Industrie du textile : « Les fabricants de masques se sentent lésés »
Interview # Textile

Olivier Ducatillon président de l'Union des industriels du textile des Hauts-de-France Industrie du textile : « Les fabricants de masques se sentent lésés »

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Olivier Ducatillon, dirigeant du tisseur Lemaître Demesteere et président de l'Union des industriels du textile des Hauts-de-France, interpelle les entreprises et les pouvoirs publics sur le devenir des entreprises qui se sont engagées dans la fabrication de masques pendant la crise du Covid-19.

— Photo : UITH

Le Journal des Entreprises : Dans les Hauts-de-France, les entreprises du textile ont été nombreuses à se mobiliser pour assurer la production de masques, qui ont fait cruellement défaut au début de la crise. Quelle est leur situation aujourd’hui ?

Olivier Ducatillon : Très vite, dès le déclenchement de l’épidémie, les pouvoirs publics et les entreprises ont sollicité les industries du textile pour pallier le manque de masques. Et d’elles-mêmes, elles ont répondu présentes et se sont mobilisées comme jamais, pour être en mesure de répondre à la demande. Dans la région, c’est plus de 80 entreprises qui se sont lancées dans la fabrication de masques. Elles ont investi, adapté leur outil de production, recruté parfois, pour une opération qui n’était pas le business du siècle, mais peu importait ! Elles ont fait preuve d’un esprit de solidarité, d’une volonté d’aider. D’ailleurs, beaucoup ont proposé ces masques à prix coûtant.

Mais, avec le déconfinement, toute cette dynamique s’est arrêtée d’un coup, ça a été très brutal. Dès la mise en vente de masques dans les hypers et supermarchés, on a senti la décrue. Et aujourd’hui, les entreprises de la région ont sur les bras un million de masques, et le matériel pour en produire 3,5 millions de plus, sans savoir si elles pourront les écouler.

Vous avez peur d’être les oubliés de la reprise ?

Olivier Ducatillon : C’est un peu le sens de notre message, et c’est pour cela que nous avons voulu être reçus à Bercy, début juin. Il ne faut pas que la reprise fasse oublier cette mobilisation exceptionnelle dont les entreprises du textile ont su faire preuve quand on avait besoin d’elles.

« C’est un peu désespérant de voir, qu’à peine la crise passée, on cherche à nouveau à faire du pas cher, qui vient de loin. »

Aujourd’hui, alors qu’on sait que l’État vient de passer des commandes au Vietnam pour des masques jetables, nos entreprises peuvent se sentir lésées. Elles n’ont pas eu recours au chômage partiel, elles ont investi et fait beaucoup travailler leurs équipes, et maintenant, un certain nombre de dirigeants se disent qu’ils auraient mieux fait de rester les bras croisés et de recourir au chômage partiel, que ça leur aurait coûté moins cher. Et on ne peut pas leur en vouloir ! C’est très bien que tout le monde ait redécouvert qu’on a une filière textile riche et dynamique dans le pays. Maintenant, il s’agit de ne pas l’oublier.

Quelles sont vos demandes aujourd’hui ?

Olivier Ducatillon : A tous, nous demandons de retenir les leçons de la crise. Si l’on veut un « monde d’après », il faut prendre conscience du poids de ses achats, et essayer, le plus possible, de consommer durable et local. Dans cette perspective, les masques lavables en tissu, certifiés et fabriqués en France, sont la meilleure option. C’est un peu désespérant de voir qu’à peine la crise passée, on cherche à nouveau à faire du pas cher, qui vient de loin.

« Nous demandons donc aux consommateurs de se montrer citoyens en essayant de privilégier les produits Made in France. »

Il serait temps de chercher à prendre de nouvelles habitudes, et à relocaliser certains secteurs, dans lesquels nous avons encore de nombreux savoir-faire. Nous demandons donc aux consommateurs de se montrer citoyens en essayant de privilégier les produits Made in France, quand ils le peuvent. Et aux pouvoirs publics, de flécher la commande publique pour retrouver un juste équilibre, et faire en sorte que le prix ne soit pas toujours le critère déterminant.

Si demain, 15 à 20 % de la commande publique, dans tous les domaines, pouvait être fléchée vers une production locale ou nationale, cela pourrait changer énormément de choses pour beaucoup d’entreprises, en termes de chiffre d’affaires, d’emploi, et de perspectives. Dans l’immédiat, alors que l’État est en train de reconstituer ses stocks de masques, il est indispensable que les achats soient fléchés vers les stocks des entreprises françaises, pour les aider à les écouler. Parce que si on les oublie aujourd’hui, il n’est pas certain qu’elles soient aussi promptes à se mobiliser demain, si une nouvelle crise devait survenir.

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