Mayenne
Ressources humaines : la discrète Mayenne dévoile tous ses charmes pour séduire loin de chez elle
Enquête Mayenne # Attractivité

Ressources humaines : la discrète Mayenne dévoile tous ses charmes pour séduire loin de chez elle

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Comment recruter dans un département rural de 307 000 habitants où le taux de chômage est à son niveau le plus bas depuis quarante ans ? En Mayenne, les entreprises n'hésitent plus à aller chercher des compétences en dehors des frontières du département. En même temps, la Mayenne travaille à faire valoir ses atouts et limiter ses points faibles. Collectivités et entreprises sont passés en mode séduction.

Vue aérienne de la ville de Laval, en Mayenne. Sa proximité avec Paris (70 minutes en train), son économie au beau fixe, son taux de chômage au plus bas depuis 1982, son cadre de vie, ses réseaux et son esprit collectif. Et ses difficultés à attirer de nouveaux talents... — Photo : JackF

Ce déplacement en dit long. Le 1er juin dernier, lors de sa venue en Pays de la Loire, Élisabeth Borne fait un crochet par Laval pour illustrer le protocole de préfiguration de France Travail dans la région. "Le plein-emploi est à notre portée", soutient alors la Première ministre, qui désire mieux accompagner les jeunes dans cette direction.

La Mayenne devient une des premières terres d’expérimentation de la réforme, car elle offre un bon exemple : dans le département, le chômage se situe autour de 4,7 %. C’est l’un des taux les plus bas de France. Mais derrière ce bon chiffre, un constat plus inquiétant : les jeunes sont trop absents des listes de candidats à l’embauche. De quoi pénaliser la pérennité du dynamisme économique local : la population active mayennaise devrait diminuer dans les années à venir, au regard des perspectives démographiques.

Les salariés en position favorable

Les voyants sont, pour l’instant, rassurants : un taux de renouvellement d’entreprises (ratio créations/défaillances) de plus de 10 %, la nature familiale de nombreuses entreprises qui limite les risques de délocalisation. L’économie est variée, les compétences présentes, les tailles d’entreprises très variables, des petites PME innovantes aux leaders nationaux, européens, voire internationaux sur leurs marchés (Lactalis, Séché, Gruau, Actual, Dirickx, Rapido…). Mais quelle que soit l’envergure, les capacités de développement se heurtent à la problématique de recrutement. Le Département a beau lister ses atouts : fibre optique déployée et Internet haut débit accessible sur tout le territoire, LGV qui rapproche Laval de la Bretagne et de Paris (à 70 minutes) ; prix de l’immobilier attractif, cadre de vie de qualité, faible délinquance… Même dans une France post-Covid où quantité de travailleurs chercheraient à s’éloigner des grandes aires urbaines pour trouver un meilleur confort de vie, cela ne suffit pas, semble-t-il, pour draguer suffisamment de recrues.

Dans un département où le taux de chômage est à son niveau le plus bas depuis quarante ans - 1982 précisément selon Pôle Emploi -, les candidats à l’embauche sont en position favorable.

Bruno Lucas, président du Medef 53. "Aujourd'hui, c'est le salarié qui choisit son entreprise." Et son territoire — Photo : Rémi Hagel

"Il y a encore quelques années, ce sont les entreprises qui choisissaient leurs salariés, commente Bruno Lucas, président du Medef 53. Aujourd’hui, c’est le salarié qui choisit son entreprise." Autant avoir de bons arguments. Car cela ne concerne plus seulement les secteurs en recherche permanente de main-d’œuvre, tels que le bâtiment, la métallurgie, les services à la personne, la restauration ou encore l’agroalimentaire. Les activités technologiques peinent tout autant à recruter. En témoigne le directeur des ressources humaines et actionnaire de Cofidur EMS, spécialisée dans la sous-traitance de cartes électroniques, Gilles Delaunay : "Au début de l’année, nous avions encore une vingtaine de personnes à se présenter à nos journées de découverte de notre dispositif de formation. Depuis la rentrée, on en reçoit une dizaine seulement." L’entreprise cherche à embaucher pour accompagner sa croissance, comme beaucoup d’autres sur le territoire. Selon les chiffres donnés par la préfecture, 15 000 emplois seraient disponibles actuellement ou prochainement, compte tenu des créations de postes, des départs en retraite et du turn-over.

Les femmes et les enfants d’abord

Pour soutenir les entreprises qui veulent attirer des personnes extérieures au département, Sabrina Pierre les représente au titre de Laval Économie, l’agence de développement économique de l’agglomération. Elle se rend dans des salons de recrutement, le très ciblé Partir de Paris notamment. "Certains profils sont difficiles à faire venir, les jeunes en particulier, explique-t-elle. Ils veulent l’animation des métropoles, ne pas avoir à utiliser leurs voitures" - revendication qui peut être complexe à appliquer dans un territoire rural… "À l’inverse, il est plus facile de faire venir des familles, par rapport au cadre de vie et à la sécurité, s’ils habitent le bassin parisien notamment, pour les enfants."

Dans un département rural sans grande métropole, difficile de séduire les jeunes citadins avec une belle maison de campagne relativement éloigné des services. "Leur demande est d’habiter au centre-ville, de pouvoir circuler en autonomie comme ils peuvent le faire à Paris ou dans les grandes villes, avec des transports en commun très développés. Ils sont habitués à une grande mobilité, ils ne veulent pas d’un changement radical et veulent continuer de pouvoir aller où ils veulent, quand ils veulent", rapporte Sabrina Pierre. Une exigence, similaire à celle de cadres parisiens ou de jeunes diplômés. Or, Laval compte trop peu d’appartements d’un certain standing proches du centre et de la gare. Même si des investissements sont en cours.

"Un recrutement sur deux était une personne habitant hors Mayenne"

Des entreprises sont conscientes de ces enjeux. La société Mann Hummel filtrations, par exemple a relocalisé son siège social à deux pas de la gare de Laval, pour se rendre plus flexibles par rapport à ses ingénieurs. Et ne pas risquer de perdre leur savoir-faire.

Un projet d'aménagement de la zone gare Nord de Laval évalué à 20 millions d'euros. Ce quartier, avec l'atout de la LGV reliant Rennes à Paris, est en pleine mutation — Photo : Redman

Dans ce quartier en mutation, d’autres entreprises devraient s'installer pour profiter de la liaison LGV Paris-Rennes, pour des rendez-vous mais aussi par rapport aux lieux de résidence des cadres.

Face à l’offre de soins insuffisante, les collectivités locales ont également entrepris de multiplier les postes d’étudiants en médecine, notamment, au cours de leur internat, afin qu’ils découvrent, et si possible se rassurent pour revenir exercer une fois diplômés. Fermeture de services et déserts médicaux sont incompatibles avec l’attractivité d’un territoire. L’offre en termes de loisirs et de culture est également prise en compte pour accepter une mutation. Laval Economie mise aussi sur le réseau local pour faire des offres d’emploi aux conjoints.

"Les enfants ont aussi une inquiétude quant à leurs études", complète Christelle Champion, consultante RH et recrutement à l’Apec (association pour l’emploi des cadres). Laval Agglomération et le Département travaillent sur ce point. Une politique commune, soutenue par la Région, de créations d’écoles et de formations doit aboutir à atteindre les dix mille étudiants dans l’agglo à l’horizon 2030. Des écoles d’ingénieurs, telles que l’Eseia, qui vient de fêter ses 30 ans, ou encore l’Estaca, qui implique de futurs ingénieurs à des projets de sous-traitants automobiles, permettent de former de futurs cadres ou dirigeants. L’enjeu est de fidéliser ces étudiants sur le territoire, une fois leur diplôme obtenu.

Chasse en meute dans le Marais

Fidéliser. C’est la deuxième étape après l’attractivité. Comme le souligne Bruno Lucas, président du Medef et patron du groupe de BTP qui porte son nom, dans son entreprise, "un recrutement sur deux est une personne habitant hors Mayenne". La dernière marche semble encore difficile à franchir.

Pour essayer de passer ce cap, les entreprises s’adaptent et misent sur des qualités souvent mises en avant chez les Mayennais : la convivialité et la solidarité. Parmi les initiatives lancées, le Welcome Pack proposé par Laval Tourisme apporte des solutions pour mettre en place un parcours d’intégration rassurant : découverte du territoire, des lieux emblématiques, des produits locaux, croisière sur la Mayenne sur le Vallis Gidonis, soirées et afterworks proposés, mais aussi des informations pratiques avec une présentation des écoles, des lieux de sortie, des logements disponibles, des offres d’emploi pour les conjoints… 200 à 300 packs sont commandés chaque année depuis cinq ans, chiffre qui donne un minima des arrivants et de leurs attentes en tant que nouveaux salariés en Mayenne. Et qui montre aussi que toutes les entreprises n’ont pas encore le réflexe de commander ce Welcome Pack.

Se créer un réseau et apprécier ce que le département offre à voir, est une clé de succès pour fidéliser. Les collectivités imaginent ainsi des séquences de communication. En ce mois de novembre, en plein préparatifs pour les fêtes de fin d’année, la Mayenne a pignon sur rue à Paris, dans le quartier du Marais. Une boutique éphémère dans laquelle une soixantaine d’entreprises (de producteurs agricoles locaux à Lactalis, numéro un mondial du lait basé à Laval) vante les mérites d’un département où le bien vivre n’est pas incompatible avec un développement économique. Des musées emblématiques, des fabricants d’art, et même des écrivains qui ont parlé de la Mayenne prennent place dans cette vitrine.

Localement, les organisations partenaires jouent le jeu. "On se coordonne avec le Medef, on travaille super bien avec les chambres consulaires, raconte Sabrina Pierre, de Laval Economie. Ce n’est plus cloisonné comme avant. En vingt ans, je n’ai jamais vu autant les gens travailler ensemble."

"Chasser en meute", c’est le credo des entrepreneurs mayennais et des organismes professionnels locaux. La faculté à faire jouer les réseaux locaux est une qualité de la Mayenne reconnue hors de ses frontières.

Les collectivités veulent créer une dynamique d'attraction par des démarches complémentaires. Ici, Florian Bercault, président de Laval Agglomération et maire de Laval, Christelle Morançais, présidente de la Région Pays de la Loire, et Olivier Richefou, président du conseil départemental de la Mayenne — Photo : Rémi Hagel

Le 4 octobre, une première présentation du travail mené par l’agglo, devant 400 élus et acteurs économiques, a d’ailleurs permis de le faire valoir : "La solidarité et la confiance qui fondent la culture du territoire de Laval se retrouvent dans la façon de développer les activités : il existe, du propre aveu des élus locaux, un écosystème autonome d’entrepreneurs s’épaulant et s’entraidant. L’objectif est simple : il s’agit de faire et de faire ensemble." La collectivité veut s’en inspirer pour vendre le territoire. Une manière de marketer le terreau local qui vient compléter la stratégie de communication engagée depuis plusieurs années par le Département, qui a fait de la Mayenne une marque distinctive. L’étape prochaine est la création d’une Agence de l’attractivité. Le Département veut en faire un catalyseur d’une démarche qui vise à améliorer la qualité de vie des habitants, en attirer de nouveaux, à favoriser l’économie locale et soutenir les innovations.

L’attractivité, carence régionale

Tout le monde semble en ordre de marche pour faire de la Mayenne un nouvel Eldorado. Mais tandis que les élus élaborent le récit, un autre constat s’impose : la Mayenne n’est pas seule à chercher des solutions au manque d’attractivité. Ce n’est pas le seul département à avoir créé sa marque. Ni la première à avoir investi dans l’événementiel (culturel ou sportif) pour se faire remarquer. Le fait est qu’elle ne serait pas non plus située sur une terre attractive. Selon une étude du cabinet Robert Half de mai 2023, les Pays de la Loire n’arrivent qu’en neuvième position (sur quinze) des destinations pour lesquelles les Français accepteraient de déménager pour raison professionnelle, loin derrière les régions du sud, l’Île-de-France ou la Bretagne, et juste derrière la Normandie et l’étranger ! Sachant que dans une précédente étude en mars, du même cabinet, 57 % des personnes interrogées se déclaraient prêtes à changer de région pour travailler.

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