À Champigneulles (Meurthe-et-Moselle), au nord de Nancy, la Compagnie française de la chaussure (CFC), l’une des dernières manufactures françaises de chaussures, retrouve son lustre sous l’impulsion de son ex-DRH. Cette discrète entreprise (1,3 million d'euros de chiffre d'affaires en 2020), nichée entre l’autoroute A31 et un quartier de logements sociaux, est l’héritière du groupe de chaussures André, né en 1896 à Nancy, lui-même à l’origine du géant français Vivarte (La Halle aux Chaussures, Minelli, Naf Naf, etc.) démantelé en juin 2020.
30 emplois sauvés sur 130
Ingride Muller, la nouvelle dirigeante de la CFC, s’attache à prolonger cette saga lorraine marquée par la désindustrialisation : Vivarte a cédé la manufacture de Champigneulles fin 2016 au groupe d’investissement allemand Hanse Industriekapital (HIK). "Il était inconcevable pour moi de ne pas tenter quelque chose", résume cette autodidacte de 44 ans, entrée dans l’entreprise comme DRH intérimaire trois mois après son placement en redressement judiciaire. Elle s’est battue pendant six mois pour finalement reprendre les actifs de la manufacture en décembre 2018 dans le cadre d’une liquidation judiciaire. 30 emplois sur 131 ont pu être sauvés. Le panneau sur la façade des ateliers rappelle l’ancienne dénomination de l’entreprise : Compagnie vosgienne de la chaussure.
L’actionnaire du Coq Sportif en renfort
Ingride Muller a bénéficié d’un précieux soutien, celui du groupe suisse Petrus Finance, devenu actionnaire minoritaire. "Petrus Finance est un ancien client de l’entreprise au travers de sa filiale Airesis (Le Coq Sportif). Il a répondu présent en s’engageant à abonder notre fonds de roulement pendant trois ans à la demande du tribunal de commerce", expose la dirigeante. Ingride Muller a également reçu l’appui de l’État au travers du Commissariat au redressement productif ainsi que celui de la communauté de communes du Bassin de Pompey, qui s’est portée acquéreuse des 15 000 m² d'ateliers au moment de la liquidation.
La cheffe d’entreprise a su regagner la confiance des clients, notamment du groupe Vivarte qui lui a assuré un matelas de commandes régulières jusqu’à son démantèlement. Elle a surtout noué deux partenariats prometteurs. Le dernier en date a été entériné cette année avec Spartoo (GBB, JB Martin, Easy Peasy), qui a confié à la CFC la fabrication de modèles de la marque pour enfants Little Mary rachetée en 2019. Le second a été signé avec un autre lorrain, le distributeur Chaussea (500 magasins en France, Belgique et Luxembourg et 4 000 collaborateurs), basé à Valleroy (Meurthe-et-Moselle). Depuis cet automne, l’enseigne expérimente à petite échelle une gamme "made in France" produite dans les ateliers de Champigneulles. Cinq modèles ont d’ores et déjà été livrés dans des enseignes tests en France et au Luxembourg.
Parcours d’autodidacte
"S’engager dans la production en France est un challenge. Ce projet est l’occasion pour nous de soutenir une des dernières usines de fabrication de chaussures françaises et de proposer à nos clients qui le souhaitent de consommer local avec un prix de vente accessible", se félicite-t-on chez Chaussea.
La gérante de la CFC se sent proche des frères Michel et Gaëtan Grieco, fondateurs de Chaussea en 1984. Elle partage avec eux un même parcours d’autodidacte. "Gaëtan Grieco a quitté Valleroy à 16 ans pour travailler dans une usine de chaussures en Toscane, berceau de sa famille, avant de revenir en Lorraine pour écouler les stocks de son patron sur les marchés. Il a associé à l’aventure son frère Michel, alors gendarme", rappelle-t-elle. De son côté, Ingride Muller n’avait pour tout bagage que son bac littéraire, complété par un bac professionnel en RH-comptabilité lorsqu’elle s’est lancée dans la vie active. Elle a gravi un à un les échelons, dans la fonction publique hospitalière et dans le transport routier de marchandises.
Aujourd’hui, Chaussea et Little Mary assurent un carnet de commandes à l’usine CFC, labellisée "Entreprise du patrimoine vivant". Deux des six îlots de production tournent à plein régime. Mais la dirigeante voit plus loin. Elle aimerait recréer un bureau d’études et produit 300 modèles d’une basket sur laquelle un brevet est en cours de dépôt. Elle envisage également de créer un centre de formation, mais aussi de réintroduire les métiers de découpe des cuirs et de couture des différentes pièces formant le dessus d’une chaussure.