Relations client-fournisseur : quels abus les entreprises peuvent-elles dénoncer ?
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Relations client-fournisseur : quels abus les entreprises peuvent-elles dénoncer ?

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Contester une clause contractuelle dans les relations commerciales entre entreprises va devenir plus facile. Deux ordonnances adoptées le 24 avril 2019 apportent plus de transparence et de sécurité juridique.

Deux ordonnances viennent de modifier les dispositions relatives aux pratiques restrictives de concurrence. La règle désormais : les obligations doivent devenir réciproques. Sinon, le contrat peut être dénoncé — Photo : © taa22 - stock.adobe.com

Pendant plusieurs années, le groupe américain General Electric a imposé à ses fournisseurs une clause prévoyant, contre rémunération, un paiement anticipé de leurs factures. Une position abusive sanctionnée par la cour d’appel de Paris le 12 juin 2019. Cette dernière a condamné le conglomérat industriel américain à payer deux millions d’euros, au titre de pratiques commerciales déloyales, selon un communiqué, publié le jeudi 27 juin 2019, par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

Des pratiques commerciales de GE et Castorama sanctionnées

La cour d’appel a considéré que les contrats imposés par General Electric à ses fournisseurs présentaient un déséquilibre significatif. « Concrètement, le groupe imposait à ses fournisseurs un paiement anticipé de leurs factures, mais avec une rémunération excessivement importante par rapport au montant de la facture. Les fournisseurs n’ont en effet aucun avantage de se voir amputer une partie de leur rémunération », commente Frédéric Fournier, avocat associé chez Redlink, spécialisé en droit de la distribution.

Ce n’est pas la première fois qu’une telle décision tombe. Castorama a été le premier sanctionné, en 2010, pour ce genre de motifs. Plusieurs clauses permettaient à l’enseigne de percevoir des acomptes mensuels sur des ristournes, devant, en principe, être versées au distributeur en fin d’année, en fonction de l’atteinte d’un certain niveau de chiffre d’affaires. Le tribunal de commerce de Lille avait considéré que les contrats présentaient un déséquilibre et que la trésorerie mobilisée par les fournisseurs était excessive par rapport à ce que devait recevoir Castorama.

Une évolution des relations entre fournisseurs et grandes enseignes

Pour renforcer l’arsenal juridique et sanctionner les abus de la grande distribution dans ses relations avec ses fournisseurs, deux ordonnances, adoptées le 24 avril 2019, ont modifié les dispositions relatives aux pratiques restrictives de concurrence.

La règle désormais ? Les obligations doivent devenir réciproques. En d’autres termes, si une partie impose un mode de paiement ou des délais de règlement plus longs, ils doivent être les mêmes pour l’autre partie. Il n’est, par ailleurs, pas légal d’obtenir d’un fournisseur une avance permanente de trésorerie correspondant à deux ou trois mois de chiffres d’affaires, si cet avantage est sans contrepartie d’équilibre.

« Il est donc désormais plus facile, pour une entreprise, de dénoncer un contrat déséquilibré. »

« En cas d’absence de contrepartie effective et proportionnée à une obligation, ou encore si une clause n’a pas été négociée, il y a un risque que cette dernière soit remise en cause, au titre du déséquilibre significatif. Les juges vont rechercher si les avantages entre les parties sont équilibrés. Il est donc désormais plus facile, pour une entreprise, de dénoncer un contrat déséquilibré. Cet argument est souvent utilisé dans les négociations ou contentieux de distribution, mais aussi dans les réseaux de franchise ou les licences de marque », assure Frédéric Fournier.

• Les clauses de pénalité et de non-concurrence très encadrées

Une entreprise peut contester bien d’autres clauses. L’article L.442-6 du Code de commerce établit d’ailleurs une liste des pratiques abusives en matière de relations commerciales. Il n’est ainsi pas possible de déréférencer brutalement, sans préavis, les produits d’une enseigne. Autre exemple, qui concerne cette fois-ci les clauses de pénalité : « Dès lors qu’elles sont excessives et systématiques, elles peuvent être mises en cause », estime Frédéric Fournier.

Les clauses de refus de marchandise peuvent également être contestées. « Certains fournisseurs se voient imposer des dates limites de consommation plutôt contraignantes. Les distributeurs considéraient qu’après un délai de huit jours, il était pertinent de renvoyer le produit », renchérit l’avocat. Lorsqu’un article se vend mal, certains acteurs se réservent la possibilité de le retourner. Mais là aussi, il est possible de dénoncer ces pratiques.

Les clauses de non-concurrence sont par ailleurs désormais très encadrées. « Certains contrats, stipulant une obligation de non-concurrence post-contractuelle et imposant ainsi trop de contraintes, peuvent entraîner leur nullité », confie Frédéric Fournier. La clause doit impérativement avoir une contrepartie.

• L’absence de négociation comme critère clé

Il en est de même concernant les conditions générales d’achat, qui ne peuvent imposer à un partenaire commercial une clause d’exclusivité ou de quasi-exclusivité d’achat de ses produits ou services pour une durée supérieure à deux ans. S’il n’y a pas de discussion possible et de possibilité pour l’entreprise de négocier, le contrat sera remis en cause. L’absence de négociation est le point d’entrée de l’application des textes.

De façon générale, toutes les entreprises qui sont soumises à des dispositifs sans pouvoir les négocier sont ainsi susceptibles de les remettre en question. Autant de nouvelles règles qui devraient contraindre certains professionnels à modifier leurs habitudes contractuelles.


Toute entreprise peut dénoncer un contrat de façon anonyme

Au-delà du cas particulier de General Electric, la décision de la cour d’appel de Paris du 12 juin 2019 est particulièrement importante, car, saisie pour la première fois de cette question, elle a considéré que la DGCCRF pouvait exploiter, dans des procédures judiciaires, des déclarations d’entreprises victimes de pratiques commerciales déloyales, sans dévoiler leur identité.

Ces dernières ont en effet généralement la crainte de faire l’objet de représailles économiques, si elles témoignent dans le cadre des procédures intentées par la DGCCRF. « Les entreprises peuvent donc dénoncer certains comportements et fournir certains documents et contrats, lors de visites de la DGCCRF par exemple, tout en demandant que leurs plaintes fassent l’objet d’un anonymat. Certaines mentions, comme le nom du fournisseur et la personne auditionnée, ou encore l’activité de la société et les éléments relatifs à son chiffre d’affaires, vont donc être supprimées », atteste Frédéric Fournier.

En ouvrant la possibilité de préserver l’anonymat des entreprises plaignantes, cette jurisprudence renforce la mise en évidence et la sanction des pratiques commerciales déloyales.

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