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Japon-Occitanie : les relations d’affaires décollent
Enquête Occitanie # Aéronautique # International

Japon-Occitanie : les relations d’affaires décollent

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De nombreuses entreprises de la région remportent des marchés au Japon tandis que, depuis une quinzaine d’années, des sociétés nippones s’implantent en Occitanie. Parce que les Japonais sont des investisseurs pérennes et fidèles, de nouveaux projets devraient se concrétiser, dans l’aéronautique et le spatial notamment.

Le constructeur d’avions régionaux ATR, basé à Blagnac (Haute-Garonne), a signé un contrat de maintenance globale de 10 ans avec Toki Air, une nouvelle compagnie aérienne japonaise, dans le cadre du lancement de ses opérations prévu pour 2023, avec deux ATR 72-600 en leasing — Photo : Pierre Barthe

Au mois de juin 2022, l’Agence de développement économique de la région Occitanie (Ad’Occ) a conduit une mission à Tokyo, au Japon, en marge d’un événement célébrant les 60 ans du Centre national d’études spatiales (Cnes). Avec la complicité des équipes locales de Business France, elle a permis à 9 entreprises du territoire de rencontrer des décideurs japonais et de visiter des entreprises nippones. Objectif : nourrir des relations d’affaires, qui prospèrent depuis la signature d’un partenariat (memorandum of understanding) entre la Région et la préfecture d’Aïchi en 2018, dans les secteurs de l’aéronautique, de l’automobile, des transports intelligents et du tourisme.

Un représentant de la société toulousaine Meca Aero Consulting (5 collaborateurs), qui travaille avec le Japon depuis une dizaine d’années, faisait partie de la délégation conduite par l’Ad’Occ. “À la suite de cette mission, des discussions sont en cours avec différents acteurs japonais qui pourraient déboucher sur de nouveaux contrats”, confie Antoine de Montety, son président. En 2016, ce cabinet de conseil a ouvert un bureau à Tokyo, puis a déménagé à Nagoya l’année dernière. Meca Aero Consulting aide des sociétés françaises à trouver des marchés en Asie et des entreprises asiatiques à dénicher des opportunités dans l’Hexagone. Au Japon, elle travaille essentiellement avec des grandes PME, à l’instar de Marktec, YDK Technologies et une division de Mitsubishi. En 2016, elle réalisait 5 % de son chiffre d’affaires en Asie (Japon et Corée). Ces deux pays pèsent aujourd’hui 50 % de son chiffre d’affaires (25 % pour le seul Japon). Cette année, Meca Aero Consulting a été retenue par le Japan Brands Program, un programme du METI, le ministère japonais de l’Economie, du commerce et de l’industrie. Celui-ci regroupe des entreprises de conseil basées au Japon qui aident les sociétés nippones dans leur volonté d’exporter.

Fittingbox renforcée par un actionnaire japonais

Cet été, l’Ad’Occ a aussi mis à profit son déplacement dans la capitale japonaise pour tenter d’attirer des sociétés nippones vers la région. “Nous avons rencontré 8 entreprises japonaises qui pouvaient potentiellement nourrir des projets d’implantation en Occitanie, précise Philippe Baylet, responsable du département “attractivité et export aéronautique, espace, transports intelligents” de l’agence régionale. Deux d’entre elles, des start-up qui évoluent dans le spatial, sont désormais des pistes intéressantes." Les services de la Région ont déjà accompagné près de 300 entreprises d’Occitanie dans leur développement au Japon, suivant la tendance nationale : selon la direction générale du Trésor, en 2020, la France est le 5e investisseur étranger au pays du Soleil Levant. La société Fittingbox (105 salariés, CA 2020 : 7,62 M€), basée à Labège (Haute-Garonne) est de celles-là. Quinze ans après sa création, elle est devenue le leader mondial de l’essayage virtuel de lunettes (sur smartphone, tablette…). Il y a deux ans, son cofondateur Benjamin Hakoun a participé à une mission export de la Région. Sur place, il a rencontré des grands réseaux de magasins japonais et a signé un partenariat avec le groupe Jins, plus grande marque japonaise de lunettes en volume. En novembre 2021, leurs relations se sont encore renforcées : Jins est entré au capital de Fittingbox (minoritaire), augurant un fort développement de la société toulousaine en Asie.

Une trentaine d’entreprises nippones dans la région

Si, selon le rapport 2020 de Business France, le Japon ne se classe qu’à la 10e place des investisseurs en France en nombre de projets, il entretient néanmoins des liens forts avec l’Occitanie. Une trentaine d’entreprises japonaises emploient environ 4 000 salariés sur le territoire (850 entreprises japonaises dans l’Hexagone pour 91 000 salariés). Plusieurs poids lourds évoluant dans des secteurs d’activité variés figurent parmi elles. Basé à Revel (Haute-Garonne), le groupe agroalimentaire Nutrition & Santé (CA 2021 : 418 M€) appartient par exemple à 100 % depuis 2009 à Otsuka, le troisième groupe pharmaceutique japonais (47 000 collaborateurs, CA 2021 : 11,1 Md€). En 1990, l’équipementier sportif Asics a créé sa filiale Asics France dans la zone aéroportuaire de Montpellier. En 2019, il a investi 11,3 millions d’euros dans la construction d’une nouvelle plateforme logistique de 18 000 m2. Située à Garons (Gard) près de Nîmes, elle emploie jusqu’en 200 personnes en saison et irrigue l’Europe du sud. Sakata Seed Corporation (2 500 salariés, CA 2021 : 500 M€), l’un des leaders mondiaux des semences potagères et florales, a pour sa part implanté sa filiale Sakata Vegetables Europe (164 salariés, CA 2021 : 65 M€) à Uchaud (Gard), en 1996. Dédiée à la production et la commercialisation de semences potagères en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique, elle a bénéficié en 2015 d’un plan d’investissement de 10 millions d’euros. L’année suivante, le groupe japonais a transféré sa holding européenne dans le site gardois, qui rayonne désormais sur 15 pays. Autre exemple : spécialisé dans l’e-commerce et les télécoms, le groupe Rakuten (25 000 salariés, CA 2021 : 11 Md€) a racheté, en 2015, l’entreprise montpelliéraine Aquafadas, éditrice de logiciels pour l’enrichissement de contenus. Rebaptisée Rakuten DX (55 salariés) en 2020 et repositionnée comme centre d’expertise technologique du groupe, elle a stoppé ses activités dans l’édition et évolué comme fournisseur de solutions aux activités de Rakuten. Rachetée en 1996 par le groupe Horiba (8 200 salariés, CA 2021 : 1,7 Md€), expert en systèmes de tests et mesures, l’entreprise montpelliéraine ABX est, elle, devenue l’un des 5 centres de production de sa division Horiba Medical (1 000 salariés dans le monde, CA 2021 : 199 M€), spécialisée dans les automates d’analyse pour l’hématologie. L’usine d’Horiba Medical à Montpellier fabrique les instruments et les réactifs. En 2015, Horiba Medical l’a dotée d’un pôle de R & D de 3 400 m2, doublant la surface dédiée à la recherche, après 7 millions d’euros d’investissement. Horiba Medical emploie désormais 550 collaborateurs dans son site montpelliérain.

Le Japon s’est ouvert pour Airbus

Aujourd’hui, l’aéronautique se trouve au cœur des relations d’affaires occitano-japonaises. Avec 40 % de l’emploi industriel régional et plus de 1 000 entreprises, l’Occitanie est la première région européenne de l’aviation civile quand Nagoya concentre de son côté près de 70 % de la valeur aéronautique japonaise. La société japonaise Jamco, leader mondial de la confection de cuisines et de toilettes des avions, qui travaille notamment sur l’A350 d’Airbus, a ainsi un gros projet de développement sur son site de Colomiers (Haute-Garonne), ouvert en 2019. Le constructeur d’avions régionaux ATR, basé à Blagnac (Haute-Garonne), vient, lui, de signer un contrat de maintenance globale de 10 ans avec Toki Air, une nouvelle compagnie aérienne japonaise, dans le cadre du lancement de ses opérations prévu pour 2023, avec deux ATR 72-600 en leasing. ATR a fait son entrée sur le marché japonais il y a six ans. 15 de ses avions volent déjà dans le pays, exploités par trois compagnies : Amakusa Airline, JAC et HAC. Consultant japonais basé à Toulouse, Yasushi Kishikawa réalise des études de marchés pour des entreprises françaises et nippones et donne des formations en management interculturel auprès de grands groupes des deux pays (Orano, Vinci, Continental…). “Historiquement, le marché de l’aéronautique, au Japon, se faisait avec les Américains, explique-t-il. La plupart des compagnies aériennes japonaises ont acheté des avions de Boeing et, en échange, les entreprises japonaises travaillaient en tant que fournisseurs de la compagnie. Mais Boeing a connu des turbulences ces dernières années et les entreprises japonaises ont commencé à travailler aussi avec Airbus. Elles ont acheté des A320 et des A350. Par ailleurs, face à la montée en puissance de la voiture électrique et au déclin de leur activité traditionnelle, des grands groupes de l’industrie automobile comme Mitsubishi, Kawasaki ou Subaru se diversifient aussi dans la supply chain aéronautique. Le Japon était autrefois complètement fermé mais il s’est ouvert pour Airbus.”

La start-up Ale revoit sa stratégie de développement

Dans la foulée de collaborations nouées entre le Cnes et la Jaxa (Japan Aerospace Exploration Agency, l’agence spatiale japonaise), les relations d’affaires entre la région et le Japon se trouvent également dopées dans le secteur spatial. Fin 2019, la start-up japonaise Ale, qui projetait de créer des feux d’artifice célestes, a ouvert un bureau à Toulouse. Le satellite qu’elle avait lancé devait libérer des billes, sortes de météores artificielles, censées briller avant d’être complètement consommées. “Mais Ale s’est heurtée à deux événements, rapporte Eric Luvisutto, président de la société Satconseil, basée à Quint-Fonsegrives (Haute-Garonne), qui aide Ale à se développer en Europe depuis la Ville rose. D’une part, le Covid a contraint la société à repousser d’un an sa levée de fonds, finalement moins enthousiasmante que prévu. D’autre part, le satellite n’a pas fonctionné.” Face à ces difficultés, Ale a repositionné sa stratégie autour du marché porteur de la réduction des débris spatiaux. Avec la Jaxa, l’entreprise japonaise a créé une queue magnétique qui, fixée à un satellite, se déploie et accélère la rentrée des satellites en orbite avant le terme de leur mission. “Ale est en train de développer un nanosatellite qui sera dédié à cette expérimentation et lancé au premier semestre 2023, poursuit-il. Le Cnes va évaluer la technologie Ale et, s’il la qualifie, l’entreprise connaîtra un développement significatif parce que le marché est colossal.” Dans la foulée, Ale pourrait établir sa filiale européenne à Toulouse, en créant une entité juridique et en se dotant de ses propres locaux. Quel que soit le secteur d’activité dans lequel ils interviennent, les investisseurs japonais, fidèles et pérennes, sont courus en Occitanie. Dans le milieu des affaires, nul n’a oublié la mésaventure connue par l’aéroport de Toulouse. En 2015, le groupe chinois Casil avait acquis auprès de l’Etat 49,99 % de ses parts pour 308 millions d’euros, avant de le revendre à Eiffage en 2019 pour 500 millions d’euros. "Dans les entreprises japonaises, le processus de prises de décision est long parce qu’il est fait de manière consensuelle, compare Yasushi Kishikawa. Mais quand elles s’engagent, c’est toujours pour du long terme."

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