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Saint-Brieuc Fonderie à la relance
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Saint-Brieuc Fonderie à la relance

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Saint-Brieuc Fonderie investit massivement dans son outil industriel depuis son rachat, en 2018 par des cadres de la PME, qui réalise des pièces d’usure pour les broyeurs et concasseurs de carrières, et pour le groupe Lessard. Les nouveaux propriétaires ont recentré l’activité sur les grosses pièces, développé le marché des tuiles et des briques et se sont engagés dans la réduction de la consommation électrique de l’entreprise de métallurgie.

Saint-Brieuc Fonderie est installée depuis 1928 dans le quartier de Robien, au sein même de Saint-Brieuc — Photo : Matthieu Leman

Saint-Brieuc Fonderie (13,6 M€ de CA en 2022, 89 salariés) est un phénix. Mal en point après plusieurs années sans gros investissement et faute de suffisamment de maintenance, proche de la fermeture en 2018, l’entreprise qui fabrique des pièces d’usure en acier au manganèse pour les broyeurs et les concasseurs s’est bien relevée depuis, sous l’impulsion de Patrick Ducatillon, aujourd’hui à la retraite, et de six autres cadres de la PME alors aux mains d’un groupe chinois, Yantai Tanhai Group.

Ces dirigeants ont racheté l’entreprise le 18 juin 2018 pour un euro symbolique, via la holding SBAH. Ils possèdent aujourd’hui 65 % du capital, au côté d’un agent commercial et du groupe costarmoricain de carrières Lessard (près de 25 % du capital). Et ont mené un redressement spectaculaire puisque le site, qui perdait entre 3 et 5 millions d’euros les dernières années, a dégagé des exercices bénéficiaires entre 2019 et 2022, avec un EBE de l’ordre d’1 million d’euros par an. 2023 sera également positive mais probablement pas suffisante pour garantir un intéressement pour les salariés, "à cause entre autres de la très forte augmentation des cours de l’énergie qui ont fortement impacté les résultats sur 2023", confie Jérôme Pipet, directeur général de la société depuis le 1er juillet 2023.

Rationaliser les frais fixes

Comment les nouveaux propriétaires sont-ils parvenus à redresser les résultats de l’entreprise ? "Nous avons rationalisé les frais fixes, sans plan social, en ne remplaçant pas certains départs. Et le groupe Lessard a racheté le site, foncier et bâtiment. Nous devions auparavant un loyer annuel très lourd, de l’ordre d’1,2 million d’euros.", énumère l’ingénieur diplômé des Arts et Métiers de Cluny. Sur le plan commercial, l’accent a été mis sur le premier marché de l’entreprise, celui des pièces pour broyeurs et concasseurs utilisés dans les carrières, qui pèse pratiquement 75 % du chiffre d’affaires.

Saint-Brieuc Fonderie a coulé 5 000 tonnes d’acier en 2023 — Photo : Matthieu Leman

"Nous avons mis en place une ligne de frais fixe calculée par ligne de commande, ce qui a incité nos clients à grouper leurs besoins afin que nous puissions optimiser les lancements en fabrication et les frais associés à chaque fabrication", explique le dirigeant, entré dans la PME en 2003, avant de la quitter en 2011 puis y revenir en 2013. "Nous avons arrêté certaines fabrications, notamment des petites pièces, chronophages et requérant beaucoup d’opérations manuelles. Parallèlement, nous avons augmenté notre part sur le marché des broyeurs d’argiles pour l’industrie de la terre cuite - les fabricants de tuiles et de briques - plus margé. Il représente aujourd’hui près de 20 % du chiffre d’affaires."

Côté international, Saint-Brieuc Fonderie exporte environ 30 % de sa production, principalement en Europe (Allemagne, Belgique, Italie) mais également sur des marchés plus lointains (Kazakhstan, Thaïlande, USA…).

Investissements de 4 millions d’euros depuis 2018

Il a également fallu investir dans un outil de production vieillissant. Environ 4 millions d’euros ont ainsi été engagés depuis 2018, notamment dans un nouveau tour numérique de 600 000 euros, arrivé en novembre 2023 et qui sera opérationnel en 2024. Il a été précédé, en 2022, par un autre tour numérique de 350 000 euros, qui a bénéficié d’une subvention de France Relance. À l’été 2023, un four de traitement thermique est aussi arrivé, permettant de consommer 30 % de moins de gaz que son prédécesseur, tandis qu’un autre four était "rétrofitté" avec un même brûleur régénératif. Le tout pour 120 000 euros. Des ponts roulants, dont un de 20 tonnes, ont été remplacés, et deux fours à induction d’occasion sont venus remplacer des fours à arc. Ayant nécessité un investissement d’1,8 million d’euros, ils assurent désormais 70 % à 80 % de la production.

L’organisation de cette dernière a aussi été travaillée avec la décision de rapatrier les activités d’usinage et de modelage (fabrication des modèles en bois qui serviront à la production des pièces, NDLR) dans le bâtiment principal de 15 000 m². "Avec ces opérations et les investissements dans les nouveaux tours, nous recherchons l’efficacité car une partie du retard de la fin d’année 2022 a été due à l’activité d’usinage", témoigne Jérôme Pipet. Le transfert devrait se terminer à l’été 2024 pour cet atelier, et à l’été 2025 pour celui de modelage. Le bâtiment de 6 000 m2 qui les accueille sera libéré et ce sera au groupe Lessard, son propriétaire, de lui donner une nouvelle destination.

Pièces recyclées

Toujours côté production, la PME costarmoricaine réutilise des pièces usées qu’elle rachète directement à ses clients. Sur les 5 000 tonnes d’acier produit, 2 000 tonnes viennent de ces pièces recyclées. "Nos clients y voient une contribution concrète à une économie circulaire locale", assure le Costarmoricain. "C’est une part à accentuer, nous pourrions arriver à une composition de notre acier 100 % recyclée." Pour l’instant, ferrailles et ferroalliages complètent les matières premières utilisées.

Jérôme Pipet, ingénieur des Arts et Métiers, est le DG de Saint-Brieuc Fonderie depuis le mois de juillet 2023 — Photo : Matthieu Leman

Une autre préoccupation des dirigeants de Saint-Brieuc Fonderie a été de réduire la consommation d’électricité de l’usine, particulièrement problématique avec la crise énergétique. L’acquisition des fours à induction a permis de réduire la facture, en évitant les grosses variations de consommation induites par l’utilisation des fours à arc et en réduisant le temps pour atteindre la fusion de l’acier. Cette opération est particulièrement critique puisqu’elle élève la consommation du site en pointe à 3 500 kilowatts contre 1 300 kilowatts habituellement.

Au total, la consommation annuelle d’électricité de l’usine est de 7 gigawatts. Soit une facture équivalente à 15 % du chiffre d’affaires en 2023, amortissement de l’État inclus. "Mais elle pourrait descendre, en restant supérieure à 10 % et bien loin des niveaux de 2022, si nous avions reçu les aides du guichet de l’État, auxquelles nous avions pourtant droit puisque notre consommation dépassait les 3 % de notre chiffre d’affaires", regrette le chef d’entreprise. Un projet d’échangeur permettant de récupérer et de réutiliser la chaleur des fours, qui restent plusieurs heures à une température de 1 100 °C, est dans les tuyaux.

Intéressements

Outre un gain d’énergie consommée, les fours à induction ont permis d’accroître le confort des salariés en réduisant la production de fumée et de bruit. La motivation du personnel, après des années d’incertitudes sur le sort de leur emploi, a également été stimulée par l’instauration de primes d’intéressement, l’une sur les résultats (financiers mais aussi de respect des délais) et l’autre sur la sécurité. Les bénéfices sont répartis à parts égales entre intéressement, trésorerie et investissement.

"Aujourd’hui, l’effectif est cohérent par rapport au tonnage que nous produisons (5 000 tonnes d’acier coulé, NDLR). Nous n’envisageons pas de suppression d’emploi mais nous allons augmenter la polyvalence de nos collaborateurs", pointe Jérôme Pipet. L’activité de Saint-Brieuc Fonderie est en effet protéiforme puisqu’elle est l’une des rares entreprises de métallurgie à réaliser toutes les étapes de la production des pièces, de la fusion de l’acier à la finition (activité de parachèvement qui représente via l’usinage 75 % des pièces, contre 25 % vendues brutes de meulage, NDLR), en passant par le traitement thermique et le modelage. Cette dernière activité (la PME possède 10 000 modèles) lui permet une réactivité plus importante que celle de ses concurrents et un choix accru de personnalisation des pièces.

Expérience d’entreprise

De même, l’expérience des salariés (la moyenne d’âge se situe à 49 ans) se révèle un atout important, notamment quand il s’agit d’estimer une température ambiante en tenant compte de la température générée par la fusion. "L’expérience a un rôle essentiel dans le domaine de la fonderie qui réunit énormément de paramètres techniques que l’on ne maîtrise qu’avec le temps", précise le dirigeant. Cette question de l’ancienneté représente une force mais également une faiblesse puisqu’elle induit nombre de départs en retraite dans les années à venir. Pour les compenser, l’entreprise a abandonné l’espoir de recruter des professionnels mais donne sa chance à des "personnes ayant envie de travailler, que l’on forme", précise Jérôme Pipet.

Quant à l’expérience de l’entreprise, elle est alimentée par le service méthode qui procède à la demande à des analyses de l’usure des pièces et, systématiquement, aux analyses d’incidents pour en comprendre la cause et ainsi déterminer si cela est dû à sa fabrication ou à son usage.

De quoi continuer à redresser une entreprise qui possède cependant une fragilité, celle de dépendre à 70 % d’un seul marché. Et même si la méthode de fabrication par fusion est très ancienne, "nous ne sommes pas à l’abri d’une nouvelle technologie qui rendrait ce procédé obsolète", conclut Jérôme Pipet. "Mais nous sommes en permanence à la recherche de l’adaptation et de l’acquisition de nouveaux procédés pour répondre aux évolutions du marché."

Saint-Brieuc Fonderie est installée depuis 1928 dans le quartier de Robien, au sein même de Saint-Brieuc — Photo : Matthieu Leman

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