Coronavirus - François Asselin (CPME) : « L’employeur ne peut pas être responsable de tout »
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François Asselin président de la CPME Coronavirus - François Asselin (CPME) : « L’employeur ne peut pas être responsable de tout »

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Le président de la CPME François Asselin estime que l’épidémie de coronavirus doit amener le gouvernement à revisiter la notion de responsabilité de l’employeur. Sans faute intentionnelle, un employeur ne doit pas pouvoir faire l'objet de poursuites pénales par un salarié touché par le Covid-19, assure le patron de l'organisation professionnelle des PME.

"L'une des premières responsabilités de l’employeur est d’assurer la santé et la sécurité de ses salariés. En temps normal, cette responsabilité est écrasante. Avec l’épidémie de coronavirus, elle devient insupportable", assure François Asselin, président de la CPME — Photo : Stéphane Vandangeon Le journal des Entreprises

Quel premier bilan dressez-vous des prêts garantis par l’État ? Estimez-vous que les banques octroient facilement ces prêts mis en place pour soulager les trésoreries des entreprises ?

François Asselin : La possibilité d’accéder à l’équivalent de trois mois de chiffre d’affaires avec un prêt garanti par l’État est une bonne idée pour passer cette période. Mais cela ne deviendra un bon outil que si l’intendance suit. Cela signifie, d’une part, que l’accès à ce prêt doit être simple et que les banques ne demandent pas à aux entrepreneurs des tas de garanties et de justificatifs supplémentaires. D’autre part, les entreprises doivent pouvoir accéder à ces prêts : si les banques en restreignent trop l’accès en ne prêtant qu’aux riches, cela va provoquer beaucoup de désillusions et de colères. Certes, on ne peut pas distribuer l’argent les yeux fermés, mais ces prêts sont quand même garantis à 90 % par l’État. Ce que j’attends de tous les réseaux bancaires, c’est qu’ils prennent en compte la période actuelle. S’ils sont trop radicaux dans l’octroi de cette aide, on passera complètement à côté de l’esprit de ce dispositif.

Vous avez des remontées du terrain allant dans ce sens ? Des entreprises ont des difficultés à contracter ces prêts ?

Oui, on a des signaux faibles qui vont dans ce sens. Tout dépend des banques, des territoires. Et même au sein d’un même réseau bancaire, il peut y avoir des situations très différentes. Finalement, cela montre que la relation bancaire passe toujours par les hommes.

Que comptez-vous faire ?

Nous faisons remonter l’information au ministère de l’Économie. J’ai rendez-vous tous les jours à 18 heures avec Bruno Le Maire, au sein d’un groupe de travail qui réunit les grandes instances de notre pays, comme la Banque de France et la Fédération Bancaire Française, ainsi que les organisations interprofessionnelles. Sur ces questions, Bruno Le Maire nous prête une oreille attentive. Dans cette période, il faut savoir sortir un peu des sentiers battus et des critères habituels utilisés par les banques. Il ne faut pas que les banquiers se trompent de combat. Dans cette période, les banques doivent être dans l’accompagnement et dans le soutien aux entreprises.

Au niveau du chômage partiel, vous évoquiez ces derniers jours un décalage entre les discours des ministres et la réalité du terrain. Ce décalage est-il toujours d’actualité ?

Il y a eu un vrai décalage et ce décalage existe toujours un peu, même si la situation est en train de s’apaiser. Les services des Direccte ont été complètement débordés par l’afflux de demandes de chômage partiel. On peut le comprendre. Notons que l’exécutif a pris soin de laisser la possibilité aux entreprises d’effectuer une demande avec un effet rétroactif, ce qui constitue une bonne mesure. Mais nous avons eu des exemples, et il y a en a encore aujourd’hui, d’entreprises qui, légitimement, demandent l’accès au chômage partiel et qui se sont vu refuser cet accès. L’administration leur demande parfois des justificatifs complémentaires ou leur dit d’autres fois que leur demande est hors champ, c’est-à-dire qu’elle ne rentre pas dans le cadre défini.

La ministre du Travail Muriel Pénicaud a parlé d’une vingtaine de refus seulement de chômage partiel. C’est un chiffre qui vous surprend ?

Oui. Je n’y crois toujours pas. Si une réponse, au motif qu’elle est « hors champs », n’est pas considérée comme un refus parce que c’est une demande inappropriée, évidemment on parvient à faire baisser les statistiques. Par contre, la ministre a raison sur un point : certaines entreprises pensent que leur demande de chômage partiel est refusée parce qu’elles n’ont pas reçu d’accusé de réception de la part de l’administration. En réalité, on ne peut pas considérer cette absence d’accusé de réception comme un refus de l’administration.

Une question divise le patronat français : faut-il ou non laisser les salariés aller travailler ? Quelle est votre position sur cette question ?

Il faut rester très humble face à cette situation et je n’ai aucune leçon à donner à qui que ce soit. L’une des premières responsabilités de l’employeur est d’assurer la santé et la sécurité de ses salariés. En temps normal, cette responsabilité est écrasante. Avec l’épidémie de coronavirus, elle devient insupportable car ce risque, personne ne peut le maîtriser. Avant de remettre les gens au travail, il faut se poser une question : est-ce que je peux les remettre au travail en toute sécurité ? Techniquement parlant, la réponse à cette question est loin d’être évidente. Regardez, dans le secteur de la construction, le guide des bonnes pratiques a beaucoup de mal à émerger.

« Il faut réfléchir à un cadre pour que nous puissions aussi bien protéger le salarié que le chef d’entreprise »

Par ailleurs, on a dit à un moment que les salariés n’avaient pas le droit d’utiliser leur droit de retrait. Mais, dans une PME, dans une entreprise à taille humaine, vous ne pouvez pas demander à un salarié d’aller au boulot avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Les employeurs font le maximum pour éviter qu’il y ait un risque épidémique dans l’entreprise, sachant qu’on ne peut pas maîtriser ce risque à 100 %. Je pense qu’il faut réfléchir à un cadre clair pour que, dans une situation exceptionnelle comme celle que nous vivons, nous puissions aussi bien protéger le salarié que le chef d’entreprise.

Comment assurer cette protection du chef d’entreprise ?

Si un salarié est victime du coronavirus et qu’il n’y a pas une faute intentionnelle de l’employeur, il ne faut pas que ce dernier puisse être poursuivi au pénal. Comme procèdent les élus de la Nation à travers la loi Fauchon (en réponse à une mise en cause jugée excessive de la responsabilité pénale des décideurs publics, cette loi du 10 juillet 2000 définit une catégorie de délits non intentionnels, NDLR). Il ne s’agit pas de s’affranchir de sa responsabilité, mais l’employeur ne peut pas être responsable de tout, surtout s’il a engagé des moyens.

« Il faut que le cadre soit clair, aujourd’hui nous sommes dans un no man’s land »

Sur cette question de la responsabilité de l’employeur, Muriel Pénicaud a beau dire que le droit du travail évoque une obligation de moyens et pas d’une obligation de résultat, nous avons un problème : la jurisprudence n’est absolument pas stable sur ce sujet. Imaginez qu’un employeur refuse un droit de retrait à un salarié et que celui-ci décède du coronavirus, que va-t-il se passer ? Il faut que le cadre soit clair ; aujourd’hui nous sommes dans un no man’s land.

Cette proposition d’une nouvelle responsabilité du chef d’entreprise face à une épidémie telle que nous la connaissons avec le coronavirus, vous l’avez formulée à Bruno Le Maire ?

Oui, j’en ai parlé au ministre car c’est un vrai sujet. Alors évidemment, on me répond que nous avons une obligation de moyens et pas de résultats mais ce n’est pas aussi évident que cela.

Globalement, que pensez-vous des mesures de soutien aux entreprises mises en place par le gouvernement ?

Les mesures sont plutôt bien calibrées, maintenant il faut que l’intendance suive. Toute la réussite de ces mesures se joue dans leur mise en application. Au plus haut sommet de l’État, je ne ressens aucune mauvaise volonté, bien au contraire.

Et dans quel état d’esprit sont les chefs d’entreprise ?

C’est le moment où tout se joue, où chacun fait appel au soutien de sa ou de ses banques. Si cette phase se passe bien, l’angoisse va s’estomper, sinon, cela va être très compliqué. Si on n’a pas de soutien dans une période comme celle-ci, beaucoup d’entrepreneurs prendront la direction du tribunal de commerce.

Pourtant Emmanuel Macron a promis qu’aucune entreprise ne serait en faillite à cause de l’épidémie…

C’est une belle et grande promesse, mais le président de la République a été un peu trop loin sur ce point.

« Pour un certain nombre de secteurs, il y aura un temps d’inertie »

Quel scénario envisagez-vous pour la sortie de crise ?

Difficile de répondre à cette question. Cela dépendra d’abord si on sort du confinement du jour au lendemain ou si la sortie sera progressive. Quand bien même, on sait que, pour un certain nombre de secteurs, il y aura un temps d’inertie. La qualité de la reprise dépendra aussi des décisions que nous prenons actuellement.

C’est-à-dire ?

Si on arrive à maintenir de l’activité économique, si on arrive à réduire aujourd’hui la casse, la reprise d’activité sera plus facile. Beaucoup de choses se jouent maintenant, dans les entreprises mais aussi dans le champ public. Dans mon secteur d’activité (le bâtiment, NDLR) par exemple, il n’y a quasiment plus aucun appel d’offres public. Répondre à un appel d’offres est pourtant une activité qui peut être réalisée en télétravail… En ne publiant pas d’appel d’offres, on est en train de décaler le redémarrage de beaucoup d’entreprises.

Emmanuel Macron a évoqué sa volonté de renforcer la souveraineté industrielle de la France. Que faut-il pour y parvenir ?

Il faut une culture PME à tous les niveaux du pays. Regardez la capacité d’adaptation des entreprises. On voit un peu partout en France des entreprises qui se mettent à fabriquer des masques, du gel hydroalcoolique… Cette capacité d’adaptation est remarquable et il faut qu’elle existe dans tous les rouages de la société. Y compris dans notre administration. Aujourd’hui, notre administration est structurée pour être dans le contrôle et la sanction – je ne dis pas que ce n’est pas utile, car il faut des règles et il faut les faire appliquer – mais on a besoin d’une administration qui se tourne vers l’accompagnement des acteurs économiques.

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