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Acrotir : « J'ai freiné la croissance pour pouvoir continuer à exister »
Interview Meurthe-et-Moselle

Laurent Elles président d’Acrotir Acrotir : « J'ai freiné la croissance pour pouvoir continuer à exister »

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Dirigeant d’Acrotir, une société spécialisée dans les travaux d’accès difficile basée à Lunéville (Meurthe-et-Moselle), Laurent Elles a écrit au président de la République pour lui détailler les difficultés rencontrées par son entreprise. Grâce à sa ténacité, le dirigeant lorrain a empêché une PME saine d’aller grossir le rang des liquidés.

Dirigeant d'Acrotir, Laurent Elles a écrit à Emmanuel Macron pour l'alerter sur les difficultés rencontrées par les patrons de PME français. — Photo : Jean-François Michel

Le Journal des Entreprises : Quelle était la situation de l’entreprise avant les difficultés ?

Laurent Elles : Acrotir est spécialisée dans les travaux d’accès difficile. C’est un métier jeune qui évolue à toute vitesse. En 2014, j'ai engagé une stratégie de développement pour passer d’une petite PME locale à une entreprise avec une vision plus large, au niveau national et international. L’enjeu était de passer de 15 salariés et 1,6 M€ de CA, à une entreprise de 80 à 100 salariés avec 10 M€ de CA.

Qu’est-ce qui s’est passé ?

L.E. : En décembre 2015, on rachète une entreprise. En avril 2016, deux projets de R&D, pour lesquels nous avions demandé des subventions, peuvent être enclenchés après plus de deux ans d’attente. En juin 2016, la démarche export commence à porter ses fruits. Au lieu d'avoir tous ces projets étalés sur deux ans et demi, et d'avoir le temps d'absorber le développement et donc les coûts, on se retrouve à absorber tout ça en 7 mois au lieu de 30.

Tout cela cumulé a donc amené une tension sur la trésorerie. Cette tension a été fortement impactée par un organisme privé d’assurance-crédit qui est Euler Hermes, qui, d'un seul coup, a décroché toutes ses garanties auprès de nos fournisseurs. C'est ce que j'appelle le coup de grâce. A 8h30, Euler Hermes m'appelle pour m’informer que mes encours vont être coupés. A 14h, on commence à avoir les fournisseurs qui appellent en disant : « Qu'est-ce qui se passe ? »

« Les entreprises subissent dans l'ombre, sans rien dire, les comportements financiers du système. »

Il n’y a pas de discussion possible ?

L.E. : La réponse est simple : je suis un assureur, je fais ce que je veux. On est passé de 100 % d'un certain niveau de garantie à zéro. En passant de tout à rien, je suis obligé d'acheter mes nouvelles commandes en pro forma. Il faut aussi que je paye les factures en cours. Vu qu'on est en mai, il faut préparer l'été. Donc c'est le moment où on est le plus tendu et on me coupe l'assurance. L'effet est désastreux. Pour une entreprise moins solide ou plus jeune, c'est l'arrêt d'activité. De notre côté, la diversité de notre activité nous a sauvés.

C’est à ce moment que vous avez voulu alerter le président de la République Emmanuel Macron ?

L.E. : À l'été 2017, je prépare mon courrier au président de la République. Et je ne l'envoie pas... Pourquoi ? Je me dis que la situation reste tendue, mais si je l'envoie, j'imagine qu'il peut y avoir un effet pervers. Je me suis décidé à l'envoyer en février 2018, parce qu'à ce moment, je commençais à avoir les premiers effets des investissements de ces dernières années. Quelque part, la preuve du concept. Aujourd'hui, les banquiers ne m'accordent plus rien, donc je ne prends plus de risques.

Il fallait témoigner ?

L.E. : Notre président se comporte comme un chef d'entreprise, on parle du renouveau économique de la France, mais il faut que tout le monde aille dans le même sens. Parce que si d'un seul coup, au moment où on a besoin d'être accompagné, il y a un acteur, privé de surcroît, qui se retire, c'est une perte de confiance. Le risque, c'est que toute l’entreprise s'écroule. Dans mon courrier, je voulais expliquer qu'il y a plein de belles choses en France, mais qui sont d'une telle complexité à faire vivre que je préférerais qu'on baisse les impôts, qu’on baisse les charges, mais que les entrepreneurs n’aient droit à aucune subvention.

Des entrepreneurs se sont retrouvés dans votre histoire ?

L.E. : Dans les 48 heures qui ont suivi la parution dans la presse économique, j'ai eu des appels de fournisseurs, de clients qui savaient qu'on était sous tension et qui m'ont apporté leur soutien. Et j'ai eu quelques entreprises, que je ne connaissais pas bien, qui m’ont expliqué qu’ils avaient eu le même coup avec Euler Hermes. Finalement, les langues se délient. Pour moi, ça montre qu'en sourdine, le monde de l'entreprise subit des comportements financiers, que ce soient des grands comptes, de la commande publique, du système d'une manière générale. On subit dans l'ombre, sans rien dire.

Où en est votre plan de développement ?

L.E. : Aujourd'hui, notre CA est en hausse de 25 %. Mes démarches de recherche de financement vont nous permettre de lever près de 1,5 million d'euros, auprès de différents fonds. Tout ça ne nous a pas empêchés de passer de 15 à 40 salariés et de 1,5 à 4 millions d'euros de chiffre d'affaires en trois ans. L'année dernière, j'ai freiné la croissance pour pouvoir continuer à exister. Sinon, aujourd'hui, on pourrait être à 5 millions de CA et avoir près de 50 salariés. Avec l'ouverture du capital, nous allons pouvoir reprendre la croissance. Dans l'affaire, on aura perdu 18 mois.

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