Nouvelle-Aquitaine
Pourquoi la Nouvelle-Aquitaine est incontestablement une terre de drones
Enquête Nouvelle-Aquitaine # Aéronautique # Écosystème et Territoire

Pourquoi la Nouvelle-Aquitaine est incontestablement une terre de drones

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La filière drones se professionnalise à toute allure et la Nouvelle-Aquitaine y joue un rôle majeur. Elle héberge des structures pionnières et nombre d’entreprises qui balaient la plupart des cas d’usages. C’est aussi le territoire qui accueille en octobre l’UAV Show, rendez-vous unique pour le secteur.

L’inspection de sites sensibles est un marché important avec une clientèle déjà en demande — Photo : Azur Drones

Il y a des signes qui ne trompent pas. La Nouvelle-Aquitaine a accompagné la première entreprise de drones civils en France, elle dispose d’une zone de vol unique et d’un incubateur spécialisé. C’est la deuxième région en nombre de sociétés estampillées drones ; certaines sont leaders dans leur domaine, y compris à l’international. C’est encore dans la région que se déroule l’unique salon européen de drones professionnels civils. L’aéroport de Bordeaux-Mérignac est dans les starting-blocks pour être pionnier dans l’accueil des futurs moyens de transport ; un promoteur du territoire a déjà breveté un vertiport… La Nouvelle-Aquitaine est bien une terre de drones. "Un terreau même", sourit Arnaud Rimokh, directeur délégué de la branche drones du pôle de compétitivité Aérospace Valley. L’effet boule de neige a encouragé des entreprises à se déraciner pour bénéficier de ce tissu économique favorable (Eos Technologies a quitté Toulon, Azur Drones a quitté Paris…).

Localement, tous les acteurs ont à cœur d’entretenir cette dynamique pour rester une locomotive à l’assaut de marchés gigantesques. Entre les appareils eux-mêmes, la technologie embarquée, la multitude de secteurs qu’ils investissent déjà pour des services rendus que l’on n’imagine pas encore, le drone est à bien des égards un enjeu colossal.

De quoi se féliciter d’avoir dégainé les premiers. "Nous avons intégré la première entreprise de drones civils en France, Aelius, dans notre incubateur en 2005", se rappelle François Baffou, directeur général de Bordeaux Technowest. "On m’a dit que la filière n’avait pas grand avenir. Même si je savais que le projet Aelius avait peu de chance d’aboutir parce qu’il était trop ambitieux – un système de contrôle des dégazages de cargos –, je pensais qu’il y avait un coup à faire." Personnalité incontournable dans le milieu du drone sur le territoire et ancien trésorier de la fédération professionnelle du drone civil, François Baffou a fait des "bourdons" (la traduction française du mot anglais "drone") une spécialité de sa pépinière, entraînant dans son sillage tout un nouvel écosystème.

Une zone de vol unique

"D’autres entreprises sont arrivées, puis nous avons créé en 2008 le premier centre d’essais, le Cesa, pour les besoins d’Aelius." À l’époque, il n’existait pas encore de réglementation en France ; elle viendra en 2012. François Baffou y contribuera, et ce sera la première d’Europe, un an avant les États-Unis. Pour autant, il n’était pas question d’essayer les appareils dans n’importe quelles conditions. Or, il a toujours été crucial de tester les pannes, les liaisons radio, l’autonomie, la transmission des données… Basé en Gironde à Hourtin, le Cesa se distingue encore aujourd’hui parce qu’il dispose de la plus grande piste de longue élongation du pays. 100 kilomètres le long du littoral. L’outil est crucial pour valider les solutions en toute légalité et en toute sécurité pour la très grande majorité des entreprises qui ne disposent pas de leur propre espace de vol.

Le centre d’essai, transféré de Sainte-Hélène à Hourtin, est désormais relié par un corridor à la zone de longue élongation du littoral — Photo : Caroline Ansart

C’est le cas de la société girondine Milton, qui emploie une trentaine de salariés. Fondée par un ancien des forces spéciales en 2017, son ADN est militaire mais elle compte bien séduire aussi les industriels avec ses drones lourds porteurs. "Chaque client a des demandes spécifiques : cartographier, surveiller des réserves naturelles, aider à l’agriculture de précision… L’innovation est nourrie par la demande. D’où notre besoin de pousser les limites en toute sécurité dans des zones d’essais comme celle-ci", explique Laura Astié, business développer export chez Milton.

650 cas d’usage

La PME appartient au petit club des entreprises dronistes qui ont déjà décollé. Mais le marché partout en France reste composé à 90 % de petites sociétés qui font moins de 100 000 euros de chiffre d’affaires. Selon l’Association du drone de l’industrie française (Adif), la filière représente environ 2 000 emplois en France et 100 millions d’euros de chiffre d’affaires. En Nouvelle-Aquitaine ce sont une centaine d’entreprises qui ont été recensées pas Aérospace Valley, derrière l’Occitanie (147 sociétés). À elles deux, les régions représenteraient la moitié des entreprises dronistes en France, même s’il est difficile d’obtenir des chiffres précis.

Le business provient encore à 50 % de la télévision et du cinéma, alors que 650 cas d’usage ont été répertoriés. "Cela ne signifie pas 650 marchés", tempère Arnaud Rimokh, mais donne une idée du potentiel, sachant que les entreprises de Nouvelle-Aquitaine couvrent un large spectre. Cartographie, inspection de linéaires (lignes aériennes, canalisations…), de milieux confinés (comme Lynxdrone en Gironde), inspection d’ouvrage d’art, de parcs aquacoles, inspection thermique (comme Drona dans les Pyrénées-Atlantiques), cubage, exploration sous-marine (la start-up basque Abyssa a été dotée cet été d’une enveloppe de 870 000 euros par le dispositif France 2030 pour son drone capable de descendre à 6 000 m de profondeur), modélisation, épandage (comme le girondin Agrodrone), démoussage de toitures et démoustication (Drones Ingénierie Systèmes, à Bordeaux, a triplé son chiffre d’affaires en trois ans)..

"Beaucoup de secteurs correspondent finalement aux professions des 3D - Dirty, Dangerous, Demeaning (sale, dangereux, humiliant) - le drone venant exonérer l’homme de ces tâches. Qui veut inspecter une piscine nucléaire ? Nettoyer un conduit ?", demande Arnaud Rimokh. Demain, les drones transporteront du matériel, des passagers, des secours.

La R & D est en ébullition pour miniaturiser les systèmes embarqués, prolonger le signal pour allonger les distances, affiner la précision des images, traiter la donnée.

Structuration du marché

Mais pour que l’industrialisation émerge, il faut que le marché se structure. "Beaucoup de sociétés se sont créées, jusqu’à 10 000 en France, c’est trop", estime François Baffou. "Comme aux débuts de l’aviation, quand il existait 300 constructeurs", appuie Arnaud Rimokh. "Économiquement ça ne peut pas fonctionner, il faut de la concentration et de la spécialisation", insiste le directeur général de Technowest.

C’est l’option choisie par Azur Drones. Créée en 2013 à Paris, elle explorait les secteurs et usages tous azimuts avant de racheter la start-up bordelaise Skeyetech spécialisée dans les drones automatisés, destinés notamment à la surveillance et la sûreté de sites sensibles (centrales nucléaires, ports, mines, etc.). Un virage qui a permis à l’entreprise "d’aller au bout de l’expertise" et de déménager son siège social à Mérignac (Gironde) "pour bénéficier de ressources humaines dans un bassin d’emploi déjà sensibilisé à l’aéronautique. Notre métier premier demeure de faire voler des choses", résume Hugues d’Alès, directeur général adjoint en charge du commerce et de la stratégie. Azur Drones est aujourd’hui "leader en Europe et au Moyen-Orient. Notre plus gros défi est d’être premiers, de prendre position dans un marché encore en construction, particulièrement auprès de grands comptes comme Total Energie, Arcelor Mittal, BASF. "Depuis deux ans, Azur Drones accélère aussi à l’international, face à des concurrents américain et israélien. Les drones automatisés de l’entreprise diversifient aussi leurs missions avec du transport de charge ou du cubage, pour permettre à leurs clients de rentabiliser leur investissement. Avec 68 collaborateurs et un chiffre d’affaires de 2,5 millions d’euros - avec une croissance espérée de 50 % en 2023 – Azur Drones est un des acteurs majeurs de la région.

L’inspection de sites sensibles est l’un des premiers marchés — Photo : Azur Drones

Des entreprises qui décollent

Au même titre que Dronisos, pionnier en France dans les spectacles lumineux, leader en Europe et au Moyen-Orient. Son fondateur Jean-Dominique Lauwereins a quitté Londres pour revenir à Bordeaux - "pour son tissu économique favorable et sa qualité de vie" - et y créer la société en 2016. "L’entreprise a véritablement inventé ce marché", estime-t-il, sans dévoiler son chiffre d’affaires, dont il glisse cependant que la croissance a doublé plusieurs années consécutives et affiche encore 30 % cette année. Pour conserver sa longueur d’avance, notamment sur le marché des grands parcs d’attractions, l’entreprise a ouvert des bureaux cet été aux États-Unis et à Dubaï. Et comme "le civil et le militaire sont souvent imbriqués, s’inspirant l’un de l’autre", constate Arnaud Rimokh, les vols en essaims ont aussi tapé dans l’œil de l’armée. Dronisos vient de fonder une société dédiée.

Dronisos vise en priorité les grands parcs d’attractions pour y produire quotidiennement ses spectacles de drones comme il le fait à Disneyland Paris depuis mars 2022 — Photo : Dronisos - Marc VEILLARD

La spécialisation est aussi la clé de la réussite pour Aerix Systems qui, à l’évocation de son nom, fait trépigner d’impatience les connaisseurs. Dans ses locaux de Mérignac - accompagnée par Technowest -, elle est une des rares à œuvrer à la fabrication même de l’appareil, quand la majorité des entreprises se concentrent sur les technologies embarquées. Depuis 2020, elle peaufine un drone à propulsion omnidirectionnelle dont la sortie est espérée à la fin de l’année, capable de voler dans tous les sens et se faufiler dans des lieux complexes inaccessibles aux drones actuels.

Un ovni parmi les gros

Ovni parmi les plus gros acteurs de Nouvelle-Aquitaine, Reflet du Monde (10 salariés, 850 000 € de CA) jubile à conserver quatre activités et refuse de trancher entre la prestation, la R & D, la formation (premier centre de Nouvelle-Aquitaine) et la vente. "C’est une question de gestion des risques, défend Patrice Rosier. L’aéronautique est un secteur cyclique. Cette année la formation est en forte baisse, mais la R & D en forte hausse." Le fondateur est un pionnier parmi les pionniers. Il avait déjà son projet drone sous le bras en 2004 (médaille d’or au concours Lépine de la région Centre) quand il a intégré l’Institut de maintenance aéronautique de Mérignac. Encore étudiant, il entre à Technowest en tant que stagiaire, partage son engouement pour les drones avec François Baffou et assiste à l’arrivée du projet Aelius.

Patrice Rosier, cofondateur de Reflet du monde, prépare un nouveau joujou de 100 kg, dernière version du RDMAG destiné à l’agriculture — Photo : Caroline Ansart

Reflet du Monde est né en 2014 et déjoue depuis tous les pronostics en investissant sans cesse de nouveaux secteurs, à commencer par l'agriculture, avec sa nouvelle société Agrodrone, née en mars. A l'origine, c'était un projet pour Maïsadour et Vivadour, qui avait fait de Reflet du monde la première entreprise en France à "agir sur des parcelles, et pas seulement cartographier, en l’occurrence en semant des graines". Reflet du Monde travaille aussi depuis peu avec la Direction générale de l’armement, ainsi que sur un projet de détection de départ de feu qu’elle espère concrétiser d’ici trois ans, et enfin sur une nouvelle branche dans le BTP. Des secteurs particulièrement porteurs, sources d’économie de temps et d’argent pour les industries. "Une heure de drone coûte environ 200 à 300 euros, contre 1 200 euros pour une heure d’hélicoptère", résume François Baffou.

Le train du transport

Pour autant, les taxis volants ne sont "pas pour demain", martèlent François Baffou et Arnaud Rimokh. "Nous sommes encore très loin du niveau de sécurité exigé dans l’aéronautique… C’est un fantasme qui deviendra réalité, c’est certain, mais ce n’est pas la priorité." Le promoteur Laurent Mathiolon, PDG d’Aqprim (20 collaborateurs, 42 M€ de CA), se tient déjà prêt. En 2022 il a créé la SAS Airnova, du nom du concept imaginé en 2019 et breveté l’an dernier : un immeuble de grande hauteur doté d’un vertiport. "Nous étudions une vingtaine de sites en France, dont la moitié en Gironde, avec des vertiports au sol ou sur le toit. Nous envisageons une expérimentation en 2024, sans exploitation commerciale pendant deux ou trois ans, en attendant la réglementation. On note des avancées significatives en ce sens depuis un an, qui vont certainement continuer jusqu’aux JO, pendant lesquels il y aura du transport de personnes mais avec pilote."

drone aeroport bordeaux — Photo : Caroline Ansart

L’aéroport de Bordeaux-Mérignac compte bien monter dans le train lui aussi, paré à être le premier doté d’un tarmac dédié. La DGAC a déjà donné son feu vert à une zone de vol. "Nous devons nous préparer au transport de personnes, c’est le sens de l’histoire ", estime Simon Dreschel le directeur de l’aéroport, qui table sur des expérimentations d’ici 2030. Des acteurs œuvrent déjà à créer un consortium pour impulser l’ouverture d’un couloir de circulation entre Mérignac et le bassin d’Arcachon.

"Le premier transport en zone urbaine sera pour du secours médical"

Mais avant de transporter du monde, les drones transporteront des marchandises. "En zone urbaine, ce sera le secours médical : du sang, des médicaments, du matériel, et pas des pizzas", prédit Arnaud Rimokh. Là encore, les entreprises néoaquitaines sont prêtes à déployer leurs ailes. Azur Drones mène déjà des expérimentations avec les pompiers de Paris pour larguer automatiquement des bouées au-dessus de la Seine.

À Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), la start-up Ermance Technologies créée en 2019 a projeté de mettre sur le marché ses premiers appareils de secours d’ici la fin de l’année, équipés pour détecter les victimes de noyades et leur venir en aide au large des côtes avant l’arrivée des professionnels.

De son côté, le rochelais Skydrone Robotics, créé en 2018 (15 salariés, près de 1 M€ de CA), a franchi cette année une étape supplémentaire vers une autorisation de survol de zone urbaine pour transporter du matériel médical ou des poches de sang d’un hôpital à un autre. Ce serait l’un des marchés visés par son appareil multimission Versatyl. Le CHU de Bordeaux a d’ailleurs réalisé des tests dès 2016, encore une première nationale qui marque l’engouement du territoire pour cette ère nouvelle de l’aéronautique.

L’UAV Show, 7e édition du salon européen du drone professionnel

Depuis 2010, Bordeaux accueille l’unique salon européen du drone civil professionnel tous les deux ans. "À l’époque, nous commencions à avoir plusieurs entreprises locales mais nous n’avions pas de visibilité", raconte François Baffou, directeur général de Technowest. Depuis, l’UAV Show n’a plus à se présenter. "Les entreprises présentes sont ce qui se fait de mieux", assure-t-il à l’aube de la septième édition, du 10 au 12 octobre au palais des congrès de Bordeaux pour des tables rondes, des conférences, des rencontres et des démonstrations depuis le tarmac de l’aéroport de Mérignac. "Cette année nous avons moins d’exposants, entre 50 et 70, mais avec des stands plus grands. C’est révélateur de la structuration du marché avec des acteurs qui ont davantage de poids." Ce rendez-vous est pour François Baffou l’assurance "que personne n’oublie que la filière drone vient de chez nous. Si le salon part à Paris, c’est foutu. Ils ont essayé en 2018, mais tout le monde était chez nous !" Cette année 2 500 visiteurs sont attendus, avec en point d’orgue des démonstrations, dont un spectacle de Dronisos qui impliquera une interruption du trafic aérien.

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