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Ces dirigeants lillois s’expatrient pour doper leur croissance
Enquête Lille # International

Ces dirigeants lillois s’expatrient pour doper leur croissance

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Quand il s’agit de se développer à l’international, les stratégies d’entreprises ne manquent pas : VIE, partenariat avec un acteur sur place… Mais une tendance se développe : l’expatriation des dirigeants eux-mêmes, en particulier vers l’Amérique du Nord. Retour d’expériences dans les Hauts-de-France.

Le dirigeant de l'entreprise de services numériques lilloise Ineat Group Yves Delnatte (à gauche) s'est expatrié à Montréal après y avoir envoyé son collaborateur Théophile La Hondé (à droite) en VIE pendant six mois. — Photo : Ineat Group

« Finalement c’est à Dallas, au Texas, que je vais habiter en 2019 avec ma famille. Ma quatrième vie chez OVH a commencé ce matin. » Avec ces quelques mots postés sur Twitter début janvier, Octave Klaba a créé, sans le vouloir, une certaine stupeur dans les milieux économiques. Certains ont redouté que le cofondateur et dirigeant d’OVH ne se détourne de Roubaix, qui a vu naître et se développer son entreprise de cloud computing, désavouant ainsi l’écosystème nordiste. Mais l’entrepreneur a rapidement calmé les esprits. Le siège d’OVH restera bel et bien à sa place. Si Octave Klaba a choisi de s’expatrier, c’est simplement pour accélérer le développement de son activité aux États-Unis.

Ce cas, qui a fait couler beaucoup d’encre, est pourtant loin d’être une exception. L’expatriation n’est plus la chasse gardée des étudiants, jeunes diplômés ou cadres en quête d’une expérience pour accélérer leur carrière. Les chefs d’entreprise s’y mettent et, dans les Hauts-de-France, le phénomène n’est pas rare. Les sièges, locaux et compétences restent dans la région, tandis que les dirigeants prennent le large. Avec une idée en tête : doper la croissance d’une filiale. Mais entre les résultats obtenus et l’énergie dépensée, le jeu de l’expatriation en vaut-il la chandelle ?

Envoyer un signal fort aux clients

« Pour moi, l’expatriation était une évidence », lance Sébastien Goiffon, cofondateur et dirigeant de la société lilloise GB & Smith (CA : 6 M€, 60 salariés), qui édite des logiciels dédiés à la sécurité. Ce chef d’entreprise vit depuis trois ans et demi à Boston, aux États-Unis, avec sa femme et leurs deux enfants. Il explique : « En 2014, l’entreprise réalisait 25 % de son chiffre d’affaires aux États-Unis. À l’époque, nous avons raté une vente de logiciels auprès de l’US Bank, car, pour travailler avec elle, il fallait absolument avoir une filiale sur place. » Ce contrat avorté a été un véritable déclencheur.

« L’expatriation est apparue comme le meilleur moyen de réussir là-bas. Les Américains sont très attachés au titre et le fait que le dirigeant se déplace en personne est une preuve de sérieux, bien plus que d’envoyer un volontaire international en entreprise (VIE). C’était par ailleurs notre plus gros marché et nous ne prenions pas vraiment de risques, puisque nous y avions déjà une forte présence. » Le temps a prouvé que ce choix était le bon, puisque GB & Smith réalise à présent 50 % de son chiffre d’affaires outre-Atlantique, avec une dizaine de salariés.

« Le fait que le dirigeant se déplace en personne est une preuve de sérieux, bien plus que d’envoyer un volontaire international en entreprise. »

Ce « signal fort » est également évoqué par Yves Delnatte, codirigeant de l’entreprise de services numériques lilloise Ineat Group (CA : 24 M€, 320 salariés). Il y a un an, l’ETI ouvrait une filiale à Montréal, au Canada, où s’est installé à son tour le dirigeant en août 2018, pour deux ans, le temps de mettre la jeune société sur les rails. « C’est un signe fort pour les partenaires que le dirigeant soit sur place », reconnaît-il à son tour. C’est cette installation avec sa famille qui lui a permis un beau démarrage. Ineat emploie 25 salariés au Canada, où elle réalisait, fin 2018, un CA de 300 000 $, tout en tablant sur un prévisionnel 2019 de 1,8 M$. Ineat a également acquis une société canadienne, Solutéo (12 salariés), qui conçoit des solutions autour des technologies mobiles.

Le groupe français compte s’appuyer sur sa notoriété pour se faire connaître au Canada. « D’août à novembre 2018, j’ai beaucoup travaillé sur ce rachat, explique Yves Delnatte, et je pense que cela n’aurait pas pu se faire si je n’avais pas été sur place. » Le dirigeant est donc convaincu d’avoir adopté la bonne stratégie, même si sa décision a surpris : « Quand j’ai annoncé mon expatriation, beaucoup m’ont demandé pourquoi je ne prenais pas plutôt un VIE », s’amuse le dirigeant. Il précise : « Je l’ai fait. Six mois avant mon arrivée, l’un de mes collaborateurs a défriché le terrain et c’était une étape indispensable. »

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Faciliter la gestion quotidienne

D’autres dirigeants essayent d’abord de développer leur filiale depuis la France, avant de faire le choix de l’expatriation. « Avant que je ne prenne la décision de partir aux États-Unis, nous avons testé beaucoup de solutions pour développer notre filiale à Boston, comme la mise en place d’un directeur pour gérer ce site. Et je passais moi-même dix jours par mois là-bas », rapporte Jonathan Stauber, fondateur et dirigeant de la société lilloise Imabiotech (CA 2018 : 4 M€), spécialisée dans l’imagerie moléculaire.

« Gérer notre filiale américaine depuis la France ralentissait la prise de décision, le vote de budgets… sans compter l’argent dépensé et l’impact sur la vie de famille. »

L’entreprise a ouvert une filiale aux États-Unis en 2015, soit trois ans avant que le dirigeant et sa famille ne s’y installent. « Au départ, nous avions simplement ouvert un bureau commercial à Boston. Puis nos clients ont voulu une présence et nous avons donc installé une équipe », explique-t-il. Une fois cette étape franchie, la gestion à distance est devenue problématique. « Même avec des collaborateurs compétents et impliqués, on reste très sollicité en tant que dirigeant. Gérer la filiale depuis la France ralentissait la prise de décision, le vote de budgets… Sans compter l’argent dépensé dans les billets d’avion, l’hôtel et l’impact sur la vie de famille. C’était le bon moment pour partir : le site français tournait bien, avec des process en place », souligne-t-il. Imabiotech emploie à présent une dizaine de collaborateurs à Boston et vise une trentaine, à terme. Et les États-Unis représentent 60 % de son chiffre d’affaires.

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Autre avantage à l’expatriation, et non des moindres : la fiscalité. « Le fait que je vive au Canada permet à Ineat de bénéficier d’un cumul de crédits d’impôt dans les deux pays, ce qui n’aurait pas été possible si j’avais continué à gérer cette filiale de France », souligne Yves Delnatte, d’Ineat Group. L’aventure lui a aussi permis de répondre aux demandes de plusieurs clients qui s’intéressent eux aussi à Montréal, ainsi que de motiver les salariés qui demandaient à s’y installer : « Une cinquantaine de collaborateurs sont encore intéressés », indique-t-il.

Lever les barrières culturelles

« On a failli repartir au bout de deux ou trois mois », reconnaît le dirigeant de GB & Smith, Sébastien Goiffon. Si l’expatriation permet de doper les chiffres des entreprises, cela reste une aventure humaine riche en émotions. « Ma femme a dû démissionner et s’est retrouvée dans un pays qu’elle ne connaissait pas, sans repères. En revanche, les enfants se sont très vite adaptés. Nous les avons mis à l’école américaine et il faut batailler à présent pour qu’ils parlent en français », sourit-il.

De son côté, Jonathan Stauber constate que cette immersion culturelle, même si elle n’a pas toujours été simple, a été bénéfique côté business : « Avant de vivre à Boston, je ne comprenais pas pourquoi je ne décrochais pas de contrat, quand, à l’issue d’une présentation, un Américain me disait qu’il trouvait ça très bien. En réalité, « très bien » pour un Américain équivaut à « moyen » pour un Français. Nous avons une vision différente, qui se développe dès l’école, avec le système de notation. Mais pour comprendre ce genre de choses, il faut vivre ici. Y passer 10 jours par mois en restant à l’hôtel ne suffit pas. »

Conseil : miser sur le réseautage et l’accompagnement pour s’expatrier

Dirigeant d’Imabiotech, Jonathan Stauber a choisi de ne pas se faire accompagner. « Quand j’ai ouvert un bureau commercial à Boston, Business France et la CCI m’ont épaulé dans les démarches. Mais au moment de m’expatrier, j’ai choisi d’y aller seul. Il existe tellement d’organismes que parfois, on s’y perd et l’accompagnement est une dépense supplémentaire… », explique-t-il. Une fois sur place, en revanche, il s’est tourné vers le réseau French Tech : « C’est ce groupe qui m’a aidé à m’intégrer dans l’écosystème ».

Pour son arrivée au Canada, le codirigeant d’Ineat Group, Yves Delnatte, a bénéficié, de son côté, de l’accompagnement de l’organisme Montréal International. Il a aussi recruté des Québécois, dont une DRH, qui lui donnent des conseils sur les différences culturelles : « Ici, les horaires sont respectés à la lettre, il faut oublier le quart d’heure de retard français. L’humour est différent, ainsi que certaines habitudes : lors d’un entretien d’embauche, par exemple, cela ne se fait pas de demander à un candidat où il habite. C’est jugé discriminatoire. »

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