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Virginie Saks (Forces Françaises de l’Industrie) : "Il faut penser l’usine d’aujourd’hui autrement"
Interview France # Industrie # Aménagement du territoire

Virginie Saks ambassadrice des Forces Françaises de l’Industrie "Il faut penser l’usine d’aujourd’hui autrement"

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La réindustrialisation de notre pays est à l’ordre du jour, mais les règles du jeu évoluent. Les territoires, les élus et les industriels sont au cœur de cet enjeu déterminant pour l’avenir de notre pays, à l’heure de la promulgation de la loi sur les industries vertes et du Zéro artificialisation nette. Entretien avec Virginie Saks, ambassadrice des Forces Françaises de l'Industrie.

Virginie Saks, cofondatrice du cabinet Compagnum et ambassadrice Forces Françaises de l’industrie — Photo : David Pouilloux

Pouvez-vous vous présenter ?

Je codirige une société de conseil, Compagnum, dont l’expertise est le lien entre industrie et territoire. Je conseille les entreprises industrielles, de la start-up à l’ETI, sur leur stratégie de développement sur les territoires. Je travaille également avec les collectivités et les services de l’État sur leur stratégie industrielle. Mon cabinet fait du 360 degrés. Nous proposons aussi des formations pour les entrepreneurs ou les collectivités. L’industrie fait partie du développement territorial, encore plus aujourd’hui, où l’on parle à nouveau de l’industrialisation ou de la réindustrialisation de notre pays.

Vous êtes également ambassadrice des Forces Françaises de l’Industrie. En quoi consiste votre rôle ?

Les Forces Françaises de l’Industrie est un réseau qui permet le lien et les échanges entre les industriels, les élus et les services de l’État. Nous représentons le terrain et nous faisons remonter les problématiques des industriels auprès des instances publics.

Dans les deux cas, vous êtes au carrefour de l’industrie et des élus. Quel est votre objectif ?

Mon travail consiste à établir un dialogue entre ces deux mondes, pour créer de la confiance, et contribuer à réindustrialiser notre pays. Ces deux acteurs importants du développement économique doivent se parler. Il y a une méconnaissance mutuelle ou une connaissance insuffisante. Les enjeux et les difficultés se sont accrus depuis quelques années, bien plus qu’avant. Les industriels font face à de nouveaux problèmes pour s’implanter, s’agrandir, se développer, recruter, parce que les contraintes légales sont beaucoup plus fortes, autour de l’eau, de l’énergie, du transport.

Que se joue-t-il entre ces deux acteurs ?

Du côté des élus, ou des services de l’État, il y a parfois une méconnaissance des attentes et des besoins des industriels. Du côté des industriels, ils doivent comprendre que les élus ne peuvent pas tout faire, qu’il existe des règles et des contraintes légales et des échéances, un calendrier, pour faire avancer un dossier, valider un permis de construire par exemple.

"Le Zan, c’est une contrainte, mais qui a un fondement."

Quand on est chef d’entreprise, il faut aussi de la méthode, c’est-à-dire aller frapper à la bonne porte du premier coup pour gagner du temps. Il est important aussi d’apprendre à parler le même langage. Un chef d’entreprise ne peut s’adresser à un maire comme il s’adresse à un fonds d’investissement. S’ils ne se comprennent pas, ils ne peuvent rien faire ensemble.

Le président de la Région Auvergne Rhône-Alpes a dit qu’il ne suivrait pas le dispositif du Zéro artificialisation nette des sols porté par la loi Climat et Résilience. Il dit ne pas vouloir empêcher les implantations d’industrielles en particulier dans les zones rurales. Qu’en pensez-vous ?

Le Zan, c’est une contrainte, mais qui a un fondement. Cette loi vise à préserver la biodiversité, les terres agricoles et empêcher l’artificialisation des sols, à l’origine d’inondations et de la formation d’îlots de chaleur. Le souci, c’est que cette loi, qui aboutira à l’arrêt de l’artificialisation des sols d’ici à 2050, s’applique de la même manière à tous les territoires, sans tenir compte de leur spécificité. Il existe des dérogations, mais ces dernières rendent cette loi encore moins lisible. C’est un sujet, comme on dit, mais cette contrainte imposée par la Zan, même si elle crispe, elle est nécessaire, car elle répond à des enjeux écologiques et climatiques importants. Et elle n’empêche pas l’implantation d’usine.

Comment débloquer la situation ?

Il faut changer de logiciel. Penser et voir l’usine d’aujourd’hui autrement. Ce n’est plus un grand bâtiment, de plain-pied, que l’on installe sur un terrain vague ou sur d’anciennes terres agricoles. Une usine, dorénavant, c’est une usine plus verticale, ou une usine à l’intérieur d’un bâti déjà existant, parfois en centre-ville, ou des petites usines multilocales plutôt qu’un énorme site. Ce changement doit s’opérer dans tous les esprits, ceux des entrepreneurs, des élus et des citoyens. Je suis une grande lectrice de Zola. Malheureusement, il n’est plus là, pour nous décrire ce qu’est aujourd’hui une usine qui n’a plus rien à voir avec celles du 19e siècle. Le Zan est là pour accélérer ce changement de logiciel.

Le dispositif mis en place par le gouvernement pour proposer des sites industriels clés en main est-il une réponse adaptée à la Zan ?

En effet. Ces sites bénéficient d’études réglementaires (archéologiques, pollution, etc.) réalisées en anticipation de l’implantation industrielle. Ils permettent un gain de temps, en réduisent de 17 à 9 mois seulement pour une implantation, entre la demande et la pose de la première pierre. Ce dispositif permet aussi de réduire le risque, financier et temporel, pour l’entreprise. L’État et les territoires étendent le nombre de site clés en main, comme les friches, en préparant les sites, notamment en les dépolluant.

"Désormais, un élu doit regarder le nombre d’emplois au mètre carré construit, et non plus seulement le nombre d’emplois."

La loi sur l’industrie verte permet aussi à une entreprise qui découvre que son site d’implantation n’a pas été dépollué par l’ancien propriétaire de se retourner contre lui. Nous avons en France entre 80 000 et 120 000 hectares de friches, mais tout ce foncier ne sera pas reconverti uniquement en sites pour l’industrie. Parce qu’il n’est pas adapté à cet usage, ou parce que les collectivités ont besoin de faire construire des logements et des bureaux. C’est aux collectivités de savoir ce qu’elles veulent en faire.

Concrètement, cela implique quoi ?

Les projets des industriels doivent avoir du sens sur les territoires où ils veulent s’implanter. Désormais, un élu doit regarder le nombre d’emplois au mètre carré construit, et non plus seulement le nombre d’emplois. Il doit regarder sa consommation d’énergie au mètre carré, la présence de panneaux solaires, la réalisation de parkings perméables à l’eau, etc. De leur côté, les entrepreneurs ont intérêt à présenter et concevoir leur projet différemment.

C’est-à-dire ?

Il est important de comprendre qu’un élu ne va pas réfléchir à ce projet de manière isolé, mais va y intégrer les problématiques de logement, de transport, de services publics. Au-delà de ce constat, on observe que les élus sont de plus en plus exigeants sur la nature des projets qu’ils vont accepter. Ils vont regarder si leur territoire a les ressources pour s’engager sur cette implantation : ressources foncières, ressources en eau, ressources en énergie locale, ressources en talents locaux, en formation… Ils vont aussi regarder le bilan carbone de l’entreprise, son utilisation de matière recyclée, et son adéquation avec les filières industrielles locales qu’elle vient renforcer ou compléter.

La loi sur l’industrie verte a été promulguée fin octobre. Quelles avancées propose-t-elle ?

La loi sur l’industrie verte a trois objectifs principaux. Le premier : faciliter la vie des élus et des industriels, en simplifiant les procédures d’implantation et en facilitant l’accès aux financements pour les industriels. Le second : renforcer les échanges entre acteurs industriels et collectivités autour de la commande publique. Si on veut réindustrialiser vite, on a besoin que les territoires ou les services de l’État puissent acheter de l’industrie française. Et cela, sans être en contradiction avec les lois européennes.

"Chacun doit faire son diagnostic eau, comme on fait son bilan carbone"

C’est désormais possible grâce à un label d’excellence environnementale européen qui permet d’insérer un critère environnemental dans les marchés publics. Cela permet mécaniquement de favoriser le made in France car le critère du transport pèse, notamment. Enfin, le troisième : clarifier ce qu’est l’industrie verte, justement avec ce label EEE (excellence environnementale européenne). Il faudra cependant se pencher sur l’atterrissage effectif de cette loi sur les territoires et rapidement une type de gouvernance qui permette que cette loi soit suivie d’effets sur les territoires.

Que recouvre justement l’expression industrie verte ?

Il y a quelques années, cette expression avait valeur d’oxymore, c’est-à-dire que ces deux termes ne pouvaient pas être apposés l’un à côté de l’autre. Aujourd’hui, c’est admis. La dimension verte recouvre la dimension écologique, mais pas seulement. Elle signifie également une industrie plus circulaire, plus inclusive, plus écosystémique. C’est une industrie qui s’appuie mieux sur les atouts spécifiques d’un territoire, et qui rend cette industrie plus performante sur le plan économique et environnemental. Une industrie verte, c’est aussi une industrie capable de mutualiser ses équipements, ses besoins en énergie, en eau et de les partager au niveau territorial.

La question de l’eau est pour vous aussi importante que celle de l’énergie ?

Traditionnellement, l’industrie ne se posait pas la question de l’eau. La série de sécheresses que nous avons vécue ces dernières années a mis la question de la sobriété en eau à l’agenda de tout le monde. Chacun doit faire son diagnostic eau, comme on fait son bilan carbone. Les territoires doivent parfaitement connaître leurs ressources disponibles, que ce soit pour les citoyens et pour les industriels. De leur côté, les industriels doivent mesurer leur consommation, voir où et comment faire des économies. Il faut innover pour réduire sa consommation nette d’eau. Sur l’eau, on a beaucoup de marge de manœuvre. Après cette étape de diagnostic, élus et industriels peuvent parler implantation. La question des ressources en eau se situe aujourd’hui au cœur de la stratégie des industriels.

La France est en retard sur l’Allemagne en termes de part de l’industrie dans le PIB, 16 % contre 26 % ? L’ambition du président Emmanuel Macron est de gagner 5 points en dix ans. Quels sont les enjeux de la réindustrialisation ?

Nous sommes aujourd’hui au niveau de la Grèce, et 5 points en dessous de la moyenne européenne. Il est nécessaire d’être ambitieux. Car la réindustrialisation, ce n’est pas seulement refabriquer du doliprane en France. C’est préserver notre souveraineté industrielle, notre indépendance, nos emplois, notre balance commerciale, et c’est aussi un modèle de cohésion sociale et territoriale. Nous en avons cruellement besoin en ce moment alors que notre modèle de cohésion sociale est en grande souffrance.

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