Micro-brasseries, maxi-marché ?
Enquête # Agroalimentaire

Micro-brasseries, maxi-marché ?

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La Bretagne compte à ce jour environ 80 micro-brasseries. Sans modération, elles poussent comme des levures. Quels entrepreneurs derrière ces brassins ? La rentabilité est-elle au rendez-vous ? Le business prospère-t-il ? Tour d'horizon d'une région brassicole en ébullition.

Photo : Patrick Fore CC0

Elles poussent actuellement en Bretagne comme des champignons. Les micro-brasseries seraient au nombre de 70 dans la région et il s'en créerait une, en moyenne, tous les deux jours ! Plus difficile en revanche de perdurer... Le modèle économique de la micro-brasserie se base sur une recette particulière, agrémentée de circuits courts.

« À l'écart de la grande distribution »

Dans le sillage de leurs aînées Coreff, Britt et Lancelot, de nouvelles micro-brasseries ont fait leur apparition ces dernières années, notamment dans le Finistère. À l'image de Tri Martolod, à Concarneau. Cette brasserie coopérative créée au début des années 2000 emploie désormais 17 salariés pour un chiffre d'affaires d'1,3 M€. «Nous produisons 4 000 hl par an, en comptant la production de la brasserie An Alarc'h, à la Feuillée, qu'on a rachetée en 2006 », détaille Mikaël Le Breton, co-gérant de la coopérative. « Nous avons toujours voulu rester à l'écart de la grande distribution pour conserver notre indépendance et préserver la qualité de nos produits : ni filtrés, ni pasteurisés, comme dans les années 1960 ! », sourit celui qui est aussi délégué régional du syndicat national des brasseurs indépendants (lire ci-dessous). Plus au nord, à Brest, Benoît Corre a monté la Brasserie du Baril il y a tout juste un an. Lui aussi se tient à l'écart de la GMS: « On brasse 320 hl par an qu'on vend exclusivement autour de Brest à une centaine de clients », confie celui qui a investit 75 000 € dans son outil de production et vient d'embaucher un commercial.

« Une production à multiplier par huit »

Créée en 2013 par Jérôme Jaffré et Alexandre Eoche-Duval, la brasserie du Zéphyr à Saint-Pierre-Quiberon est incontournable lorsque l'on file sur la presqu'île. C'est tout l'univers de la microbrasserie qui s'impose aux visiteurs et amateurs de bière légère bio. « Nous sommes à 260 hl cette année et travaillons en circuit court, auprès de 20-25 établissements de la presqu'île. » Le duo a fait ses calculs : il lui faut multiplier sa production par huit et passer à 2000 l/jour ! « Nous ne sommes pas tentés par le crowdfunding, trop long. Nous recherchons un financement pour changer l'équipement, automatiser la mise en bouteille. » L'autre souci, partagé par bon nombre de ces petites brasseries ? La matière première. « Nous avons besoin d'orge bio sans avoir à en faire venir de Belgique ou d'Allemagne... » Qui dit brasserie dit malterie. À Saint-Avé, Hervé Lamoureux a cerné cette carence en orge bio : il s'apprête à ouvrir cette fin d'année Yec'h Malt, première malterie semi-industrielle en Bretagne. Il vise les 800 T/an pour répondre aux besoins bretons.

Sainte-Colombe : 20 ans après

À Sainte-Colombe aussi, on songe à refaire du bio. Perdue dans la campagne au sud-est de Rennes, près de Janzé, la brasserie fait figure de pionnière en Ille-et-Vilaine. Gonny Everts-Keizer et son mari Henri Everts se sont lancés il y a 20 ans. A l'époque, ils produisaient 400 litres tous les 15 jours. Aujourd'hui, le couple d'entrepreneurs est à 6 000 l... par semaine ! En 2013, il cumulait 2 000 hl sur l'année. « En 2016, nous devrions être à 3 000 », confie Gonny Everts de son accent néerlandais. C'est « un peu par hasard » que le couple passionné est arrivé en Bretagne pour monter de toutes pièces sa brasserie en 1996. Il lui a fallu quatre ans pour bien l'ancrer économiquement. « Il faut tout de suite un chiffre d'affaires conséquent vu les investissements lourds à mener. Se faire connaître prend aussi du temps, il vaut mieux avoir un job à côté », sourit Gonny Everts. Si c'était à refaire ? « Nous aurions acheté plus tôt du matériel, notamment de manutention, et une plus grande cuve. » Elle estime à 600 000 euros le montant total investi à Sainte-Colombe. Sans parler des compétences requises. « La qualité doit être constante. Or, nous sommes très dépendants des matières premières... » Comment le couple perçoit-il cette poussée de concurrence actuelle ? « Il y a encore assez de place pour l'instant, mais après cette vague-là... » Le couple s'interroge. Aujourd'hui, fort de son succès, - Sainte-Colombe dégage environ 10 % de résultat net pour 550 000 euros de CA-, le couple se lance dans une nouvelle aventure de diversification : le whisky. Un autre business proche.

RZN démarre, en pleine ville

Contrairement à beaucoup de ses concurrentes, la microbrasserie RZN est la seule à être installée en plein coeur d'un centre-ville, à Rennes. Clément Auvitu, qui est à l'origine de cette installation il y a un an, voulait « réintroduire la culture brassicole dans la ville, car les brasseries artisanales, ce n'est pas que rural ». Son objectif n'est pas de devenir industriel, ni de vendre en grandes quantités en GMS. Il travaille en vente directe et fournit ses deux (bientôt trois) types de bières à quelques bars et restaurants qui encouragent sa démarche. Clément Auvitu a investi 30 000 euros grâce à un prêt bancaire, un apport personnel et l'aide d'un particulier. Pour l'instant en auto-entreprise, il vise le plafond autorisé par ce statut (82 000 euros) dans trois ans. S'il ne vit pas encore de son activité, il pense se rapprocher cette année du seuil de rentabilité, « situé autour de 40 000 euros (soit 80 hl) », estime ce jeune chef d'entreprise de 25 ans, qui a produit 70 hl de bière depuis janvier. Et pour développer l'activité, il pourrait commencer la vente en ligne, avec retrait en magasin, et proposera des dégustations privées et concerts afin de faire de sa brasserie « un lieu de vie ». C'est aussi ça la recette gagnante !

Ménez-Bré : après le café, place à la bière

Propriétaire depuis 2013 de la brûlerie industrielle du Ménez Bré, basée à Pédernec dans les Côtes-d'Armor, Yves Cadiou finalise quant à lui un investissement de plus d'un million d'euros dans une brasserie artisanale. « J'ai toujours été intimement convaincu que les deux activités présentaient des similitudes. J'ai mûri le projet pendant quelques mois avant de me lancer dans cette nouvelle aventure. La commercialisation des premiers fûts et bouteilles devrait intervenir avant la fin de l'année 2016. » Pour mener à bien ce projet, il a fait appel à Marie Pallier pour s'occuper de la production. « J'occupais jusqu'à présent un poste identique au sein de la brasserie du Bouffay à Nantes, confirme-t-elle. Le challenge, ainsi qu'une prise de participation minoritaire m'ont tout de suite plu. » Il faut dire que les deux associés partent véritablement de zéro avec toutefois des moyens humains et financiers beaucoup plus importants que les nombreuses entités artisanales qui essaiment en Bretagne. Et il est clair que des synergies commerciales seront mises en place entre le café et le houblon. « Avec la marque Ménez Bré, nous servons les cafés, hôtels et restaurants. Avec Café André, racheté en 2002, nous avons un pied à conforter en grande distribution. Enfin, les marchés publics, pour alimenter les collectivités locales ou les hôpitaux, représentent un tiers de notre activité. Je suis persuadé qu'une grande partie de nos clients peut être séduite par de la bière brassée en Côtes-d'Armor. »

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