se passe aujourd’hui.

Quels sont priorités du réseau des CCI ?

Nous nous en sommes fixés cinq pour 2024 : croissance, compétitivité, résilience, proximité, compétences. Nous avons sélectionné des pépites du Made in France et voulons les accélérer. Sur le sujet, il y a à la fois un effet prix et un effet éducation. Oui il y a un prix plus élevé au départ, mais nous devons éduquer les consommateurs ou les investisseurs au coût total d’acquisition. Sur la compétitivité, si on équilibrait la parité hommes-femmes, sur le million d’entreprises qui ont été créées l’an dernier, on créerait 200 000 entreprises de plus. Autre chantier, la transition. Nous devons accélérer sur cette compétitivité, soit passer à plus de 50 000 entreprises accompagnées dans les transitions. Demain, on ne vendra plus un seul produit carboné.

"La France a déjà loupé plusieurs trains, que ce soit sur le software, l’hébergement ou le cloud. Mais nous pouvons encore jouer sur l’IA"

Sur les compétences, la France a déjà loupé plusieurs trains, que ce soit sur le software, l’hébergement ou le cloud. Mais nous pouvons encore jouer sur l’IA. Nous sommes prêts à accompagner les entreprises sur le sujet et à créer des écosystèmes. Autre sujet clé, la transmission. 25 à 30 % des entreprises sont dirigées par des gens de mon âge [61 ans, NDLR] qui ne représentent pas le futur. Il faut régler le problème de la transmission, sinon nous risquons d’avoir des no man’s land, notamment dans les paysages ruraux, de faire face à une perte de compétences et à un chômage qui explose. Autre chantier, la simplification. Si je prends l’exemple de l’énergie, il existe plus de 500 aides à date. Quand vous êtes une PME, c’est compliqué de s’y retrouver. Nous allons créer un système informatique pour orienter l’entreprise sur l’aide qui correspond à son besoin. Il va falloir que nous bougions pour faire en sorte que le pays soit plus agile. L’agilité, c’est la compétitivité.

Quelles sont les contributions des CCI à l’atteinte du plein emploi ?

Le plein emploi, c’est de l’incantation s’il n’y a pas un process total. Cela passe par de l’anticipation sur les besoins – ce que nous faisons sur les bassins d’emploi avec les Régions notamment –, la création de formations sur les métiers émergents et de cours additionnels pour les formations aux métiers sous tension. Nous travaillons à la fois sur l’orientation pour remplir les formations existantes et sur le matching avec beaucoup d’opérations pour faire rencontrer des entreprises qui ont des besoins et des personnes qui veulent travailler via l’organisation de speed-datings par exemple ou via nos partenariats avec de nombreuses plateformes digitales de matching. Nous avons par ailleurs signé en octobre 2023 un partenariat cadre avec France Travail qui a vocation à se décliner en régions. Nous ambitionnons d’être dans France Travail la contrepartie entreprises afin de s’assurer que l’opérateur considère le besoin de l’entreprise comme tout aussi prioritaire que le traitement du demandeur d’emploi. Enfin, nous faisons du cas par cas avec certaines entreprises comme nous avons par exemple pu le faire avec EDF. Sur l’apprentissage, nous formons aujourd’hui 120 000 apprentis, avec un taux d’emploi à six mois de plus de 75 %. Nous voulons suivre la progression de l’État, c’est-à-dire arriver rapidement à un million d’apprentis. Pour cela, nous créons des CFA quasiment tous les jours.

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