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Pierre Monsan (TWB) : « Enraciner la filière biotech à Toulouse nécessite une volonté politique »
Interview Haute-Garonne # Biotech

Pierre Monsan directeur de Toulouse White Biotechnology Pierre Monsan (TWB) : « Enraciner la filière biotech à Toulouse nécessite une volonté politique »

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Fondateur du démonstrateur préindustriel Toulouse White Biotechnology (85 collaborateurs, 8 millions d'euros de chiffre d'affaires), Pierre Monsan vient d'en quitter la direction, remplacé par Olivier Rolland. Avec 105 projets de R&D portés depuis 2012 et près de 30 millions d'euros de contrats industriels générés, TWB s’est imposé dans l’écosystème des biotechs. Bilan.

Figure du monde académique toulousain et pionnier du business de la biotechnologie, Pierre Monsan a piloté la création de Toulouse White Biotechnology avec les pouvoirs publics : il privilégie aujourd’hui sa transformation en société de droit privé — Photo : © TWB / Baptiste Hamousin

Le Journal des Entreprises : Permettez d’abord une question générale : que sont les « biotechnologies blanches », qui constituent le cœur d’activité de Toulouse White Biotechnology (TWB) ?

Pierre Monsan : Notre plateforme conduit des projets scientifiques sur la transformation de matières premières renouvelables par les outils du vivant, essentiellement les enzymes et les micro-organismes, avec l’objectif de développer des réponses industrielles. L’enjeu est majeur : substituer une chimie pétrosourcée (obtenue suite au raffinage du pétrole, NDLR) par une chimie biosourcée, et alimenter notre économie par des ressources renouvelables. Il s’agit de créer des alternatives biologiques pour de nombreuses applications industrielles dont l’alimentation animale, la cosmétique, la gestion des déchets plastiques...

Votre originalité est de connecter le monde industriel et le monde de la recherche : comment cela fonctionne-t-il ?

P. M. : Nous simplifions l’interface public-privé en réglant d’emblée les questions juridiques par un contrat de consortium. Sur la propriété intellectuelle, cet accord confie la responsabilité aux entreprises : elles seules ont les moyens d’étendre des brevets et surtout de les défendre à l’international. Pour le partenaire public, nous prévoyons une prime de succès en fonction d’objectifs définis dès le départ, jusqu’à trois fois le montant de la recherche. Au fil des décennies, la pression d’évaluation est devenue très forte dans le monde académique, et freine la prise de risque. Chez nous, les chercheurs retrouvent les moyens de débroussailler de nouveaux terrains. Un projet de recherche chez TWB, c’est au moins 200 000 euros. Nos partenaires industriels assument ces coûts via leurs cotisations : ils s’impliquent pour au moins trois ans, pour des montants allant de 5 000 à 75 000 euros en fonction de leur chiffre d’affaires. Cela génère une cagnotte d’environ un million d’euros pour lancer des projets, définis par l'ensemble des partenaires. Nous invitons d'abord les industriels à définir des goulots d’étranglement dans leur R&D : ces thématiques sont soumises aux laboratoires qui proposent des pistes de recherche, avant sélection finale par l’ensemble du consortium. Si au bout d’un an, il n’y a pas de résultats, le projet peut s’arrêter. C’est la meilleure façon d’inciter les équipes de recherches à innover ! Depuis 2012, 105 projets de R&D ont ainsi été lancés.

Pouvez-vous en mesurer les retombées économiques ?

P. M. : En 2012, le gouvernement nous a subventionné à hauteur de 20 millions d’euros, avec l’objectif de générer le même montant d’ici décembre 2019 : fin 2018, nous devrions déjà nous situer entre 25 et 30 millions d’euros de contrats industriels. Nous avons aussi contribué à créer 250 emplois : une centaine au sein de TWB et le reste dans les entreprises partenaires.

Vous disposez aussi d’un programme start-up, pour quels résultats ?

P. M. : En France, une start-up de la biotech peut espérer lever assez rapidement entre 3 et 5 millions d’euros. Mais une fois les chercheurs recrutés et le matériel acheté, cette trésorerie a vite fait d’être asséchée : TWB leur évite ces dépenses en apportant un environnement fonctionnel. Nous accompagnons aujourd’hui une quinzaine de start-up, dont six dans nos murs, pour le développement de procédés et la montée en échelle. Elles ont déjà levé près de 100 M€ et généré une centaine d’emplois.

Derrière ces résultats, l’enjeu est plus profond. Beaucoup de multinationales ont réduit leur effort de recherche pour aller chercher les bonnes idées à l’extérieur. Leur stratégie est d’acheter des solutions industrielles déjà évaluées. Quand notre démonstrateur accompagne des start-up, elle attire aussi ces multinationales. L’action de TWB vise à enraciner durablement la filière biotech à Toulouse. Nous attendons un soutien politique plus clair sur ces enjeux. Notre ville accueille déjà de nombreux leaders mondiaux du secteur, comme le canadien Lallemand qui possède son antenne européenne à Blagnac. Et le potentiel est énorme au sein du monde académique.

On mesure mal les atouts de Toulouse sur ce secteur de la biotech…

P. M. : Prenons les applications dans le secteur cosmétique. On sait peu que le leader mondial de la parfumerie et des arômes, Givaudan, a créé une équipe à Toulouse pour bénéficier de la qualité de la recherche locale. D’autres acteurs majeurs du secteur comme Clariant ou IFF sont présents dans notre ville, sans oublier bien sûr les laboratoires Pierre Fabre. Il y a dans notre région un potentiel énorme sur la cosmétique : on peut regretter un manque de volonté politique pour structurer un pôle et créer des synergies.

Le financement public de TWB via le programme « Investissements d’avenir » s’achève fin 2019 : comment envisagez-vous l’avenir ?

P. M. : Pérenniser notre action passe par l’acquisition d’une entité juridique. TWB est une unité mixte de recherche, sous tutelles de l’Institut national de la recherche agronomique, de l’Institut National des Sciences Appliquées (INSA) et du CNRS. Nous avons fait il y a deux ans la proposition de transformation en SAS, qui n’a pas abouti. Depuis, le législateur a créé le statut d’« entreprise à mission » qui nous conviendrait parfaitement : notre mission a toujours été la valorisation de la recherche publique et la création de retombées sociales et économiques. Nous sommes en discussion avec le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Nous suivons aussi les réflexions en cours sur le domaine de la bioproduction. Notre modèle a fait la preuve qu’on peut faire travailler différemment public et privé. Quand la participation du secteur privé à l’effort de recherche est en moyenne de 2 %, chez TWB il est de 60 %. Si nous perdions le soutien des pouvoirs publics, nous pourrions compenser par plus de privé. Mais ce serait avec le risque de privilégier uniquement les projets les plus rentables, au détriment de la prospective.

TWB doit intégrer de nouveaux locaux en 2020 à l'INSA de Toulouse. Pouvez-vous nous en dire plus sur le projet ?

P. M. : Nous allons doubler notre surface en passant de 1 700 à 3 500 m2 en intégrant ce qui sera le premier pôle européen en biotechnologies et procédés industriels dédié au carbone renouvelable. Ce sera un lieu unique au monde puisqu’il regroupera la recherche amont, la valorisation-transfert et les entreprises. On parle beaucoup de l’entrepreneuriat étudiant : je crois vraiment nos réalisations seront un exemple pour les futurs chercheurs. Pour TWB, ce déménagement va nous permettre d’accroître notre capacité d’accueil et notre attractivité à l'international.

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