Présidentielle : les attentes du patronat
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Présidentielle : les attentes du patronat

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Depuis des mois, le patronat français se démultiplie pour faire porter sa voix auprès des candidats à l’Élysée. De façon assez traditionnelle, les organisations patronales réclament des baisses d’impôts. Mais la crise sanitaire et la guerre en Ukraine ravivent leurs doléances en matière de transition écologique et de souveraineté économique.

Président de la CPME, François Asselin accueille Anne Hidalgo, venue présenter son programme économique aux adhérents de l’organisation patronale — Photo : Sajin photo

Le moins que l’on puisse dire, c’est que les organisations patronales ont été studieuses. Livres blancs, manifestes, feuilles de route, benchmarks : la prose est luxuriante, parfois bien plus précise et argumentée que certains programmes politiques. Pour le patronat, l’enjeu est de taille. "C’est maintenant qu’il faut imposer nos idées ! Demain, il sera trop tard", résume Olivier Salleron, président de la Fédération française du bâtiment (FFB).

Pour cela, les syndicats patronaux misent principalement sur leur connaissance du terrain et de l’économie réelle. Les 100 propositions émises par l’Ordre des experts-comptables émanent des professionnels du secteur qui "pratiquent non pas l’économie des manuels universitaires, mais celle du quotidien de l’entreprise". Pour rédiger son cahier de doléances, le Medef s’est appuyé sur des échanges avec un millier de chefs d’entreprise. D’autres ont eu recours à des sondages comme le Centre des jeunes dirigeants ou l’Union des métiers de l’industrie (UIMM) tandis qu’une association comme le Meti, qui défend les intérêts des ETI, s’est appuyée sur les économistes d’un think tank (l’Institut Montaigne) et l’expertise d’un cabinet d’audit (PWC) pour mieux faire résonner son message.

Grands oraux avec les candidats

Bref, tous les coups sont permis – ou presque – pour diffuser la bonne parole, des discussions discrètes dans l’ambiance feutrée d’un bureau jusqu’aux débats publics avec les candidats à l’élection, devant des centaines de chefs d’entreprise. Cette année, malgré les contraintes sanitaires, ces grands oraux ont eu le vent en poupe. Meti, Medef, CPME, Ordre des experts-comptables, UIMM ou encore la Compagnie nationale des commissaires aux comptes ont, chacun leur tour, fait défiler les candidats, tant pour passer au crible leurs programmes économiques que pour tenter d’orienter les décisions politiques de demain.

Pas simple pour autant pour le monde entrepreneurial de réussir à mettre au centre du débat les sujets économiques dans une campagne très marquée par la crise sanitaire, la guerre en Ukraine ou encore les questions identitaires et d’immigration. Pas simple d’autant que l’entrepreneuriat ne parle pas d’une voix mais de plusieurs, parfois dissonantes, chaque organisation patronale voyant évidemment midi à sa porte. La FFB veut ainsi un président bâtisseur, l’UIMM en souhaite un capable de réindustrialiser le pays, France Digitale appelle de ses vœux le défenseur de la souveraineté numérique quand la Fédération des travaux publics réclame un constructeur de vastes infrastructures décarbonées… Mais, dans cette foison de doléances, de souhaits et d’attentes en tout genre, se distinguent assez nettement plusieurs lignes de force, certaines assez traditionnelles, d’autres plus dans l’air du temps.

La baisse les impôts de production

Il n’y a guère que l’Ordre des experts-comptables pour réclamer la création d’un nouvel impôt (sur les bénéfices), mais c’est pour mieux en supprimer d’autres. De façon très traditionnelle, la plupart des organisations patronales réclament à cor et à cri une baisse de la fiscalité. Il faut dire que, malgré les récentes baisses d’impôt sur les sociétés et de taxes de production, la France est toujours à la deuxième position, derrière le Danemark, des pays de l’Union européenne les plus taxés, avec 47,5 % de prélèvements obligatoires. Dans la ligne de mire de beaucoup d’organisations patronales : les impôts de production. Regroupant de nombreuses taxes telles que la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) ou la cotisation foncière des entreprises (CFE), ces impôts hétérogènes sont généralement qualifiés d’injustes par le patronat. Et même de "fiscalité punitive" par le Premier ministre Jean Castex. La raison ? Ils sont calculés à partir de la masse salariale, du bâti ou encore du chiffre d’affaires des entreprises. Et non pas à partir des bénéfices de l’entreprise.

Cette catégorie d’impôts représente 4,4 % du PIB tricolore, selon une récente étude de l’Institut Montaigne. Seule la Suède taxe davantage les entreprises de cette façon (10,3 % du PIB). Le Royaume-Uni est à 1,1 %, l’Allemagne à 0,7 %. D’une même voix, Medef et CPME chiffrent la baisse à 35 milliards d’euros, pour permettre à la France de revenir dans la moyenne européenne. Face à l’enjeu de réindustrialisation du pays et au déficit abyssal de la balance commerciale (84,7 milliards d’euros en 2021), les impôts de production sont devenus l’un des principaux enjeux économiques de la campagne présidentielle. À tel point que beaucoup de candidats prennent désormais position sur ce sujet. Certains veulent de nouveau les réduire, d’autres revenir sur la baisse de 2021. L’enjeu est de taille pour les finances publiques : s’ils restent inférieurs à la TVA (176 milliards d’euros collectés en 2020), les 100 milliards d’euros d’impôts de production rapportent presque trois fois plus à l’État que l’impôt sur les sociétés.

Faciliter les transmissions d’entreprise

Au niveau fiscal, l’autre grand combat patronal, c’est la transmission des entreprises familiales. Selon des chiffres du gouvernement, le pourcentage de transmissions patrimoniales d’entreprise réalisé en France se monte seulement à 19 % en 2019, contre plus de 50 % en Allemagne. C’est pourquoi la CPME milite pour "la suppression des droits de succession en cas de transmission familiale d’une entreprise patrimoniale". Le patron du Medef plaide, lui, pour le renforcement du pacte Dutreil sur dix ans (au lieu de six aujourd’hui). En échange d’un engagement plus long, celui-ci permettrait de bénéficier d’une exonération des donations ou successions à hauteur de 95 % de la valeur des titres de l’entreprise. "Trop de transmissions ont donné lieu à des ventes à des investisseurs, détruisant de fait le tissu des PME et ETI depuis 30 ans. Il faut favoriser la stabilité de leur actionnariat, souvent familial", assure Geoffroy Roux de Bézieux.

Souverainetés économiques

Le Covid a fait prendre conscience de l’état de dépendance du pays aux industries étrangères, la crise ukrainienne de sa dépendance en matière énergétique. "Plus que jamais la réindustrialisation doit devenir une priorité nationale", assure Éric Trappier, président de l’UIMM, pour qui il est temps de mettre fin à des "décennies d’errements politiques" qui "ont conduit la France à subir la plus forte désindustrialisation parmi les pays développés". Pour y remédier, les industriels de l’UIMM plaident pour une refonte du modèle social français, avec à la clé le recul de l’âge de départ à la retraite et l’allégement des cotisations employeurs. Outre cette volonté de s’affranchir des produits et énergies extérieurs, des organisations patronales comme France Digitale militent pour "construire une vraie souveraineté technologique européenne". Pour rééquilibrer le rapport de force avec des géants américains d’internet, l’association présidée par Frédéric Mazzella (Blablacar) et Benoist Grossmann (Eurazeo) défend la mise en place d’une régulation européenne, assortie d’une réforme mondiale de la fiscalité.

Simplifier la vie des entrepreneurs

Autre vieille rengaine patronale : l’État doit davantage faciliter la vie des entreprises et des entrepreneurs. Pas un seul mouvement patronal ne tergiverse sur ce "laissez-nous travailler", qui revêt diverses formes. Le patronat réclame d’abord de la visibilité, ce qui passe par davantage de stabilité. Au niveau des artisans du bâtiment, la Capeb demande ainsi que "les règles en matière fiscale soient fixées une fois pour toutes" et qu’elles cessent d’évoluer "au gré des Lois de finances". D’autres plaident pour davantage de simplicité, à l’instar de la CPME qui défend la mise en place d’un "test PME" obligatoire avant toute publication d’un nouveau texte concernant les entreprises. "L’objectif, c’est de voir l’impact réel d’une norme avant de la publier pour voir son fonctionnement et éventuellement régler le curseur, avec une période de mise à niveau pendant laquelle son non-respect n’entraînerait qu’un simple rappel et non une condamnation", expose François Asselin, président du syndicat patronal. Tout aussi originale, mais plus inattendue, la proposition Olivier de la Chenasnerie, président de l’association d’aide à la création d’entreprises Réseau Entreprendre. Dans un pays qui compte 330 000 textes réglementaires et législatifs, le Nantais souhaite que les services de l’État proposent des formations aux chefs d’entreprise pour les aider à mieux appréhender la complexité administrative.

Des mesures pour mieux recruter et fidéliser

Les difficultés de recrutement rencontrées par beaucoup d’entreprises depuis la rentrée replacent au centre des attentes des dirigeants les questions d’employabilité et de ressources humaines. Les CCI attendent ainsi du nouveau Président de la République un nouveau coup de main en faveur de l’alternance et de l’apprentissage, ce qui passe par la pérennisation d’aides aux entreprises et de soutiens pour les CFA ruraux. "On ne peut pas se contenter d’un taux de chômage à 7,4 %. Il faut multiplier les passerelles pour qu’on puisse changer de métier à n’importe quel âge, par de l’apprentissage, de l’alternance, par la création d’écoles dans les entreprises", abonde de son côté Olivier de la Chevasnerie.

Conséquence de ses difficultés de recrutement mais aussi de l’inflation galopante, des mesures sont attendues de la part des chefs d’entreprise pour mieux partager la valeur. Medef et CPME veulent ainsi pérenniser la prime Macron, plus simple à mettre en place que l’intéressement. Plus originale, la proposition de Croissance Plus, l’association présidée par Thibaut Bechetoille, qui compte favoriser l’octroi de voitures de sociétés, en cessant de les assimiler à du salaire, pour aider notamment les salariés des zones rurales.

Cap sur la transition écologique

C’est l’un des thèmes montant dans cette campagne présidentielle. La transition écologique est très largement plébiscitée par le patronat. Le Meti réclame des politiques publiques reposant sur une efficacité environnementale alliant R & D et made in France. Le Medef met, lui, l’accent sur les baisses d’impôts… indispensables à la transition écologique des entreprises. Selon Geoffroy Roux de Bézieux, la quantité d’investissements privés nécessaires pour transformer le modèle productif français est "considérablement sous-estimée". Selon lui, elle se compte en "plusieurs centaines de milliards d’euros pour arriver à répondre à l’objectif de neutralité carbone en 2050. On demande aux entreprises de changer complètement la manière dont elles produisent aujourd’hui". Les baisses d’impôts, notamment de production, permettraient aux entreprises de réaliser les investissements nécessaires pour relever le défi de la transition écologique. Force est de constater que pour cette élection présidentielle, le patronat français a bien travaillé. Il a même réussi à corréler sa plus traditionnelle revendication au plus grand défi du moment, l’urgence climatique.

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