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Coronavirus : volontaire pour relancer l’activité, Acrotir se heurte au silence des donneurs d’ordres
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Coronavirus : volontaire pour relancer l’activité, Acrotir se heurte au silence des donneurs d’ordres

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Pour Laurent Elles, dirigeant de l'entreprise spécialisée dans les travaux en hauteur Acrotir, à Lunéville, en Meurthe-et-Moselle, la sortie du guide sur les pratiques sanitaires montre que la question de la responsabilité du maître d’ouvrage bloque en partie la reprise de l’activité dans le BTP.

Le guide de bonnes pratiques sanitaires du BTP « n'est pas une source de vérité à suivre les yeux fermés », estime Laurent Elles, le dirigeant d'Acrotir — Photo : Acrotir Développement

« Un guide ne peut pas répondre à toutes les questions que se posent les entreprises. » Pour Laurent Elles, le dirigeant d’Acrotir (CA : 4 M€ ; effectif : 40 salariés), société du BTP spécialisée dans les travaux en hauteur à Lunéville (Meurthe-et-Moselle), la publication par l’OPPBTP du guide de préconisations de sécurité sanitaire en période d’épidémie de coronavirus ne pouvait pas avoir l’impact attendu, à savoir remettre instantanément toutes les entreprises du BTP sur le chemin des chantiers : « C’est un guide – le terme est adapté – mais ce n’est pas une source de vérité à suivre les yeux fermés. C’est pour cela qu’il faut revenir à une organisation de bon sens, individuelle et collective », estime-t-il.

Pour le dirigeant lunévillois, le premier effet de la publication du guide est de pointer la question de la responsabilité sur et autour des chantiers. Plongé dans une crise sanitaire inédite, l'employeur est-il tenu à une obligation de moyens ou une obligation de résultat ? « Les organisations patronales voulaient que le guide mentionne clairement que l’obligation est de moyens. Sans être juriste, je constate dans ce document qu’il y a une obligation de moyens. Mais s’il n’y a pas un décret qui précise que lors de toute intervention réalisée dans le contexte sanitaire du Covid-19 l’obligation de moyens suffit par rapport à l’obligation habituelle du code du travail – l’obligation de résultat –, ça ne sert à rien. C’est la loi qui prévaut », détaille Laurent Elles.

« Je peux comprendre les hésitations »

Concrètement, l’obligation de moyens oblige la partie lésée à prouver la faute de son partenaire. À l’inverse, lorsque l’obligation est de résultat, le simple fait de ne pas honorer son obligation suffit à mettre en cause la responsabilité : « Derrière cela, il y a du concret : si le chantier n’avait pas eu lieu, si la route n’avait pas été bloquée, alors l’ambulance serait arrivée à temps, par exemple. Et la famille d'un malade peut attaquer l’entreprise et la collectivité. Que retiendra le juge dans ce cas ? », questionne le dirigeant d’Acrotir. « Je peux comprendre que les élus, donneurs d’ordres publics, puissent avoir des hésitations à cause de peurs liées à des risques sanitaires, qu’ils soient directs ou indirects. »

Aujourd’hui, dans la filière des travaux en hauteur que Laurent Elles connaît bien, le constat est unanime : « Les donneurs d’ordres ne répondent même pas à nos demandes, ou nous disent non ». Une situation que déplore le chef d’entreprise, notamment du fait de la communication autour de la reprise dans le BTP : « L’État nous dit qu’il faut redémarrer, les organisations professionnelles veulent redémarrer. Moi je veux bien : mais même pour des chantiers sur des toitures de bâtiments qui ne sont pas occupés et qui sont protégés, quand je prends ma responsabilité de dirigeant pour poursuivre les travaux, ce n’est pas possible ».

Un prêt bancaire pour survivre

Sur la deuxième quinzaine du mois de mars, Acrotir a réussi à faire 10 % de l’activité prévue. « Sur le mois d’avril, en étant mobilisé, volontaire, organisé, équipé, en faisant des urgences et en travaillant sur des sites dits "indispensables" pour la nation, je vais réussir à faire 20 % de ce qui était prévu », précise Laurent Elles, qui estime ne pas pouvoir revenir à 100 % de l’activité avant septembre. La survie de l’entreprise dépend aujourd’hui de l’obtention d’un prêt bancaire garanti par l'Etat : « Avec cette régression du chiffre d'affaires et la progression lente, il faudrait de 600 000 à 700 000 € de cash disponible pour tenir jusqu’à septembre. Je ne les ai pas… »

Même la reprise « post-confinement », organisée selon toute vraisemblance en respectant des gestes barrière très contraignants, notamment pour les déplacements des salariés, ne résoudra pas les problèmes de trésorerie : « Tant que j’ai une équipe sur cinq qui travaille, je paye deux fois plus de frais de transport et de kilomètres mais on peut travailler. Demain, quand on aura deux équipes, ça ira encore, puis le déconfinement arrivera, il faudra trois équipes et six camionnettes, puis il en faudra 7, 8… Et là les coûts vont vraiment exploser ».

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