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Michelin veut placer l’entreprise au centre de l’économie circulaire
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Michelin veut placer l’entreprise au centre de l’économie circulaire

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Puisque la révolution des matériaux biosourcés et recyclés doit s’appuyer sur l’intelligence collective d’écosystèmes multipartenaires, Michelin se réinvente pour impulser des projets mixant recherche et pilotes industriels, qui lui permettront de produire des pneus moins dépendants des énergies fossiles d’ici 25 ans. Et au-delà, diffuser la circularité dans toute l’industrie.

Fabien Gaboriaud, senior vice-président de la direction opérationnelle pour les matériaux pour la circularité de Michelin "La circularité requiert une agilité opérationnelle pour prévoir des scénarios alternatifs dans un monde incertain" — Photo : Ludovic Combe

"Pionnier de la science des matériaux" ou "leader de la mobilité" ? Pour rester un champion du pneu, Michelin doit-il devenir un spécialiste des matériaux durables ? La réponse est évidemment positive pour l’industriel clermontois (132 200 salariés dans le monde ; 28,3 Md€ de CA en 2023), qui veut produire des pneus contenant 100 % de matériaux recyclés en 2050. Alors que le taux n’atteint pas encore 30 % à ce jour.

"Nous voulons sortir du fossile en développant des matériaux recyclés et renouvelables qui minimisent les émissions de CO2 et de consommation d’énergie, avec un critère de performance économique", explique Fabien Gaboriaud, senior vice-président de la direction des matériaux durables pour la circularité. Même si la rentabilité n’est pas l’unique juge de paix. "Si c’est un peu plus cher à produire, mais que c’est bon pour la planète, c’est OK", ajoute-t-il.

Intelligence collective

Fer de lance de ce pivot stratégique : sa direction opérationnelle des matériaux durables pour la circularité, créée en mars 2023, qui emploie une centaine de salariés, dont 30 profils R & D.

Sous la houlette de Fabien Gaboriaud - 30 ans de R & D successivement au CNRS puis au sein de l’entreprise au Bibendum - Michelin se réinvente en mobilisant ses expertises techniques et industrielles dans le cadre d’écosystèmes multipartenariaux dédiés au développement et à l’industrialisation de matériaux recyclés et renouvelables. Plusieurs milliards d’euros pourraient être investis dans ces projets d’économie circulaire à horizon 2040. Des budgets colossaux pour redécouvrir, au fil de ces expériences en réseau, l’élan - et les incertitudes - d’une start-up.

En pratique, il s’agit d’initier et d’accompagner des chaînes de valeur émergentes, trouver des synergies industrielles en s’associant à des partenaires, concurrents, organismes de recherche, instances publiques, start-up, etc. "Auparavant, nous travaillions dans des chaînes linéaires, fournisseur-Michelin-client. Nous devons changer nos modes de fonctionnement", commente Fabien Gaboriaud.

Depuis 18 mois, Michelin s’essaie même à la "coopétition", néologisme mix de coopération et de compétition, avec son concurrent Bridgestone. Les deux géants du pneu travaillent sur le "recover black carbon", un noir de carbone durable issu de la pyrolyse du pneu. L’idée est de définir des spécifications pour ces nouveaux composés afin d'aider les acteurs de la pyrolyse à se professionnaliser.

3,5 millions de tonnes de pneus en fin de vie

Pour produire des matériaux recyclés, il est nécessaire de séparer les différents composants du pneu, encore majoritairement issus de procédés à base d’énergie fossile. Dans ce but, Michelin s’est associé à la société financière Antin (220 salariés) et à Scandinavian Enviro Systems, pour construire la première usine de recyclage de pneus en fin de vie en Suède.

Un pilote industriel en cours de validation qui pourrait être dupliqué sur plusieurs sites en Europe, disposant d’un gisement de 3,5 millions de tonnes de pneus usagés par an.

Au sein du trio, Scandinavian Enviro Systems récupérera les pneus et les recyclera grâce à sa technologie brevetée qui lui permet d’extraire deux composants, des huiles de pyrolyse et du noir de carbone. Les deux composés seront ensuite rachetés par Michelin pour la fabrication de nouveaux pneus. En remplaçant le noir de carbone vierge par celui recyclé par Scandinavian Enviro Systems, il serait possible de réduire de plus de 90 % les émissions liées à l’utilisation du noir de carbone conventionnel.

En construction, la future usine suédoise installée à Uddevalla devrait être opérationnelle en 2025, avec un objectif initial de traitement d’environ 35 000 tonnes de pneus en fin de vie par an. Le site devrait créer jusqu’à 50 emplois localement dans sa première phase. La coentreprise a d’ores et déjà signé une série de contrats pluriannuels concernant la fourniture de pneus en fin de vie ainsi que de noir de carbone et d’huile de pyrolyse. Michelin fait d’ailleurs partie de ses premiers clients

Pilote industriel de butadiène biosourcé

Autre option, produire d’emblée des matériaux biosourcés. Parmi eux, figure le butadiène, composé des pneus, fabriqué à ce jour à partir des énergies fossiles.

Supporté par l’ADEME, l’emblématique projet BioButterfluy, réalisé en collaboration avec l’IFP Energies Nouvelles et sa filiale spécialiste des technologies pour la transition énergétique Axens implantée à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine) vise à développer et commercialiser un procédé de production de butadiène à partir d’éthanol extrait de la biomasse. Le procédé utilise comme matière première du bioéthanol qui, selon sa provenance, peut être issu d'une fermentation de sucre ou de déchets agricoles.

Le premier démonstrateur industriel de production de butadiène biosourcé en France, a démarré en juillet 2023 sur le site Michelin de Bassens, près de Bordeaux. Le pilote doit valider la chaîne complète des étapes du procédé de fabrication de butadiène biosourcé et prouver sa viabilité technologique et économique avec une capacité de production comprise entre 20 et 30 tonnes/an, échelle qui permettra une transposition industrielle rapide.

Cette étape de démonstration ouvre la voie à la commercialisation à l’échelle mondiale de ce nouveau procédé qui va permettre de fabriquer des caoutchoucs synthétiques innovants, sans faire appel à des ressources fossiles. "Nous cherchons des partenaires pour financer et opérer les projets", affirme Fabien Gaboriaud. La commercialisation de cette technologie, assurée par Axens (2 000 salariés ; 517 M€ de CA), constituera une étape clé pour garantir des volumes significatifs de butadiène renouvelable, qui intéresse d’autres secteurs d’activité comme la production de vernis et résines, plastiques type ABS, de textile, ou encore la construction. Et même la marque Lego.

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