Nouvelle-Aquitaine
En Nouvelle-Aquitaine, le prix du bois met la filière sous tension
Enquête Nouvelle-Aquitaine # Agriculture # Politique économique

En Nouvelle-Aquitaine, le prix du bois met la filière sous tension

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L’explosion de la demande en bois de construction, conjuguée à la crise liée au Covid-19, met à l’épreuve la filière bois en Nouvelle-Aquitaine sur fond de flambée des prix et de tensions entre les différents acteurs. Alors, manquera-t-on de bois cet hiver ?

1La forêt néo-aquitaine fournit 10 millions de mètres cubes de bois chaque année. Pourtant la région frôle la pénurie en bois de construction — Photo :  1Demptos

Au détour d’une allée du magasin Joué Club, à Mérignac, en plein mois de juin. "Si vous voulez une balançoire, ne tardez pas, on n’en aura pas d’autres, on ne trouve plus de bois nulle part", alerte un conseiller de vente. L’approvisionnement en bois serait à ce point tendu que même les portiques de balançoires se feraient rares ? Quelques rues plus loin, comme un peu partout sur la métropole bordelaise, les chantiers pullulent. Du sol au faîtage de la toiture ? Du bois…

La Nouvelle-Aquitaine peut se targuer d’avoir le massif forestier le plus étendu de France métropolitaine et se distingue pour la récolte et le sciage de pins maritimes, marque de fabrique des Landes de Gascogne. Constituée à 92 % de propriétés privées, la forêt néo-aquitaine fournit 10 millions de mètres cubes de bois chaque année. Et avec près de 56 000 salariés, le chiffre d’affaires dégagé par les entreprises du secteur avoisine les 10 milliards d’euros, la positionnant au premier rang des régions françaises, selon les données de la direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt. Comment expliquer que la filière soit aujourd’hui sous tension ?

L’effet Trump

"La ressource forestière est bien là, mais le Covid a tout déréglé", commente Anne Guivarc’h, directrice générale de Fibois Nouvelle-Aquitaine, l’interprofession de la filière forêt-bois-papier. "On a observé un blocage net lors du premier confinement, les stocks ont diminué à ce moment-là". S’est ajoutée une forte demande de la part des États-Unis pour le secteur de la construction. L’ancien président américain Donald Trump ayant imposé une taxe de 20 % sur le bois d’œuvre canadien (qui représentait le tiers de leur approvisionnement), les importateurs américains sont venus se servir en Europe, en France notamment. "Et le bois que la France importait de Suède ou de Finlande est lui aussi parti aux États-Unis", observe Anne Guivarc’h. Entre les lignes : les États-Unis achètent le bois plus cher que le marché domestique.

Ensuite, c’est l’effet papillon. Un battement d’ailes outre-Atlantique déstabilise toute une filière industrielle en Gironde. Au Haillan, siège de l’entreprise familiale fondée en 1970 Fabien Matériaux (50 salariés, 14 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2020), c’est l’allongement des délais de livraison qui ont alerté dans un premier temps. "Certains de nos fournisseurs nous ont prévenus qu’ils allaient être en rupture, donc nous avons pu anticiper et augmenter nos stocks", relate Cédric Fabien, son PDG. Il scrute particulièrement les liteaux pour les toitures, un produit indispensable pour les professionnels de la construction. "Rapidement, nos fournisseurs nous ont signifié qu’ils ne prendraient aucune commande pour les deux mois à venir et qu’ils n’ouvriraient pas de nouveaux comptes clients. On essaie de sourcer ces produits dans d’autres pays, notamment en Europe de l’Est, on ne s’interdit pas grand-chose".

Préserver le bâtiment

L’enjeu étant de ne pas paralyser le secteur de la construction qui représente 30 000 salariés et génère un chiffre d’affaires de 3,3 milliards d’euros pour la seule Gironde, selon la Fédération française du bâtiment. "L’arrêt des chantiers n’est pas encore d’actualité et on fera tout pour que cela ne soit pas le cas. Mais la situation est inquiétante pour les entreprises qui ont signé des marchés sans prendre en compte les augmentations de prix", met en garde Cédric Fabien. "Pour les professionnels de la construction, c’est la double peine, le bois est plus cher donc les marges s’amenuisent, et les délais sont plus longs donc ils risquent des pénalités de retard sur leurs chantiers", explique Anne Guivarc’h de Fibois Nouvelle-Aquitaine.

Le poids des papetiers

Revenons-en à nos liteaux, ces produits rectangulaires du sciage du bois, le plus souvent issus de conifères (épicéas, pins ou douglas). De ces mêmes essences, 4,3 millions de mètres cubes ont été prélevés dans la forêt néo-aquitaine en 2018. Pour le seul douglas, cette essence particulièrement prisée pour les bardages et les clôtures, la Nouvelle-Aquitaine en a produit 475 000 m3 cette année-là. "Les tensions d’approvisionnement, ce n’est pas nouveau, cela fait 15 ans que nous disons que nous allons manquer de bois de pin", tempête Pascal Poumeyrau, dirigeant de la scierie du même nom (14 salariés, 2 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2020), basée à Salles.

En cause, selon ce connaisseur de la filière, une concurrence féroce avec l’industrie papetière, très présente dans la région (près de 10 000 salariés et générant près d’un milliard d’euros de chiffres d’affaires à l’export). "Une politique dévastatrice pour l’avenir de notre forêt a été mise en place. On a conditionné les propriétaires privés à faire de la forêt de rendement et à couper au bout de 30 ans pour fournir les papetiers. Pour le bois de construction, on travaille des arbres qui ont entre 50 et 60 ans. S’ils regardent juste la différence de prix de vente, les propriétaires ne voient pas l’intérêt d’attendre 30 ans de plus. Ils oublient que sur ce laps de temps, l’arbre aura doublé de volume", insiste-t-il.

Le déclin des scieries

Pour cette troisième génération à la tête de la scierie Poumeyrau, qui achète exclusivement du pin dans un rayon de 70 kilomètres autour de son installation, il devient de plus en plus complexe de se fournir en bois d’œuvre, à des "prix qui flambent de façon incohérente" s’étonne Pascal Poumeyrau. "D’ailleurs, à Salles, nous étions quatre scieurs, il ne reste plus que nous". Le constat peut être étendu à l’ensemble de la région. Des 323 scieries en activités en 2011, il n’en restait plus que 255 en 2018, soit 68 scieries en moins en l’espace de sept ans, selon les chiffres de l’Agreste.

En 2020, le groupe landais Gascogne, spécialiste du papier et de l’emballage (et seul papetier français implanté dans la Région), a décidé de fermer sa scierie de Castets (84 salariés), jugée pas assez rentable. Selon son communiqué de résultats annuels 2020, sa division bois affichait une perte de 3,1 millions d’euros en 2020 quand sa division emballage générait un bénéfice de 20,1 millions d’euros. "La division bois reste pénalisée de surcroît par un prix du bois en Aquitaine toujours élevé", commente le groupe (359 M€ de CA en 2020, 1 700 salariés).

L’impérieuse réindustrialisation

Alors les scieries restantes ont beau tourner à plein régime, elles n’arrivent pas à produire suffisamment pour satisfaire une demande qui explose. "C’est ce que l’on observe pour le chêne. La Chine achète le chêne français à un bon prix. Les containers, qui avant repartaient vide en Chine, sont remplis de bois. Puis ils nous revendent ensuite des meubles en chêne parce que nous n’avons plus en France l’outil industriel", s’émeut Pascal Poumeyrau. "C’est une réalité, acquiesce la directrice générale de Fibois Nouvelle-Aquitaine. Le Covid nous a fait comprendre qu’il fallait réindustrialiser. C’est d’ailleurs l’un des enjeux du plan de relance : inciter les entreprises à investir pour la transformation du bois".

C’est ainsi que l’entreprise Lesbats scieries Aquitaine (25 M€ de CA en 2020, 125 salariés) a reçu une aide de 800 000 euros dans le cadre du plan France Relance et du fonds d’accélération des investissements industriels dans les territoires pour son projet d’investissement de 3,5 millions d’euros. La PME familiale va ainsi déployer une ligne de production qui lui permettra de travailler des pièces de bois plus fines sur son site de Saint-Perdon et moderniser son site de Léon, tous deux situés dans les Landes.

Un effet d’aubaine ?

En attendant que la réindustrialisation n’opère, la filière grince des dents. "Nous n’aurons aucune visibilité jusqu’à la fin de l’année", prédit Cédric Fabien, PDG de Fabien Matériaux. À cette période, "le marché devrait se réguler", assure-t-on chez Fibois. D’ici là, ce contexte dantesque de quasi-pénurie – qui se généralise à l’ensemble des matières premières – semble légitimer des pratiques discutables. "Quand on commande un camion de lames de terrasses, on peut nous appeler la veille de la livraison en nous disant ‘la lame a pris x %, est-ce que tu veux toujours être livré ou pas ?'. On veut avoir notre stock donc on accepte. Quand on pense qu’il y a un effet d’aubaine, on essaie de faire baisser le prix, mais sur le bois, on n’a pas grand-chose à négocier", constate Cédric Fabien.

Le risque que les plus offrants soient servis en premier, entretenant ainsi la flambée de prix, est-il tangible ? "Assez naturellement, les entreprises du secteur ont privilégié leurs clients historiques et ne se sont pas aventurées avec de nouveaux clients", assure Anne Guivarc’h.

Pendant quelques mois encore, la tension sera palpable, les marges se réduiront en aval de la filière, mais les balançoires devraient continuer d’osciller, les toitures de grimper, et les maisons à ossature bois de pousser comme des champignons au pied d’un chêne centenaire…

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