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Philippe Gonçalves (Seuil Architecture) : « Créer un bâtiment durable peut constituer un projet d’entreprise »
Interview Toulouse # BTP

Philippe Gonçalves co-fondateur de l'agence Seuil Architecture Philippe Gonçalves (Seuil Architecture) : « Créer un bâtiment durable peut constituer un projet d’entreprise »

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Pour son projet d’usine à énergie positive réalisé pour Aerem, l’agence Seuil Architecture (15 salariés, CA 2019 : 800 000 euros) a obtenu quatre prix nationaux et internationaux. Une reconnaissance pour son co-fondateur et co-gérant Philippe Gonçalves, l’un des pionniers du bâtiment durable à Toulouse. Celui qui préside aussi l’Ordre des architectes en Occitanie plaide pour une prise en compte des coûts globaux de la construction.

Co-gérant de l'agence toulousaine Seuil Architecture avec son épouse Leslie, Philippe Gonçalves préside aussi l'Ordre des architectes d'Occitanie. — Photo : © Seuil Architecture

L’usine que vous avez construite à Pujaudran pour Aerem a remporté quatre prix nationaux et internationaux* en 2019. Comment expliquez-vous ce succès ?

Philippe Gonçalves. C’est la double dimension, à la fois sociale et environnementale, qui m’a séduit dans ce projet. Sur le plan social, nous avons développé avec Aerem des outils d’assistance à maîtrise d’usage, inspirés de nos pratiques pour le logement participatif : il s’agissait, via des ateliers qui ont impliqué toutes les fonctions de l’entreprise, de définir le meilleur projet d’un point de vue fonctionnel et humain. Sur le plan environnemental, nous avons pu travailler avec un maître d’ouvrage qui a immédiatement intégré la notion de coût global : une approche qui ne se limite pas aux montants d’investissement mais englobe aussi les dépenses d’entretien ou d’énergie engendrées par le bâtiment tout au long de sa vie. Cela nous a conduits à une très grande exigence pour trouver des solutions durables sur le très long terme, y compris par le choix de matériaux biosourcés. On se retrouve avec un bâtiment à énergie positive, c’est-à-dire qui produit plus d’énergie qu’il n’en consomme, et avec une chaudronnerie isolée avec de la paille !

S’agit-il d’un projet d’exception ou d’autres entreprises pourraient-elles s’en inspirer ?

P. G. Tout le process peut être dupliqué. Les performances techniques du bâtiment s’inspirent de principes fondamentaux : un bâtiment bien orienté, avec une enveloppe performante et des matériaux adaptés aux contraintes techniques du projet. La démarche d’analyse des besoins en amont est elle aussi reproductible. Nous démarrons d’ailleurs en 2020 un nouveau projet pour une Scop du bâtiment, avec le même travail d’accompagnement sur les usages et la même recherche d’un bâtiment économe, mais cette fois en réhabilitation.

Que faudrait-il alors pour convaincre davantage de PME de se lancer dans la démarche ? On évoque, pour les bâtiments durables, des surcoûts de 10 à 20 %…

P. G. Il leur faut d’abord changer de paradigme et voir leur bâtiment comme un projet d’entreprise, une opportunité de créer un projet partagé avec les salariés. Nous allons prochainement lancer un projet avec une société de la tech qui, vu le turn-over dans son secteur, aborde la construction de ses bureaux comme un outil pour renforcer la cohésion entre les équipes. L’autre enjeu pour les entreprises est clairement économique : il faut pouvoir raisonner à long terme en analysant l’ensemble du cycle de vie du bâtiment et de ses consommations. On revient à cette notion de coût global qui nécessite, pour le dirigeant de PME, d’accepter un amortissement du projet sur 10 à 20 ans. Ces surcoûts d’investissements sont récupérés sur plusieurs niveaux : il y a un volet quantifiable sur les économies d’énergie et d’entretien, et un volet plus immatériel qui concerne le confort et le bien-être des salariés. Un an après l’installation dans sa nouvelle usine, la direction d’Aerem nous fait déjà des retours intéressants sur la baisse de l’absentéisme.

Votre agence a entamé en 2019 sa diversification. Avec quels enjeux ?

P. G. Nous nous sommes organisés autour de trois sociétés pour accroître notre spécialisation. Seuil continue à porter le cœur de métier sur l’architecture. La société UNA intègre les prestations techniques (économie, organisation et suivi de chantier) mais aussi l’assistance à maîtrise d’usage, de la définition des besoins du client jusqu’à l’ergonomie des postes de travail. Notre troisième activité concerne la promotion avec Seuil Invest : l’objectif est de porter des projets expérimentaux, qui correspondent à notre approche globale du bâtiment. Un premier programme va être commercialisé début 2020 avec la réhabilitation d’une ancienne colonie de vacances à Payolle (65) que nous allons transformer en bâtiment passif (ne consommant pas plus d’énergie qu’il n’en produit, NDLR) pour du logement adapté et de la résidence secondaire.

Vous présidez l’Ordre des architectes d’Occitanie : quel est l’état d’une profession dont on a dit qu’elle a subi de plein fouet la crise de 2009 ?

P. G. L’Ordre compte 3000 architectes en Occitanie, avec une progression lente mais régulière des inscrits. Avec le redémarrage du Bâtiment depuis 2014, on voit moins de cas dramatiques qu’au plus fort de la crise. Néanmoins, l’écart se creuse entre les PME et les toutes petites structures. Traditionnellement, la profession est organisée en TPE d’une à deux personnes : la plupart exercent sur des marchés où le recours à l’architecte n’est pas obligatoire, comme la maison neuve de moins de 150 m2 ou les petits travaux de rénovation. Leur situation se précarise au fil du temps. En réaction, on voit chez les jeunes inscrits une tendance forte au regroupement, avec des créations en société plutôt qu’en libéral comme cela a longtemps été la norme. C’est une tendance encourageante, qui contribue notamment à répondre à des enjeux comme le BIM (la modalisation numérique du bâtiment, NDLR). Sur ces sujets où les investissements en matériel et en formation ne sont pas forcément accessibles à une toute petite structure, il y a une pertinence à mutualiser.

* Seuil Architecture a remporté les Trophées de la construction 2019 catégories tertiaire et Grand prix du jury, et les Green Solution Awards Bas Carbone dans les catégories France et International.

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