Nouvelle-Aquitaine
En Nouvelle-Aquitaine, la filière e-tourisme se cherche un modèle
Enquête Nouvelle-Aquitaine # Tourisme # Réseaux d'accompagnement

En Nouvelle-Aquitaine, la filière e-tourisme se cherche un modèle

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D’ubérisation en crise sanitaire, le secteur du tourisme en a traversé des tempêtes. L’impétueuse injonction de digitalisation des acteurs traditionnels de la filière semble céder la place, depuis quelques mois, à un effort plus flegmatique de structuration pour rapprocher ses différents maillons.

Avec 720 kilomètres de littoral, quatre îles et la dune la plus haute d’Europe, les plages néo-aquitaines ont fait la renommée de la Région. 32 millions de visiteurs ont généré 18 milliards d’euros de recettes touristiques en 2019 — Photo : R.Gouzik

Avec 14 sites classés au patrimoine mondial de l’Unesco, 31 communes labellisées "les plus beaux villages de France", 5 parcs naturels régionaux et 1 parc national (celui des Pyrénées), 720 kilomètres de littoral, 4 îles, et des structures emblématiques comme le parc du Futuroscope à Poitiers, le zoo de la Palmyre, la Cité du Vin à Bordeaux, ou encore les grottes de Lascaux, la liste des atouts touristiques de la Nouvelle-Aquitaine est longue. En témoignent les quelque 32 millions de visiteurs happés par la Région en 2019. Le tout générant 18 milliards d’euros de consommation touristique (soit 9 % du PIB néo-aquitain) et 140 000 emplois (soit environ 5 % de l’emploi régional).

Mais sans surprise, la pandémie de Covid-19 a malmené la filière touristique régionale, avec des répercussions tangibles sur son équilibre économique. La fréquentation touristique à l’été 2020 affichait une baisse de 25 % par rapport à 2019. La clientèle provenant de l’étranger diminuait aussi, faisant chuter la fréquentation des hôtels de 11 %, selon les données de l’Insee. Les entreprises du secteur ont vu leur chiffre d’affaires chuter de 25 % sur la période estivale 2020, comparé à 2019. Enfin, la région comptait 1,8 salarié en moins par entreprise touristique durant l’été 2020 par rapport à 2019. Un séisme, dont les répliques continuent de secouer les entreprises du secteur.

Accompagner les transitions

Au-delà des constats chiffrés, de la crise sanitaire a découlé une nécessité accrue de gagner en compétitivité et de répondre aux nouveaux usages des consommateurs. Les professionnels du tourisme ont dû accélérer leur mue digitale. Pour répondre à cet impératif, en octobre 2020, la Région Nouvelle-Aquitaine a confié à son agence de développement et d’innovation, ADI N-A, la création et l’animation du Tourisme Lab, structure censée accélérer l’innovation en matière touristique, favoriser la relance économique du secteur et induire la structuration de la filière. "Nous traitons l’ensemble des transitions qui bousculent notre secteur. Nous accompagnons toutes les entreprises, des PME, aux grands groupes en passant par les start-up et nous les fédérons autour de différentes actions", présente Marion Oudenot-Piton, responsable du Tourisme Lab Nouvelle-Aquitaine. Dans le cœur du réacteur, les outils numériques. "L’e-tourisme, c’est un fil rouge, on ne peut pas aujourd’hui faire de tourisme en se passant du numérique", souligne-t-elle.

La renommée d’un événement national

D’autant que la Région jouit d’une certaine réputation dans ce domaine. Depuis 10 ans, Pau (Pyrénées-Atlantiques) accueille les Rencontres nationales du e-tourisme, initialement créées à Toulouse en 2004. Pour son édition 2021, l’événement a rassemblé 900 visiteurs dans la capitale béarnaise. Si l’événement était à l’origine destiné aux institutionnels, il cherche désormais à attirer les entreprises. "Depuis trois ans, nous facilitons le rapprochement entre les différents acteurs en intégrant une salle dédiée aux start-up et nous leur proposons un programme spécifique", détaille Laurent-Pierre Giliard, directeur prospective et communication d’Unitec (structure d’accompagnement de start-up) et responsable des Rencontres nationales du e-tourisme.

Si ces Rencontres font office de fondations de l’édifice, il s’agit, une décennie plus tard, d’ordonner les différentes briques pour que celui-ci tienne debout. Il fallait mettre de l’ordre dans ce foisonnement de start-up autour du tourisme et des loisirs. C’est là qu’intervient le Tourisme Lab : "on fait correspondre les innovations avec les besoins du terrain. Le tourisme est tellement concurrentiel, il faut que les start-up répondent à un besoin réel remonté par les entreprises", insiste Marion Oudenot-Piton. Pas besoin d’une énième agence digitale qui permette à un hôtel de prendre des réservations en ligne : la filière veut valoriser l’innovation.

Par exemple, le GIP Littoral et le Tourisme Lab Nouvelle-Aquitaine ont lancé un appel à idées afin de mieux utiliser les données liées aux plages. La start-up MaPlage. info est sélectionnée. Cet outil numérique au service des maîtres-nageurs sauveteurs permet de saisir en temps réel les données des plages (leur fréquentation, par exemple) et de diffuser une information pratique aux touristes. L’application est ensuite expérimentée durant toute la saison estivale 2021 sur les plages de l’île d’Oléron. Et la communauté de communes livre son retour d’expérience au réseau du Tourisme Lab avec à la clé une visibilité cruciale pour la jeune pousse.

Répondre aux besoins du terrain

C’est aussi ce qui a permis à la pépite bordelaise Boat On d’amorcer les discussions avec l’association technique de l’Hermione (réplique du navire de guerre du XVIIIe siècle, construite à Rochefort, en Charente-Maritime). La start-up et ses dix salariés ont développé une application mobile pour la gestion des bateaux des particuliers (assurance, emplacement de stockage, devis de prestataires pour les réparations). Leur dernière trouvaille est un logiciel développé en interne, une sorte de "super" carnet d’entretien qui permet aux professionnels de suivre leur stock de pièces détachées, les bons de commande, ou de réaliser des statistiques d’occupation de leur flotte. "Nous avons démarré avec les particuliers mais nous regardons plus attentivement vers les professionnels. La demande des particuliers est plus éclatée et les montants sont plus faibles", note Bertrand Gerbaud, fondateur de Boat On. "Notre logiciel de maintenance, c’est une société qui gère des yachts qui nous a contactés pour nous faire part de son besoin". C’est ce logiciel que Boat On espère mettre à disposition de l’équipe de l’Hermione, une superbe carte de visite pour la start-up et l’occasion de repérer les améliorations qu’ils pourraient apporter à leur outil.

"Avant de créer ma start-up, j’habitais en Suisse, j’étais directeur marketing pour les parfums Lacoste chez Procter & Gamble. En 2018, je me demandais où j’allais créer ma société. En Suisse, en Angleterre, dans les Landes d’où je suis originaire ? J’ai finalement opté pour Bordeaux parce que l’écosystème commençait à être intéressant sans être pour autant noyé dans la masse", se remémore Bertrand Gerbaud. "Depuis 3 ou 4 ans, on voit que l’écosystème se structure. Au niveau du e-tourisme, il se passe des choses mais il reste encore une manne sous exploitée, notamment dans le secteur du nautisme. On demeure en retard par rapport à la Bretagne qui dispose de structures d’accompagnement spécifiques", regrette-t-il.

Des figures de proue

"Ce qui manquait en Nouvelle-Aquitaine, c’est la passerelle entre les acteurs institutionnels, le monde des start-up, et les grosses entreprises", analyse Laurent-Pierre Gilliard. Un manque comblé par le Tourisme Lab. Au rang des points forts de la Région, quelques acteurs pesant lourd dans le secteur, à l’instar de Siblu spécialiste de l’hôtellerie de plein air (170 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2020 et 700 salariés). Depuis son siège de Pessac, le groupe exploite 24 campings villages de vacances haut de gamme dont 3 aux Pays Bas. "Pour une start-up, pouvoir tester son produit sur un camping du groupe et potentiellement ensuite le commercialiser sur toutes ses structures, c’est un atout indéniable", fait-il valoir.

Dans ce terreau fertile, quelques start-up ont bien poussé. C’est le cas de Yescapa (72 salariés, 5 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2021), plateforme de location de véhicules de loisirs entre particuliers, créée en 2012 à Bordeaux. Après avoir racheté son concurrent allemand début 2021, la société prévoit de recruter 45 collaborateurs supplémentaires dans les prochains mois pour accompagner sa croissance et envisage une autre levée de fonds pour développer de nouveaux services digitaux. "On ne sentait pas un tel dynamisme il y a dix ans quand on s’est lancé", raconte Benoît Panel, cofondateur et PDG de Yescapa. "Nous avons eu de la chance. On ne savait pas ça allait se passer comme ça, que le voyage en van allait devenir tendance".

Le jeune dirigeant tempère toutefois l’euphorie ambiante. "Pour avoir un retour d’expérience, partager des bonnes pratiques d’entreprises ayant connu une hyper croissance, ça se passe toujours à Paris, tout comme le financement et les levées de fonds". Un avis partagé par Bertrand Gerbaud de Boat On : "Il existe des clubs de business angels autour de la santé par exemple, pas encore pour le tourisme. C’est un secteur qui fait un peu fuir, ce n’est pas dans la tendance. Mieux vaut être dans la greentech pour chercher des financements…", analyse-t-il.

Anticiper le coup d’après

Le coup d’après pour cette filière qui digère encore sa digitalisation à marche forcée ? Ne pas manquer le tournant du tourisme durable (lire par ailleurs). Dans ce sens, le Tourisme Lab Nouvelle-Aquitaine, Unitec, La Rochelle Technopole et Technopole Hélioparc ont annoncé la création de Tipi 535, un incubateur dédié au tourisme, qui accompagnera chaque année 10 porteurs de projets. Histoire de voir éclore des entreprises prometteuses aux projets responsables, comme We Go GreenR (quatre salariés), plateforme de réservation d’hébergements et activités écoresponsables, classés selon un référentiel bâti par la start-up.

Et finalement considérer le numérique non plus comme une fin en soi mais comme un outil indissociable de son cœur de métier, au point que les Rencontres nationales du e-tourisme songent même à abandonner le préfixe "e" de leur nom…

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