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La campagne, nouvel eldorado du télétravail en Occitanie
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La campagne, nouvel eldorado du télétravail en Occitanie

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Déjà quatrième région française en offre de tiers-lieux, l'Occitanie voit se multiplier les projets d'espaces dédiés au télétravail en milieu rural. Aux initiatives portées par les associations locales et les collectivités s'ajoute la demande croissante d'entreprises pour qui le confinement a fait office de déclic.

Près de Lunel, le tiers-lieu La Cave Co propose aux entreprises et travailleurs indépendants 6 bureaux et 12 postes de travail en open-space — Photo : DR

Le développement d’espaces de coworking dans les zones rurales n’est pas un phénomène nouveau en Occitanie. Mais la crise sanitaire a donné un coup de fouet aux initiatives permettant aux travailleurs salariés ou indépendants d’exercer leur activité loin des centres urbains. En 2018, l’agence de développement économique régionale Ad’Occ avait accordé son label "Tiers lieux Occitanie", garantissant aux usagers une qualité d’accueil et de services, à près de 80 espaces : trois ans après, on en recense 112, avec une cinquantaine de dossiers en instruction. "Il y a deux phénomènes parallèles : la dynamique de création de lieux depuis le déclenchement de la crise sanitaire, et la mutation de l’offre vers des espaces plus spécifiquement dédiés au télétravail, relève Christelle Mathieu, directrice opérationnelle déléguée Croissance & Entrepreneuriat au sein d’Ad’Occ. Les tiers lieux classiques ont jusque-là privilégié une approche multidisciplinaire, mêlant espaces de travail et missions plus grand public sur la culture ou les fab-lab : l’intérêt des entreprises pour le télétravail nourrit la réflexion sur les modèles, avec la demande de services adaptés et la recherche d’un équilibre économique."

Initiatives privées, relais publics

À Rabastens, dans le Tarn, c’est un collectif d’entrepreneurs indépendants, regroupés dans l’association La Locale, qui a créé début 2019 une offre de coworking et de bureaux partagés. Installé dans un ancien hôtel en cœur de ville, le Pré Vert regroupe aujourd’hui 27 résidents à temps plein, et une dizaine de postes pour les usagers "nomades". Outre les loyers, le modèle économique repose pour un tiers sur les recettes liées aux événements culturels organisés dans le lieu. "Nous sommes attachés à cette mixité des usages qui correspond à la demande des habitants et à notre volonté de faire vivre le centre bourg. Nous avons atteint l’équilibre financier dès notre premier exercice, malgré six mois de crise sanitaire", se félicite Nathalie Malaterre, facilitatrice du tiers lieu.

Dans l’Hérault, à Saint-Just près de Lunel, ce sont deux entrepreneurs du secteur santé, Martine et Christian Martenot, qui ont aménagé un espace de coworking de 400 m2 dans l’ancienne cave coopérative locale. En trois ans, les 6 bureaux, 12 postes en open-space et 3 salles de réunion de La Cave.co ont vu défiler une quarantaine de porteurs de projets, travailleurs indépendants et télétravailleurs. "En 2018, le coworking était un concept encore très citadin, car peu répandu et peu connu en dehors de Montpellier ou Nîmes. Il a vocation à se développer à la campagne car il répond aux besoins des travailleurs les plus nomades : ils gagnent en qualité de vie sans perdre le côté stimulant de l’entrepreneuriat, au contact de personnes qui se posent les mêmes questions qu’eux", raconte Martine Martenot. Celle-ci confesse que le pari n’est pas encore tout à fait gagné : La Cave.co, initiative 100 % privée, peine encore à trouver son business model. "D’autres projets de ce type naissent dans le Lunellois, mais sont tous portés par des communes", note Martine Martenot.

Organiser le télétravail

Depuis le début de la crise sanitaire, les collectivités montent en régime sur la création de tiers lieux. En 2020, l’Agglo d’Agde (Hérault) s’est dotée d’une pépinière/hôtel d’entreprises de 2 200 m2 baptisée Gigamed avec cette ambition : jouer sur l’attrait du cadre méditerranéen pour attirer des porteurs de projets, et leur proposer une fibre THD à prix cassés. Avec un taux de remplissage de 80 %, la pépinière associe les moyens d’une Agglo et l’expertise de professionnels avec un board formé de 6 entrepreneurs. "On parle souvent des atouts des grandes villes, mais notre territoire offre des possibilités différentes aux start-up. Dans un monde où le numérique explose, jamais les hommes n’ont autant recherché la proximité avec la mer, la nature, la vigne : nous proposons aux entrepreneurs de se recentrer sur ces éléments essentiels", affirme l’expert-comptable et président du board, Jérôme Cavailles. Avec profit : Gigamed vient d’enregistrer l’arrivée d’un industriel toulousain et d’une PME anglaise, en rupture de Brexit.

Depuis un an, la généralisation à marche forcée du télétravail offre aussi aux collectivités un nouvel angle pour valoriser leur attractivité. Le programme Ariège Télétravail est né quelques semaines après le déclenchement de la crise sanitaire, sur le constat, appuyé par les données mobiles, que de nombreux urbains avaient choisi le département pour se confiner. "Cela nous a confortés dans l’idée que de nombreux actifs, exerçant dans des professions facilement télétravaillables, pourraient s’installer durablement dans notre département à condition d’organiser l’offre", résume Maxime Fourcade, chargé de mission Economie résidentielle à l’Agence Ariège Attractivité (AAA). Le programme cible en premier lieu l’employeur, avec la promesse de bâtir une stratégie globale autour des besoins de l’entreprise et du travailleur. Ariège Télétravail s’appuie sur des partenaires spécialisés : la Mêlée Numérique pour la mise en œuvre technique du télétravail, le cabinet Organyze pour la formation et les recrutements, et l’Aract sur les questions juridiques (charte ou accord d’entreprise). En parallèle, le département accompagne les collectivités sur la création ou la mise aux normes de tiers lieux. Deux groupes, la Brinks et Capgemini, se sont déjà lancés dans l’aventure, et l’AAA prospecte une trentaine d’employeurs en région toulousaine. L’objectif pour 2021 est d’attirer une centaine de travailleurs.

Vers le corpoworking

D’une certaine façon, le Covid-19 a conforté la Lozère comme terre d’élection du télétravail : de longue date, le département tente d’attirer ceux qui veulent concilier cadre de vie et conditions de travail. Les premiers à franchir le pas étaient, d’ordinaire, les travailleurs indépendants opérant à domicile. Mais la pandémie a généré un phénomène nouveau : les salariés ont débarqué en masse dans la dizaine d’espaces de coworking que compte la Lozère. "Les marques d’intérêt sont plus nombreuses, tant pour le travail salarié que pour la création d’entreprise ou la recherche de bureaux. Les télétravailleurs que nous accueillons à Mende, dans notre pépinière Polen, sont en hausse", témoigne Sébastien Oziol, responsable de l’agence Ad’Occ Massif Central. Depuis sa création en 2004, Polen affichait un taux de remplissage moyen de 80 %, qui frôle aujourd’hui les 100 %. Mais pour Sébastien Oziol, c’est la coordination des acteurs locaux qui fait la différence, à l’image du label national "Fabrique de territoire", décroché en 2020 sur candidature commune d’Ad’Occ et de l’agence Lozère Développement. "Avec la numérisation des entreprises, on parle des nouvelles formes de travail depuis de nombreuses années. Mais les territoires ruraux qui en profitent le plus sont ceux qui étaient déjà organisés : les porteurs de projets ne veulent pas juste un bureau mais des connexions et une organisation humaine", conclut Sébastien Oziol.

Cet effort de structuration tend à inclure de plus en plus les acteurs privés. Depuis le mois de décembre, une vingtaine d’entreprises de la région toulousaine se retrouvent à l’initiative du groupe Action Logement pour définir un référentiel pour la création d’espaces de coworking. "L’enjeu pour les entreprises est de disposer de lieux suffisamment bien équipés et animés pour que leurs salariés puissent travailler dans de bonnes conditions", résume François Magne, directeur régional du groupe en Occitanie. Le calendrier fixé par Action Logement et ses partenaires prévoit d’ouvrir début 2022 quatre ou cinq premiers espaces de coworking, d’une capacité d’une centaine de postes chacun, situés sur les principales voies d’accès à la Ville rose ou dans les villes moyennes.

Le besoin d’un écosystème solidaire

Pour accentuer la redynamisation des territoires ruraux, le cabinet montpelliérain Visionari, spécialiste du marketing de l’innovation, développe des outils d’intelligence collective. Le plus connu est le concours "La Start-Up est dans le Pré", qui permet aux entreprises venant s’installer dans l’arrière-pays de profiter des méthodes de croissance des pépites les plus innovantes. L’édition qui démarre en juillet 2021 couvrira pour la première fois l’Occitanie en totalité, en mobilisant le réseau régional de pépinières IP +. "Parfois, mieux vaut un petit écosystème solidaire et fédérateur pour accompagner des entreprises à potentiel. Si les gros incubateurs comme le BIC de Montpellier sont incontournables, le Covid-19 a changé la donne en montrant qu’une start-up peut gagner des années de maturité à la campagne avec une partie des équipes en télétravail", note Pierre Alzingre, fondateur de Visionari.

À condition, toutefois, que le niveau de services disponibles sur place reste proche des besoins des porteurs de projets, ajoute-t-il. "La croissance d’une start-up est corrélée aux rapports de proximité qu’elle peut tisser. L’essentiel est le temps d’accès à un décideur ou un élu, qui peut être aussi décisif qu’un entretien avec un directeur de site IBM. C’est la clef pour profiter de l’exode rural des entrepreneurs venus des villes."

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