Dominique Maguer (tribunal de commerce de Brest) : « Nous avons des moyens pour faire face »
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Dominique Magueur président du tribunal de commerce de Brest Dominique Maguer (tribunal de commerce de Brest) : « Nous avons des moyens pour faire face »

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Alors que les tribunaux de commerce sont fermés en raison de l'épidémie de Covid-19 qui frappe la France, Dominique Maguer, qui préside celui de Brest, s'inquiète de ne pas pouvoir traiter les procédures de sauvegarde. Il invite les dirigeants en difficulté à se rapprocher de lui pour évaluer leur situation et tenter d'anticiper les problèmes à venir.

Dominique Maguer a pris la présidence du tribunal de commerce de Brest en janvier (Photo d'archive). — Photo : © Jean-Marc Le Droff / Le Journal des entreprises

Quelle est la situation actuelle du tribunal de commerce de Brest ?

Dominique Maguer : Elle est compliquée. Le gouvernement a communiqué sur le fait qu’"aucune entreprise ne sera livrée au risque de faillite". Dans le même temps, les tribunaux de commerce ont eu pour consigne, en raison des mesures de confinement, de ne pas ouvrir de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire. De notre côté, nous avons eu pour consigne de fermer notre tribunal de commerce pour assurer au maximum les mesures barrière. L’ensemble des opérations se passe donc désormais dans les locaux du tribunal judiciaire. Le greffe continue bien à fonctionner, mais on ne peut plus y venir. On ne peut donc plus établir d’ouvertures de déclarations de cessation de paiements et les audiences ne peuvent pas se tenir. Cela crée un très gros problème car, je le rappelle, la procédure de redressement judiciaire consiste à bloquer le passif exigible, et ensuite à mettre en place un plan de remboursement dans le cadre d’un redressement. Ce qui donne à l’entreprise du temps pour faire face à ses dettes.

Et pendant ce temps, les passifs continuent d’augmenter sans que vous puissiez agir ?

D.M. : Exactement, et c’est ce qui m’inquiète fortement. Car si le passif des entreprises en difficulté continue à augmenter, le jour où l’on va pouvoir procéder au jugement il sera peut-être arrivé à un niveau tel qu’il sera impossible d’envisager un redressement. Le gouvernement en a pris conscience et la question devrait être abordée en cette fin de semaine. On pourrait donc avoir de nouvelles ordonnances qui nous permettraient de rouvrir les tribunaux et de tenir des audiences pour déclencher des procédures. En attendant, j’invite fortement les dirigeants en difficulté à consulter le site infogreffe, qui donnent accès à bon nombre d’informations utiles ainsi qu'aux formulaires de déclaration en ligne.

Vous restez en revanche opérationnels sur le volet prévention ?

D.M. : Effectivement, nous sommes toujours en mesure d’ouvrir des mandats ad hoc et des procédures de conciliation qui permettent d’anticiper sur les difficultés à venir. Ces procédures sont ouvertes aux entreprises qui ne sont pas encore en état de cessation de paiements, et permettent de négocier avec les banques et les fournisseurs pour trouver des solutions. Nous sommes donc plus que jamais à la disposition des chefs d’entreprise pour les accompagner.

Avez-vous d’ores et déjà reçu beaucoup de demandes d’entreprises en difficulté ?

D.M. : À ce jour nous n’avons reçu que peu demandes de déclarations de cessation de paiement, mais je le rappelle : nous ne pouvons pas ouvrir de procédure. Par ailleurs, sur instruction du Ministère de la justice, nous écartons les demandes provenant d’entreprises qui n’ont pas de salariés et ne sont pas considérées comme urgentes. Elles ne sont donc pas traitées à ce jour, et c’est la raison pour laquelle nous attendons avec impatience les nouvelles ordonnances qui devraient entrer en vigueur le 27 mars.

Quels secteurs vous inquiètent le plus à l’heure actuelle ?

D.M. : Je pense notamment aux cafés et aux restaurants qui ont subi de plein fouet la fermeture obligatoire de leurs établissements, ce qui signifie à chiffre d’affaires à zéro mais certaines charges qu’il faut continuer à assumer. Par chance, on est encore dans la basse saison. Mais si dans quinze jours ces entreprises ne peuvent pas rouvrir, l’impact sera beaucoup plus fort. Je pense que la reprise sera un peu plus facile dans le BTP. Elle est déjà partielle pour certaines entreprises, même s’il y a encore beaucoup de freins, comme des maîtres d’ouvrage qui ne veulent pas s’exposer en relançant les chantiers. Mais d’une manière générale, je pense que certaines entreprises n’ont pas encore pris la totale mesure de la situation. Car on nous a parlé d’un confinement de quinze jours, mais on semble plutôt partir sur six semaines…

Quel message souhaitez-vous faire passer aux dirigeants en difficulté ?

D.M. : Qu’il est préférable pour eux de nous solliciter le plus rapidement possible, même si la situation est compliquée, afin qu’on organise des mesures de prévention ou qu’on puisse les placer le plus rapidement possible sous la protection du redressement judiciaire. On peut les aider, pour peu qu’il ne soit pas trop tard. Je crains qu’il y ait pour beaucoup un flou sur la situation, c’est-à-dire qu’on ne sait plus vraiment où sont les priorités. On voit que des mesures de soutien apparaissent, on nous dit qu’on pourra ne pas payer quelques loyers, etc. Ce qui laisse espérer à certains qu’ils pourront payer leurs salariés et qu’ils ne seront donc pas en état de cessation de paiements. Parallèlement, les banques ont commencé à ne pas prélever les échéances d’emprunt, ce qui fait que les trésoreries ne vont peut-être pas se détériorer au point de conduire l’entreprise à nous solliciter. Pour résumer, la crise est là, et elle est très inquiétante. Pour y faire face le tribunal de commerce, - qui est avant tout au service du tissu économique -, mettra en œuvre tous ses moyens pour trouver le maximum de solutions avec les entreprises.

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