Pour les entreprises, l'accord du Brexit ne règle pas tout
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Pour les entreprises, l'accord du Brexit ne règle pas tout

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Officiellement, le Royaume-Uni est sorti de l’Union européenne le 1er janvier 2021 avec un accord commercial, conclu in extremis, à une semaine de l’échéance. Fin de l’histoire ? Pas vraiment : le texte tant attendu n’épuise pas tous les sujets de cette inextricable séparation. Mais il impose déjà ses nombreuses contraintes aux entreprises.

Avec l'accord commercial décroché le 24 décembre 2020, Londres est parvenu à donner un cadre à ses nouvelles relations économiques avec l'Union européenne, en tant que pays tiers. Mais de nombreuses questions pratiques et réglementaires restent en suspens — Photo : ESL, le JDE

Cinquante-quatre mois de divorce pour dénouer quarante-huit ans de vie commune. À l’issue d’un feuilleton à suspense lancé au soir du référendum du 23 juin 2016, le Royaume-Uni et l’Union européenne se sont définitivement quittés le 1er janvier 2021. Non sans s’être offert un dernier cadeau d’adieu, à la veille de Noël, sous la forme d’un "accord de commerce et de coopération".

Le soulagement des entreprises françaises

Accouché dans la douleur, ce texte de 1 449 pages fixe le cadre des relations futures entre les deux ex-partenaires. Et, au passage, élimine in extremis le risque du no-deal, synonyme d’un Brexit dur et coûteux pour tout le monde. L’échec des négociations aurait en effet signé le retour en force des droits de douane dans le commerce transmanche. Les exportations tricolores auraient alors reculé de 3,6 milliards d’euros, selon Euler Hermes. Ce sera finalement quatre fois moins (900 M€).

L’enjeu était donc de taille pour la France, qui réalise avec le Royaume-Uni son meilleur excédent commercial (+12,5 milliards d’euros en 2019, pour 33,6 Md€ d’exportations). Autant dire que, dans les entreprises, le soulagement est général. Le Medef salue même un accord « équilibré et satisfaisant ». « On l’attendait et on l’applaudit, parce qu’il nous évite des droits de douane et des quotas », abonde Pascal Perrochon, en charge des affaires internationales au sein de France Chimie.

Exemption de droits de douane sous condition

Mais tout n’est pas si simple, car l’accord pose une condition à cette absence de restrictions. « En fait, décrypte Louis-Marie Savy, juriste au sein du cabinet Fidal, l’application de droits de douane est la règle et leur suppression l’exception : pour en bénéficier, il faut pouvoir prouver l’origine européenne ou britannique de la marchandise, selon des règles détaillées dans le texte du 24 décembre. » Et de donner l’exemple de fraises du Maroc, lyophilisées en Europe avant d’être revendues en Angleterre : dans ce cas, leur transformation sur le sol de l’UE ne suffit pas à leur attribuer une origine communautaire. Elles seront donc soumises à des droits de douane de 6 %.

« L’accord ne veut pas dire qu’il n’y a plus de formalités ! »

Dans ces conditions, charge donc aux entreprises de démontrer qu’elles respectent les règles d’origine pour justifier qu’elles n’ont rien à payer. Autrement dit, si elles peuvent s’exonérer des tarifs de la douane, elles ne pourront pas faire l’économie de ses procédures. « L’accord ne veut pas dire qu’il n’y a plus de formalités ! », confirme Bernard Spitz, président du pôle international du Medef. Bien au contraire, et c’est l’essence même du Brexit : le Royaume-Uni est redevenu un pays tiers, extérieur à l’union douanière et au marché intérieur. De ce fait, le coût des barrières non-tarifaires pourrait progresser de 10 %, estime Euler Hermes. C’est que les conséquences intrinsèques de ce divorce sont considérables.

D’abord, les entreprises doivent dorénavant déposer une déclaration d’exportation (ou d’importation), à la place de la déclaration d’échange de biens (DEB), réservée aux flux intracommunautaires. Rien de nouveau pour les habituées des marchés étrangers. Mais parmi les 120 000 sociétés françaises en relation avec le Royaume-Uni, un quart d’entre elles n’ont jamais commercé avec un pays non-membre de l’Union européenne. Pour elles, le Brexit s’apparente donc à une découverte forcée des formalités douanières – et des subtilités propres au cas britannique.

Rétablissement de la frontière et risque de ralentissement

L’une d’elles consiste à anticiper le franchissement de la frontière, désormais rétablie, avec l’Angleterre. Frontière dite "intelligente", car fondée sur la dématérialisation des documents pour assurer la fluidité du trafic et un ciblage automatisé des contrôles. Ce qui n’est pas sans provoquer quelques couacs techniques, mais pas seulement : « Faites bien attention aux informations que vous fournissez !, prévient Pascal Perrochon. Le moindre accroc (une donnée erronée ou manquante, par exemple), et votre camion se retrouvera bloqué. D’où des délais plus longs et, bien sûr, plus coûteux. »

Pour l’agroalimentaire, la question se pose en d’autres termes : avec le Brexit, les contrôles sanitaires et phytosanitaires à la frontière ont, de toute façon, été rétablis, sur la plupart des produits. « Comme avec les formalités douanières, les entreprises doivent donc mettre en place tout un processus administratif qui n’existait pas jusqu’alors », souligne Vanessa Quéré, la directrice export de l’Ania, l’association nationale des industries du secteur. Problème : à la mi-janvier, « beaucoup de modalités techniques étaient toujours en cours de négociations », déplore-t-elle. Sans compter que Londres a instauré une période transitoire en trois étapes, jusqu’au 1er juillet, pour les exportateurs européens, avec différents degrés d’exigences selon la nature de leur marchandise !

Flous réglementaires persistants pour certains secteurs

Cet exemple n’est pas un cas à part. L’accord du 24 décembre est, en réalité, loin d’avoir démêlé tout l’écheveau des relations économiques Royaume-Uni - UE. Certains secteurs ont ainsi été carrément exclus des négociations – à l’image des services financiers. D’autres ont, au contraire, pu servir de monnaie d’échange. Dans ce cas, le texte leur fournit des règles plus détaillées. Il en va ainsi de la pêche ou du transport routier.

« La question du cabotage, par exemple, est restée en suspens jusqu’au bout, dévoile Isabelle Maître, déléguée permanente à Bruxelles de la FNTR, la fédération française du secteur. C’était un enjeu important pour nous, car nos chauffeurs font beaucoup de ces opérations locales, au retour de leur mission. » Finalement, l’accord a fixé le nombre de livraisons autorisées sur le sol britannique à deux, dans une limite de sept jours. C’est une de moins qu’auparavant, mais « nous avons craint de ne plus pouvoir en faire du tout… »

« Mis bout à bout, tous ces changements imposent aux entreprises un changement complet de gestion. »

Et puis il y a tous les autres secteurs, pour qui l’accord commercial ne règle pas tout et renvoie même à des discussions et échéances ultérieures. C’est la situation inconfortable, dans laquelle se trouve la chimie. « Nous avons obtenu une annexe basique, et décevante, de trois pages, soupire Pascal Perrochon. Pour nous, le plus dur reste à venir. »

Le responsable de France Chimie espérait « une coopération étroite » autour du système européen Reach. Les Britanniques ont préféré créer leur propre règlement, en cours de constitution. En attendant, il y a urgence : « Les entreprises ont jusqu’à fin mars pour rapatrier en Europe les dossiers d’enregistrement de leurs produits chimiques déposés initialement au Royaume-Uni. Sans quoi ces substances ne pourront plus être importées dans l’UE ! »

Autre casse-tête en vue : la gestion des données personnelles. Le nouvel accord commercial prévoit que le RGPD européen reste applicable jusqu’au 1er juillet. Au-delà, tout reste ouvert. « Aujourd’hui, résume Louis-Marie Savy, on se focalise beaucoup sur les aspects douaniers du Brexit, parce que l’on en voit les effets : ça passe ou ça casse à la frontière. Mais il faut aussi se pencher rapidement sur toutes les implications normatives et réglementaires. »

Et il y a fort à faire entre ce que dit l’accord du 24 décembre et ce qu’induit un Royaume-Uni comme pays tiers – des enjeux de conformité jusqu’au type de palettes à utiliser ou au réétiquetage des produits : le Brexit bouscule les habitudes. « Mis bout à bout, ils imposent aux entreprises un changement complet de gestion », reconnaît Pascal Perrochon. À la FNTR, on signale déjà des cas de transporteurs qui ont arrêté de servir cette destination. Même un géant, comme le logisticien allemand DB Schenker, a récemment suspendu ses livraisons outre-Manche.

Entre accord provisoire et futur incertain

Cerise sur le pudding, ces difficultés d’adaptation ne seront pas que passagères. C’est une source d’inquiétudes pour tous les acteurs économiques : le nouvel accord commercial est provisoire. Il peut être révisé à tout moment, voire suspendu, si l’une des parties ne respecte pas ses engagements, comme celui de maintenir des règles du jeu équitables et de s’abstenir de tout dumping fiscal ou social. Le Medef promet d’y être attentif. « Mais toute la question sera de savoir comment Bruxelles va suivre, anticiper et, le cas échéant, intervenir, en cas de manquements », note Bernard Spitz.

Dans les fédérations, cet enjeu sera central à moyen terme. « Aujourd’hui, pour l’agroalimentaire, le problème ne se pose pas : tout l’acquis réglementaire européen est reconnu dans l’accord, explique Vanessa Quéré. Mais plus le temps va passer, plus les règles vont évoluer et plus les Britanniques risquent de s’éloigner de nos standards. Ils pourraient aussi faire venir à moindre coût des produits d’autres marchés étrangers et écouler leur surplus national en Europe sans droit de douane, comme les y autorise l’accord. » La vigilance reste de mise. On croyait le Brexit terminé au 1er janvier. Mauvaise nouvelle : il ne fait que commencer.

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