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Coronavirus : comment l'aéroport Marseille Provence gère la crise et prépare la reprise
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Coronavirus : comment l'aéroport Marseille Provence gère la crise et prépare la reprise

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L'aéroport Marseille Provence a enregistré une chute vertigineuse de son trafic. Pour faire face à cette crise inédite, un plan de continuité d'activité a été mis en œuvre et des mesures financières et solidaires ont été prises. Alors que les incertitudes restent nombreuses, les bases d'une reprise ont été posées.

A la date du 17 avril, l'aéroport Marseille Provence avait enregistré une baisse de 99% de son trafic passagers. — Photo : Moirenc

« Nous vivons une crise sans précédent dans le transport aérien et l’économie en général », souligne d’emblée Philippe Bernand, président du directoire de l’aéroport Marseille Provence. Et les chiffres du troisième aéroport français parlent d’eux-mêmes : après une baisse de 54,6 % du trafic passagers au mois de mars par rapport à mars 2019, la chute est de 99 % au 17 avril. « Notre plateforme accueille en moyenne 300 passagers par jour (contre 30 000 habituellement), qui empruntent entre trois et cinq vols quotidiens vers Paris-Charles de Gaulle ou les aéroports corses. Quelques vols ponctuels ont également été opérés vers Londres, Rome, Tunis ou Manille pour le rapatriement de marins philippins », détaille Julien Boullay, directeur marketing et commercial de l’aéroport, détenu à 60 % par l'État et 25 % par la CCI Marseille Provence.

Quant au fret aérien, l’activité a bien résisté en mars avec une baisse de 25,8 %. Mais, en avril, c’est la dégringolade à -50 %, « reflétant ainsi l’arrêt de l’économie. » L’aéroport a toutefois accueilli, depuis le 10 avril, quatre vols 100 % cargo en provenance de Shanghai, avec à leur bord plusieurs millions de masques et d’autres vols similaires sont programmés dans les prochains jours.

De 150 à 5 vols par jour

Conséquence immédiate de cette chute vertigineuse du trafic : « alors que plus de 90 % du chiffre d’affaires de l’aéroport (CA 2019 : 158,5 M€) dépend du trafic aérien et du nombre de passagers, nous enregistrons une baisse quasi-totale de notre chiffre d’affaires et nous consommons chaque mois 7 millions d’euros de trésorerie, et ceci malgré un plan de réduction des charges engagé dès les premiers jours du confinement », souligne Philippe Bernand. Selon le directeur administratif et financier Patrice Escorihuela, l’entreprise perd plus de 13 millions d’euros de chiffre d’affaires par mois. Dans ce contexte, la plateforme a réduit au maximum ses dépenses et revu l’ensemble de son organisation et de ses investissements.

« La crise a été rapide et brutale d’un point de vue opérationnel », confirme Denis Corsetti, directeur des opérations. Après voir reçu de nombreux messages d’annulation de la part des compagnies aériennes, le terminal 2 dédié aux compagnies low cost a été fermé dès la fin de la première semaine de confinement. « La seconde semaine a été chaotique, car nous avons enregistré en même temps des annulations et des vols supplémentaires : Marseille a reçu beaucoup de paquebots en fin de route et il a fallu rapatrier des passagers et membres d’équipage vers des destinations exotiques », raconte-t-il. À l’issue de cette deuxième semaine, le terminal 1A a fermé à son tour et la situation s’est stabilisée à partir de la troisième semaine. Aujourd’hui, l’aéroport accueille 5 vols par jour, contre 150 habituellement.

Du côté des effectifs, alors que le site de l’aéroport Marseille Provence regroupe habituellement plus de 140 entreprises et 4 500 salariés dont 390 salariés d’Aéroport Marseille Provence, les trois quarts du personnel sont à l’arrêt et un plan de continuité d’activité a été mis en œuvre. Et pour faire face, « l’Aéroport a tiré 25 millions d’emprunt par anticipation : des sommes prises sur les lignes de crédit initialement prévues pour de l’investissement. Et ce n’est que dans un second temps que nous ferons appel au prêt garanti par l’État pour financer l’année 2020 », ajoute Patrice Escorihuela.

« Une partition solidaire »

Pour préparer la reprise de l’activité, le comité de direction de l’aéroport phocéen a fait « le choix de jouer une partition solidaire et d’amortir les effets de cette crise pour l’ensemble des acteurs de la plateforme marseillaise : les salaires de tous les collaborateurs ont été maintenus, nous avons sécurisé les délais de paiement de nos 150 fournisseurs, nous avons décidé l’exonération du paiement du stationnement pour les avions des compagnies qui ont toujours misé sur Marseille, nous avons aménagé des délais de paiement. Enfin, les chantiers ont été suspendus en mars mais nous faisons en sorte de les redémarrer le plus rapidement possible », détaille Philippe Bernand.

« Nous avons fait le choix d’amortir les effets de cette crise pour l’ensemble des acteurs de la plateforme marseillaise. »

Avant la crise, l’impact économique de l’aéroport sur le territoire avoisinait le milliard d’euros par an et un vaste plan d’investissement de 500 millions d’euros avait été engagé. Sur ce dernier volet, l’ensemble des investissements à vocation capacitaire ont été différés mais le président du directoire a pris l’engagement de faire le maximum pour préserver les investissements de rénovation, de mise aux normes, d’amélioration du service.

Préparer le déconfinement

En vue de la reprise, la direction de l'infrastructure imagine déjà des solutions « collectives » : « quand les activités aéroportuaires vont reprendre, les compagnies aériennes ne paieront pas à trente jours, faute de trésorerie. En revanche, nous aurons à payer nos charges, impôts et taxes, mais aussi les salaires. C’est à la reprise que le besoin en trésorerie sera le plus aigu et il sera alors indispensable de faire preuve d’agilité dans la gestion financière et opérationnelle », anticipe le directeur administratif et financier Patrice Escorihuela.

Sur le plan sanitaire, la plateforme a trouvé son inspiration auprès d’ACI Asia Pacifique, l’association des aéroports asiatiques, et plusieurs mesures sont envisagées : des masques en quantité (un besoin estimé à 150 000 pour tenir jusqu’à l’hiver), le respect de la distanciation sociale grâce à des marquages au sol, des barrières et des condamnations de sièges, la suspension de services tels que le salon VIP, les zones de jeux pour enfants ou les terrasses de restaurants. Pour protéger les collaborateurs, des vitres en plexiglas seront installées et des visières distribuées aux personnels. Les mesures d’hygiène et de désinfection seront également révisées. « Cette crise va modifier de façon durable la manière dont on opère un aéroport et à moyen ou long terme, nous devrons aussi imaginer la création d’un lieu dédié à l’information sanitaire, renforcer les technologies sans contact, réfléchir à de nouveaux équipements, de nouveaux matériaux », explique Denis Corsetti.

« Cette crise va modifier de façon durable la manière dont on opère un aéroport. »

Une offre à réinventer

Au-delà des enjeux sanitaires, l’aéroport devra aussi faire face à l’évolution inévitable de l’offre. Quelles compagnies vont disparaître ? Lesquelles ne desserviront plus Marseille ? Quel sera le mode de consommation des passagers de demain ? Pour Philippe Bernand, « l’économie de demain passera entre autres par la connectivité aérienne des territoires et l’État doit accompagner les aéroports régionaux pour préserver leur compétitivité européenne. L’État ne doit pas oublier l’ensemble de ses aéroports de province qui sont essentiels au redémarrage, qui sont à la fois forts et fragiles, qui font face aujourd’hui, mais qui devront être accompagnés. L’économie de la France ne repose pas seulement sur Paris, mais aussi sur les villes en région. »

Le président du directoire se dit lui-même très impliqué, avec ses équipes, sur l’après-crise et confie avoir engagé une démarche très volontariste dont « l’ambition est de trouver le bon équilibre entre la protection de son modèle économique, son impératif de continuité opérationnelle et sa solidarité avec l’écosystème. »

« L’État ne doit pas oublier l’ensemble de ses aéroports de Province qui sont essentiels au redémarrage. »

D’autant que pour l’heure, tous les scénarios de reprise sont sur la table. Ils dépendent de décisions gouvernementales et européennes et à ce sujet, Philippe Bernand rappelle l’importance d’une réponse sanitaire homogène, a minima au niveau de l’Europe et identique pour tous les modes de transports. Seule certitude : « tout ceci prendra du temps : 12 à 18 mois pour espérer un retour à la normale, ce qui suppose de préserver des capacités de trésorerie extrêmement fortes. »

Un avenir difficile à prévoir

Si les prévisions de trafic sont actuellement révisées toutes les semaines, la direction de l’aéroport phocéen a choisi de retenir des hypothèses plutôt optimistes et table sur un trafic annuel 2020 de 5,6 millions de passagers, en baisse de 46 % par rapport à 2019, une année qui fût exceptionnelle. « Dès le mois de mai, nous espérons une reprise timide avec quelques vols domestiques sur la deuxième quinzaine, mais c’est encore très incertain. Notre programme estival, que nous estimons aux alentours de 2 millions de passagers pour les mois de juillet et août, dépendra de l’ouverture des frontières ou non. Dans tous les cas, l’été devrait être catastrophique pour les compagnies aériennes, et nous pouvons nous attendre à des ajustements de programmes assez sévères avec des baisses de fréquences, voire des fermetures temporaires ou définitives de ligne cet hiver », détaille Patrice Escorihuela.

Quant à l’année 2021, elle est encore difficile à imaginer pour les dirigeants de l’aéroport Marseille Provence mais il est fort probable, selon eux, que le trafic reste inférieur de 15 à 20 % par rapport à 2019. « Il est difficile de prévoir l’avenir et le rythme auquel nous sortirons de cette crise, mais nous savons que la reprise du trafic se fera en trois temps (domestique, intra Schengen, international) et que l’effet d’entraînement du trafic international sera déterminant dans le redémarrage de l’économie et du transport aérien en particulier », souligne Philippe Bernand.

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