Moselle
Thierry Schidler (Autocars Schidler) : "Les transporteurs de voyageurs sont abandonnés par les pouvoirs publics"
Interview Moselle # Transport # Conjoncture

Thierry Schidler président des Autocars Schidler et de la chambre syndicale des transports en Moselle FNTR - FNTV "Les transporteurs de voyageurs sont abandonnés par les pouvoirs publics"

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Dans une lettre ouverte envoyée aux parlementaires et élus locaux, Thierry Schidler lance un appel à l’aide. Selon le président des Autocars Schidler, à Bouzonville (Moselle), et président de la chambre syndicale des transports en Moselle FNTR - FNTV, les voyagistes ne voient pas le bout du tunnel et doivent être soutenus.

Dans une lettre ouverte publiée le 12 janvier, Thierry Schidler se fait l'écho du secteur du transport par autocar en réclamant des aides publiques à la hauteur des difficultés financières — Photo : Olivier Lievin

Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire cette lettre ouverte de neuf pages dans laquelle vous annoncez que "les conséquences économiques de la Covid peuvent entraîner la mort des PME familiales du transport touristique de voyageurs" ?

Thierry Schidler : Ce cri d’alarme, je le lance pour toute la profession. Nous sommes abandonnés par les pouvoirs publics qui imaginent que l’économie repart pour tout le monde. Je comprends qu’il soit stratégique et nécessaire de le dire mais ils ne doivent pas oublier que certaines entreprises sont toujours sur le carreau. Les voyagistes n’ont toujours pas retrouvé d’activité. Et voilà que les aides se tarissent. Sans oublier que le transport, dans sa dimension collective, rajoute à la problématique. Comment voulez-vous remplir un autocar quand on entend partout qu’il faut garder les masques et les gestes barrières ? Nous sommes dans une situation catastrophique et nous devons être soutenus davantage.

Les aides ne vous ont pas permis de garder la tête hors de l’eau ?

Le problème est qu'il y a eu des aides corrélées aux seuils de perte. Celui qui perdait 80% de son chiffre d'affaires bénéficiait des aides et celui qui en perdait 70% n'avait rien. Et au-delà de 30%, la situation est catastrophique. Il n'y pas eu de sur-mesure. Avec tous les contrôles existants, il est possible de voir si la déclaration est juste ou non et donc de constater les pertes réelles. Les experts-comptables, les commissaires aux comptes, l'Urssaf et l'Inspection du travail sont là pour ça. Il ne fallait pas faire des seuils mais des tranches. Il fallait être proportionnel et cela ne l'a pas été.

"On essaie de trouver une écoute attentive et on ne l'obtient pas."

Avec le chômage partiel, les reports de charges et les prêts garantis par l’État (PGE), vous estimez que l’État n’a pas été au rendez-vous ?

L’État a aidé et je le remercie. Mais il a donné beaucoup à certains et rien à d’autres. Je n’ai rien contre les restaurateurs mais ils ont été davantage soutenus que nous. Tant mieux pour eux mais, pour prendre l'exemple de Schidler, nous avons bénéficié du chômage partiel, d’un report des charges patronales pendant trois mois et du PGE, c’est tout. Contrairement à ceux qui ont eu une prise en charge des coûts fixes, je n’ai pas reçu d’aide financière sur mon compte. Et je ne suis pas le seul dans ce cas.

Avant d'écrire cette lettre ouverte, avez-vous essayé de vous faire entendre auprès des autorités ?

Oui, j’ai appelé la médiatrice de la Relance en Moselle : pas de réponse. Je lui ai envoyé un mail : toujours rien. C’est juste dingue. On essaie de trouver une écoute attentive et on ne l’obtient pas. Nous sommes des entreprises familiales avec une série d’activités comme le transport scolaire, les lignes régulières et le tourisme. Or, aujourd’hui, le tourisme ne représente plus rien. Non, l'activité n’a pas redécollé. Les clubs seniors qui vont en Bretagne en septembre et au marché de Noël en décembre ? Rien. Les comités d’entreprise, rien non plus. Eux qui remplissaient nos cars à la pelle pour aller chez Disney, Europa-Park ou encore Kirrwiller. Les groupes d’enfants pour les voyages culturels et linguistiques, fini ! Il faut entendre tout cela. N’oublions pas que nos autocars de tourisme coûtent entre 4 et 5 000 euros par mois. Et donc, tous les mois depuis bientôt deux ans, il n’y a aucun loyer couvert par une recette. C’est terrible.

"Quand les bilans seront publiés fin mars, beaucoup de chefs d'entreprise tomberont de l'armoire."

La situation financière des Autocars Schidler (5 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2020 contre 7,5 millions d'euros en 2019, 80 salariés) menace-t-elle l’avenir de l’entreprise ?

Non, l’idée n’est pas de dire que Schidler va déposer le bilan. Je n’ai pas consommé mon PGE et j’ai encore un million d’euros sur le compte. Mais d’autres l’ont consommé. Et même si vous avez fait de l’analytique et du provisionnel, la situation est tellement bizarre que vous avez de l’argent du prêt garanti par l'État (PGE) sur votre compte mais il ne reflète absolument pas la réalité. Quand les bilans seront publiés fin mars, beaucoup de chefs d'entreprise tomberont de l’armoire.

Quelles peuvent être les conséquences ?

Un bilan aussi négatif peut avoir un impact sur la notation de la Banque de France, sur les investissements futurs, sur les capitaux propres et donc sur les licences. Tout est lié. Aujourd’hui, nous devons nous relever alors que nous avons deux pieds blessés. Pendant la crise, certaines professions ont réussi à tirer les marrons du feu mais nous, nous restons en grande difficulté. Nous entendons partout que l’horizon est en train de s’éclaircir mais encore ce lundi (17 janvier 2022, NDLR), deux cars d’étudiants en partance pour Amsterdam ont été annulés. Deux autocars pour Strasbourg, même chose. À cela s’ajoute une pénurie historique de conducteurs. Certains sont partis faire du camion parce qu’ils en avaient assez. Même si l’activité reprenait d’ici quelques mois, je n’aurais aucun pilote à mettre dans mes cars. C’est un sacré paradoxe : je souhaite que ça reprenne mais si ça reprend, je suis mal. D'autant plus que l’avenir, c’est quoi ? Il va falloir repartir au combat tout en remboursant notre PGE et en payant les augmentations de gazole, de pneumatiques, de lubrifiants, de péages, d’assurances, sans oublier le gaz et l’électricité pour nos structures. Toutes nos composantes de coûts subissent des augmentations et nous ne pouvons pas faire autrement que de relever nos prix. Et j’y tiens, il faut aussi augmenter les rémunérations car, depuis trop longtemps dans cette profession, les salariés sont mal payés.

"Une entreprise de transport de voyageurs qui valait 1 000 avant la crise n'en vaut plus que 300 aujourd'hui. Personne n'en veut."

Face à ce mur des coûts de production, craignez-vous une vague de défaillances dans le secteur ?

Un chef d’entreprise n’ose pas dire les choses. Mais, dans cette lettre, je le dis : des dépôts de bilans sont à prévoir. Dans nos entreprises familiales, les gens font l’autruche, c’est tabou. Ce n’est jamais agréable de dire qu’on ne va pas bien. J’ai donc décidé de le dire à la place de tous ceux qui ne peuvent pas ou ne veulent pas le faire. J’ai eu des belles entreprises qui m’ont appelé et qui m’ont confirmé cette réalité. Certains envisagent désormais la cession. Mais une entreprise de transport de voyageurs qui valait 1 000 avant la crise ne vaut plus que 300 aujourd’hui. Personne n’en veut. On risque de les brader. Même chose pour nos autocars. Rendez-vous compte de ce que cela peut faire dans la tête et le corps de ceux qui dirigent des entreprises vieilles de trois générations.

Un autocar de tourisme coûte entre 4 000 et 5 000 euros par mois selon Thierry Schidler — Photo : Thierry Schidler

Que faut-il mettre en place pour que votre secteur passe cette crise plus sereinement ?

Tout n’est pas perdu. Déjà, les aides ne doivent pas s’arrêter et leurs critères d’éligibilité doivent être revus. J’évoque par exemple un fonds de solidarité à partir de 30 % avec des paliers par dizaines jusqu’à 100 % de pertes. Même chose pour les coûts fixes. Ensuite, il faut que le chômage partiel soit maintenu sans reste à charge. Il ne faut surtout pas que nos conducteurs continuent à fuir la profession. Il faut aussi nous exonérer de charges patronales pour les quatre premiers mois de 2022 et nous permettre de rembourser le PGE seulement quand l’activité reprendra. Car aujourd’hui nous sommes tannés par les banques qui nous demandent de prendre une décision : "remboursez tout de suite ou sur tant d’années mais prenez votre décision maintenant et vous ne pourrez pas la changer". Enfin, il faut encourager les scolaires et les clubs seniors à reprendre une activité culturelle et touristique. J’en appelle aussi aux comités d'entreprises qui ont thésaurisé pendant la crise : revenez vers nous dès que possible.

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