Guerre des talents : les entreprises de Paca cassent les codes du recrutement
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Guerre des talents : les entreprises de Paca cassent les codes du recrutement

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Les difficultés de recrutement sont devenues un sujet majeur de préoccupation des chefs d’entreprise. Dans cette course aux talents, les employeurs modifient leurs pratiques pour attirer la main-d’œuvre, puis la retenir en poste. Ils sont aussi de plus en plus nombreux à casser les codes, à sortir du carcan du CV et des compétences pour trouver la perle rare.

Le groupe NGE dispose de son propre CFA qui accueille près de 5 500 stagiaires par an, parmi lesquels, des jeunes du Service militaire volontaire, en formation initiale et continue, du CAP au diplôme d’ingénieur — Photo : NGE

Six entreprises tertiaires sur dix et deux industriels sur trois rencontrent des difficultés de recrutement. Ces données issues de la dernière enquête trimestrielle de l’Insee n’avaient jamais atteint de tels niveaux depuis 2000 dans les services et 1991 dans l’industrie. Et ce n’est pas la bonne santé actuelle de l’emploi qui va rassurer les recruteurs : le pic historique des embauches au deuxième trimestre 2022 (656 950 en Paca), ajouté à la baisse du réservoir des demandeurs d’emploi (-9,1 % en un an en Paca), ne fait qu’exacerber la concurrence entre entreprises. Une tendance confirmée par la dernière note de conjoncture de la Banque de France, puisque 57 % des chefs d’entreprise interrogés disent rencontrer des difficultés de recrutement. Ces difficultés concernent même 82 % des entreprises en quête de cadres au cours du deuxième trimestre 2022, selon une enquête de l’Apec. C’est 13 points de plus qu’au début de l’année, 30 points de plus qu’en 2020.

La guerre des talents ravivée

Aujourd’hui, "chaque embauche est une victoire", atteste Emmanuelle Flanderinck, responsable RH au sein du groupe d’ingénierie et de maintenance John Cockerill Services, qui emploie 350 personnes en région Paca et 6 000 dans le monde. "Le rapport de force s’est rééquilibré et aujourd’hui, l’entreprise doit se vendre auprès de candidats", constate Thomas Sentis, cofondateur du cabinet de recrutement Le Mouton à Cinq Pattes (LM5P), présent à Marseille, Avignon et Rennes. "Cette situation inédite sur le front de l’emploi", selon les mots de la CPME, repose sur des facteurs bien connus, "à commencer par l’absence pure et simple de candidats (déplorée par 74 % des patrons concernés) et le manque de compétences (par 47 %)."

Pour LM5P, si les difficultés de recrutement ont toujours existé, elles sont beaucoup plus importantes aujourd’hui. "Elles sont liées à un ensemble de facteurs : une période post-Covid, qui a poussé nombre de salariés et candidats à rechercher un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, mais aussi une quête de sens dans leur travail. Par ailleurs, l’économie est très dynamique avec un chômage très bas et un chômage des cadres à moins de 4 %", détaillent Thomas Sentis et Nicolas Milou, les deux dirigeants du cabinet qui, en quinze ans d’expérience, n’ont jamais vu autant d’offres d’emploi publiées par les entreprises.

Ouvrir ses chakras

Pourtant, "ces difficultés ne seraient pas une fatalité" pour le directeur général de l’Apec, Gilles Gateau, à condition de s’ouvrir à de nouveaux horizons. "Alors que le recrutement est devenu un sujet majeur de préoccupation des dirigeants, les entrepreneurs portent une responsabilité, celle de donner une chance à tous les publics", confie Jean-Louis Maurizi, président du Medef Sud.

Dans ce contexte, le premier concerné, Pôle Emploi, se réinvente et propose aux entreprises de nouvelles recettes. "Formations, recrutements immersifs, recrutements à travers le sport… toutes les pistes sont explorées pour tenter de répondre aux 291 000 projets de recrutement exprimés pour 2022, un chiffre en augmentation de 13,6 % en un an, soit près de 35 000 intentions d’embauches supplémentaires, un niveau jamais atteint depuis la création de notre enquête sur les besoins en main-d’œuvre, il y a 20 ans", confie Marielle Castel, responsable du service entreprise chez Pôle Emploi Paca.

Au printemps 2022, la publication de ces résultats records avait été accompagnée de la présentation d’un nouvel outil, la détection de potentiel, une initiative de Pôle Emploi Paca, soutenue par le Fonds Sud Compétence de la Région Sud. Le dispositif, inspiré de la méthode de recrutement par simulation, pour repérer les compétences et appétences des demandeurs d’emploi pour des secteurs en tension a été déployé à grande échelle depuis le mois de mai 2022, avec "un objectif de toucher 10 000 demandeurs d’emploi en 2022 et 20 000 en 2023", détaille Virginie Thiebaud, cheffe de projet régional. Ces ateliers sont disponibles pour neuf secteurs en tension (agriculture, BTP, commerce, hôtellerie-restauration, industrie, transport, logistique, services à la personne, santé) et se déroulent avec le concours d’entreprises ou de représentants de branches. "En 2021, 40 ateliers ont été organisés pour 300 demandeurs d’emploi et 80 % des candidats dont le potentiel a été détecté ont intégré le secteur ciblé", précise Virginie Thiebaud.

Donner l’envie aux employeurs de sortir des critères habituels de recrutement que sont le CV ou l’expérience professionnelle, c’est tout l’enjeu de ces ateliers de détection… Mais pour les employeurs les plus ouverts aux nouvelles expériences, la palette des outils est large. Au sein du groupe NGE, acteur majeur du BTP en France, une division "insertion/inclusion" a par exemple été créée pour diversifier les profils des candidats : "Nous travaillons avec les associations, avec les missions locales, les éducateurs. Nous allons sur le terrain. Nous ne demandons ni BEP, ni CAP, ni permis de conduire, comme nous l’avons toujours fait jusque-là, mais nous nous attachons à sélectionner les personnes pour lesquelles nous sentons une petite flamme, l’enthousiasme, la volonté".

Recruter autrement

Cette petite flamme peut aussi naître lors de rencontres, qui sortent du traditionnel entretien d’embauche. Pour recruter dans dix métiers en tension, le groupe Ippolito (920 salariés), un groupe en forte croissance spécialisé dans le véhicule industriel et utilitaire, organise des Matinales de l’emploi. Concrètement, l’entreprise reçoit des candidats, la plupart sourcés par Pôle Emploi. Par petits groupes et par quart d’heure, ils découvrent les métiers présentés par des collaborateurs de l’entreprise qui racontent leur parcours, leur quotidien, avec leurs mots. Ensuite, si les personnes sont intéressées, elles peuvent signer une convention d’immersion d’une semaine. À l’issue de la première matinale, qui a réuni 33 personnes présentes en juin à Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes), 14 conventions d’immersion ont été signées, puis trois CDI et un alternant ont été embauchés.

D’autres matinales sont déjà programmées et Pôle Emploi espère dupliquer le concept auprès d’autres sociétés. "En plus de permettre aux candidats à l’embauche de découvrir une entreprise de l’intérieur, cette initiative crée une émulation en interne, et se révèle être une caisse de résonance dans un écosystème où l’on parle de nous différemment. Cela permet de véhiculer des valeurs, d’être davantage que de simples pourvoyeurs d’annonces d’emplois. C’est notre avenir qu’on construit, on doit attirer les candidats de valeur", souligne Vincent Galiana, directeur marketing et communication du groupe Ippolito.

Chez Fortil (1 400 salariés), un groupe d’ingénierie et de conseil en technologies, en pleine expansion avec environ 300 postes ouverts, l’équipe d’une trentaine de recruteurs a choisi un format d’afterwork original : proposer à des étudiants de l’école d’ingénieurs ISEN Toulon de se retrouver sur un stade de rugby. "Plutôt que de chercher des candidats, nous avons souhaité partager un évènement hors-cadre avec de potentielles futures recrues" explique Élodie Hocevar, responsable recrutement en Paca, qui vient de renouveler le projet, au sein de l’aéroclub d’Aix-les-Milles avec un show aérien en soirée. C’est l’occasion de partager un moment d’exception avec des candidats mais aussi de permettre à nos collaborateurs d’exprimer leur passion." "Une quarantaine de personnes ont répondu présentes, toutes recommandées par notre réseau ou nos salariés."

Car, la cooptation est un autre levier en vogue dans les entreprises ; chez Fortil, 25 % des embauches se font désormais par cooptation. Au sein du groupe de travaux publics NGE, le service ressources humaines compte une quinzaine de personnes, mais "les salariés sont tous des recruteurs, avec primes en cas de recrutement", confie Bruno Pavie, le DRH. Chez Ippolito, "si un collaborateur coopte quelqu’un pour rentrer chez nous, il obtient une prime de 300 euros lorsque la personne est titularisée et nous sommes en réflexion pour une prime sur des métiers en tension beaucoup plus élevée, car il n’y a pas de meilleurs ambassadeurs que nos salariés", ajoute Vincent Galiana.

Former pour recruter

Mais, il arrive aussi que certains métiers disparaissent des cursus de formation ou que le nombre de personnes formées soit insuffisant. Les entreprises n’ont alors plus d’autres choix que de former et n’hésitent pas, pour certaines, à se lancer dans la création d’institut de formation "maison". C’est le pari qu’a relevé le groupe John Cockerill Services, qui accueille en cette rentrée ses huit premiers élèves au sein de son Institut des talents, à Port-de-Bouc dans les Bouches-du-Rhône. "Ce projet a été soutenu par Pôle Emploi Paca dans le cadre de l’appel à projets du Pacte régional d’investissement dans les compétences. Notre première promotion va suivre une formation d’électro-bobinage pendant six mois, puis d’autres formations de tourneur/fraiseur sur machines conventionnelles et de tuyauteurs plastiques seront ouvertes avant la fin de cette année", explique Emmanuelle Flanderinck. Certains de ces élèves seront embauchés chez John Cockerill Services, d’autres rejoindront des entreprises qui font face à la même pénurie de main-d’œuvre.

Au sein du groupe NGE, où les besoins de recrutement atteignent les 4 000 collaborateurs par an pour accompagner la croissance de l’entreprise qui vise les 20 000 salariés d’ici à 2025, recruter est devenu "un enfer", avoue Bruno Pavie, directeur des ressources humaines. Alors, il a notamment mis en place, avec Pôle Emploi, des sessions de "préparations opérationnelles à l’emploi" : "Nous proposons quatre à six semaines de formation. Dans 70 à 80 % des cas, il y a adéquation entre les candidats et nos exigences. Nous leur ouvrons alors la voie de l’apprentissage en proposant des CAP ou des BEP sur une année en alternance chez nous. Dans cette démarche, notre objectif est clairement de bâtir l’avenir". Cette année, NGE devrait avoir réalisé une quarantaine de préparations opérationnelles à l’emploi, regroupant au total de 450 à 500 jeunes entre 18 et 30 ans. Le groupe dispose aussi de son propre CFA qui accueille près de 5 500 stagiaires par an, en formation initiale et continue, du CAP au diplôme d’ingénieur.

Soigner sa marque employeur

Se former aux portes de l’entreprise, rencontrer ses futurs collègues et employeur lors d’événements décalés sont autant d’occasions données aux entreprises de partager leurs valeurs… Valeurs qui fondent la fameuse marque employeur ! "Pour se vendre, l’entreprise doit apporter des réponses en matière de RSE, de conditions de travail, de télétravail, etc. Aujourd’hui, les entreprises à l’écoute de ces attentes recrutent plus facilement que celles qui restent campées sur leurs habitudes. Les bons candidats n’ont jamais été autant sollicités, certains peuvent décrocher cinq entretiens et cinq propositions d’embauche en une semaine", confie Thomas Sentis de LM5P.

Quand ces valeurs rejoignent la réalité, certains employeurs ne peinent pas à recruter, même sur des secteurs en tension. C’est le cas à la RMTT (Régie Mixte des Transports Toulonnais). La responsable des ressources humaines, Laura Beaulavon, confie même être obligée de refuser des candidats. Pourtant l’entreprise emploie 750 personnes, dont 500 chauffeurs, un métier qui n’est pas épargné par les difficultés de recrutement puisqu’en mai 2022, 450 postes de conducteurs étaient à pourvoir selon la FNTV Paca. "À la RMTT, les conducteurs de bus, comme l’ensemble des salariés bénéficient d’une rémunération attractive sur 14 mois, de nombreux avantages sociaux : une mutuelle, une retraite supplémentaire, des primes d’intéressement et de participation. Les chauffeurs ont, en outre, la possibilité de choisir leurs horaires de travail", détaille la responsable.

Une fois dans l’entreprise, la fidélisation de la main-d’œuvre est tout aussi indispensable. Et cela se joue dès la phase de recrutement, selon les dirigeants du cabinet Le Mouton à 5 Pattes, pour qui il est primordial d’entretenir le lien avec les candidats, au risque, sinon, qu’ils soient recrutés ailleurs. Pour les fidéliser ensuite, le groupe Fortil a, par exemple, ouvert son capital et "30 % des salariés détiennent aujourd’hui des parts dans l’entreprise et nous avons l’objectif d’arriver rapidement à 50 %. C’est un réel argument à l’embauche et un point fort de notre politique salariale", souligne Élodie Hocevar. Du côté de NGE, le DRH Bruno Pavie confie être confronté à un large mouvement de désengagement de certains salariés. "Aujourd’hui, sur l’ensemble des salariés qui démissionnent, près d’un quart souhaite se positionner sur de nouvelles activités ou sur des projets personnels. Alors, nous rendons les choses possibles. Les collaborateurs reviennent ensuite avec beaucoup d’enthousiasme. Le bien-être au travail est un véritable enjeu. Si les gens se sentent bien dans l’entreprise, ils vont rester fidèles".

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