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Un an après sa lettre à Emmanuel Macron, rien n'a changé pour le patron d'Acrotir
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Un an après sa lettre à Emmanuel Macron, rien n'a changé pour le patron d'Acrotir

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Est-ce utile d'envoyer ses doléances au président de la République ? Laurent Elles, à la tête d'Acrotir, a bien une idée sur le sujet : le 21 février 2018, il envoyait une lettre à Emmanuel Macron pour l'alerter de la situation de son entreprise de travaux, basée à Lunéville (Meurthe-et-Moselle). Une société saine, mais étranglée par les retards de paiement de ses clients. Un an plus tard, il dresse le bilan de cette initiative, bien obligé de constater qu'elle n'aura pas vraiment permis de résoudre ses problématiques sur le fond.

Un an après avoir écrit une lettre au président de la République, Laurent Elles, président d'Acrotir, continue de se battre contre le fléau des retards de paiement — Photo : Acrotir Développement

Il n'a pas attendu le Grand débat pour faire remonter ses récriminations au sommet de l'Etat. Il y a tout juste un an, Laurent Elles, président d'Acrotir, prenait sa plume pour alerter Emmanuel Macron des difficultés de son entreprise, spécialisée dans les travaux en milieux d'accès difficile. Son cahier de doléances à lui a pris, à l'époque, la forme d'une lettre, envoyée en copie aux acteurs politiques et économiques de la région.

Le dirigeant y déroulait son histoire, celle d'une société en croissance (40 salariés, CA : 4 M€), contrainte de freiner son développement du fait d'importantes tensions sur sa trésorerie... jusqu'au « coup de grâce » apporté par un organisme d'assurance-crédit qui avait décidé de lui retirer ses garanties. Aujourd'hui, Acrotir existe toujours... mais rien n'a vraiment changé, d'après Laurent Elles.

Des retombées de courte durée

« Ma lettre a fait bouger quelques lignes pendant quelques semaines », admet le chef d'entreprise, avant d'énumérer les retombées immédiates de son appel à l'aide : « Là où j'attendais un paiement de 40 000 euros depuis plusieurs mois, j'ai reçu un acompte de 10 000, débloqués en quatre jours. Sauf que je demandais le versement intégral ! Autre exemple : 48 heures après la publication d'articles dans la presse, des personnes, à qui je n'arrivais jamais à parler, m'ont subitement appelé "par le plus grand des hasards"... »

« Aujourd'hui, tout le monde regarde de nouveau son nombril... »

Las, le soufflé est vite retombé : un an plus tard, « les mauvais payeurs le sont restés, les collectivités qui ne traitent pas les dossiers ne le font pas plus, les assureurs-crédit continuent à faire ce qu'ils veulent... Bref, aujourd'hui, tout le monde regarde de nouveau son nombril », lâche Laurent Elles dans un long soupir.

Le chef d'entreprise n'est toutefois plus tout à fait seul dans son combat : il est désormais en contact avec le médiateur des entreprises Pierre Pelouzet et la Banque de France, notamment. Un soutien bienvenu, mais pas forcément des plus efficients : « Je me suis rendu compte que ce sont ceux avec le moins de moyens d'action à leur disposition qui se remuent le plus, alors que ceux dotés de pouvoirs de décision, on ne les voit jamais. »

Dégradation des délais de paiement

Photo : Acrotir Développement

Et il y aurait pourtant fort à faire, à en croire le dirigeant d'Acrotir. En premier lieu sur les délais de paiement, son point noir. Selon ses calculs, ils sont passés en moyenne, de 74 jours à plus de 110, sur ces 18 derniers mois. « En réalité, le problème vient plus du délai de prise en compte de la facture », précise-t-il. Pourquoi une telle dégradation ? « Il faut bien que quelqu'un fasse la trésorerie des grands groupes ! Le cash nécessaire à leurs projets ne leur est pas fourni par les banques : elles ne font plus leur métier. Du coup, ils utilisent l'argent de leurs sous-traitants PME », déplore Laurent Elles.

Le patron poursuit sa démonstration, en pointant du doigt l'autoliquidation de la TVA, qui consiste, dans le BTP, à transférer du sous-traitant vers le donneur d'ordre l'acquittement de la taxe sur la valeur ajoutée : « Dans ces conditions, je règle mes fournisseurs en TTC, mais je facture mes clients en net de taxes, lesquels refusent parfois de me verser des acomptes. Autrement dit, je fais le banquier des uns, des autres et de l’Etat, le tout sur plusieurs mois. Il faut que cela cesse ! »

Du côté du public, la situation n'est guère plus réjouissante : « Certaines collectivités engagent des fonds, sans avoir encore l'argent à leur disposition. » Sans compter tous les tracas, avec lesquels le patron d'Acrotir dit devoir jongler, entre modifications de la réglementation et des process, « digitalisation », bogues informatiques, erreurs de saisie, mauvais payeurs « volontaires », etc.

La coupe est pleine

Au final, « nous avons plus de difficultés qui s'accumulent que de problèmes qui se résolvent ». La raison en est simple, selon lui : les entreprises payent aujourd'hui des années d'inaction politique, durant lesquelles rien n'a été fait pour fluidifier les relations économiques : « C'est comme si vous ouvriez deux robinets dans un bac, dont l’évacuation n’a été conçue que pour recevoir l'eau d'un seul. Il suffit que le siphon soit un peu encrassé et votre bassin se retrouve rempli deux à trois fois plus vite que prévu... »

« Pour aider les PME à grandir, il faudrait déjà arrêter de leur mettre des collets aux pattes. »

Conséquence de toutes ces difficultés, le patron d'Acrotir assure qu'il est toujours contraint de brider sa croissance. De quoi nourrir une forme de rancoeur : « Un grand nombre de modes de fonctionnement en vigueur actuellement ne sont pas en adéquation avec le discours général sur la nécessité d'aider les PME à croître. Pour leur permettre de gagner en croissance et en autonomie, il faudrait déjà arrêter de leur mettre des collets aux pattes. » Pour être convaincu, Laurent Elles attend désormais plus que des mots de la part des représentants de l'État. Et lui aura sans doute besoin de bien plus qu'une lettre à l'attention de l'Elysée pour libérer le chiffre d'affaires de son entreprise.

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