LGV Ouest : Des patrons pas heureux sur toute la ligne...
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LGV Ouest : Des patrons pas heureux sur toute la ligne...

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Le 2 juillet, la porte de la Bretagne sera à 1 h 25 de Paris... De Rennes à Brest, de Saint-Brieuc à Vannes, « l'effet LGV » qu'on nous vend aura-t-il un impact économique ? Des patrons bretons témoignent, entre enthousiasme et déception.

— Photo : Le Journal des Entreprises

Quel effet sur la Bretagne aura la nouvelle ligne à grande vitesse inaugurée le 2 juillet ? Si Rennes et Paris se rapprochent d'1 h 25, les attentes sont fortes ailleurs et même si parfois l'indifférence s'en mêle. « À Rennes, tout le monde attend le siège parisien qui se délocalisera avec ses 300 emplois... mais je crois aussi beaucoup aux projets de développement endogène des entreprises bretonnes. Il faut les favoriser ! », témoigne cet acteur de l'immobilier local.

Ils n'ont pas attendu le train

Et puis, il y a tous ceux qui à titre personnel n'ont pas attendu la LGV pour quitter Paris et s'installer en Bretagne. Un retour au bercail pour certains ; un choix de vie pour tous. C'est le cas des entrepreneurs rennais Marlène et Germain Auger qui ont quitté leur robe d'avocats pour lancer leur start-up Viteinscrit.com. Même démarche pour les trois associés de l'agence de com'Addviso, Fabien Laurens-Berge, Vincent Esnaud et Scott Coupé, ou encore Jean-Gabriel Chelala (groupe Thétis). L'attrait pour l'écosystème du numérique rennais a parlé avant la LGV pour Advisor SLA, qui s'est installée à Rennes en mai. Ils sont venus chercher non seulement le bon air de province, mais surtout des conditions d'accueil favorables.

Contraste brestois

À Brest, en revanche, l'enthousiasme est loin d'être palpable. Il y a pourtant bien quelques satisfaits, comme Yannick Namia, fondateur de Nabl à Brest d'ASolution à Lyon. « Je fais entre un et deux Paris-Brest par semaine, et ces 45 minutes gagnées vont changer une chose essentielle : être en mesure de faire un aller-retour dans la journée, comme c'est déjà le cas sur la ligne Lyon-Paris. C'est un gros changement de perspective », se félicite celui qui met à profit ses temps de trajet pour travailler. « L'avion reste beaucoup plus cher, et ne laisse quasiment pas de temps pour travailler : en train c'est quatre heures de boulot non-stop, et on arrive directement au coeur de Paris. »

Yannick Nalia semble faire figure d'exception dans le paysage des patrons finistériens pour lesquels, dans l'ensemble, le compte n'y est pas. À l'image de Mathias Herberts, habitué des allers-retours à la capitale. « Je ne prends que l'avion pour me rendre à Paris : 3 h 30 en train, ce n'est pas suffisant pour que je change mes habitudes. » Même décision pour Gurvan Branellec, patron d'Oceania Hôtels : « J'ai 1h15 d'avion, - deux heures si on compte les temps d'attente -, et 3h30 en train, donc ça ne change rien à titre personnel. » Le patron de la chaîne hôtelière reconnaît cependant les mérites pour ses hôtels de Saint-Malo et Rennes. « Là, il y a sans conteste un effet LGV pour Rennes et sa région, convient-il. Mais pour les Finistériens, rien ne bougera tant que la SNCF ne changera pas son fusil d'épaule. Il faut un départ tôt le matin, un retour tard le soir sans arrêt dans les petites gares. » Un train business en somme. « On ne peut pas contester un mieux, mais ce n'est pas le nirvana, insiste Gurvan Branellec. L'impact psychologique, c'est en dessous des trois heures ! » Les fameuses trois heures, promises au Finistère il y a 25 ans. Une promesse toujours pas tenue qui pèse lourd dans la déception des patrons de la pointe bretonne. « 3h30, on s'en contente, mais ce n'est pas suffisant », note Jean-Paul Kerrien, président du Crédit Agricole 29 et d'Investir en Finistère. L'association travaille ce sujet depuis de nombreuses années. « On n'est pas au rendez-vous. Surtout que le gain de temps a été utilisé pour retarder le départ du matin. Or, ce qu'on souhaitait, c'était arriver plus tôt à Paris ! On nous l'a fait à l'envers. » Il espère que ces 3h30 ne sont qu'une première étape. « Avec 1h25 entre Paris et Brest et plus de deux heures de plus pour le Finistère, on risque d'accentuer encore l'écart entre Est et Ouest bretons ! »

Les patrons finistériens se sentent donc un peu oubliés mais hésitent à râler... une nouvelle fois. « On va dire qu'on est mécontents tout le temps... » Côté Medef 29, qui, à l'instar d'Investir en Finistère, a fait de la LGV un de ses chevaux de bataille, on reste également un peu dubitatif. « Le compte n'y est pas. Mais il faudrait de toute façon une réflexion plus globale. Quelle est l'opportunité de garder des gares en centre-ville par exemple ? Est-ce qu'une gare TGV à Landerneau ou à côté de l'aéroport ne serait pas plus judicieuse ? Avec une liaison vers le centre en tramway ou en TER ? », propose Stéphane Bidamant, président du syndicat patronal.

Des crispations briochines

Dans les Côtes-d'Armor, c'est la question des horaires, et surtout la suppression d'un certain nombre d'arrêts ou de rotations, qui cristallise un certain nombre de crispations. Le bassin de Guingamp se sent notamment lésé dans le nouveau cadrage imposé aux collectivités locales par la SNCF. Sur Saint-Brieuc, même si la ville en profite pour mener un vaste projet de requalification urbaine autour de la gare entièrement repensée, force est de constater que la prudence est de mise. « C'est une chance pour le territoire mais il ne faut pas que l'on concentre tous nos efforts, toute notre intention sur ce seul projet, précise Michel Baldasseroni, P-dg de l'agence Handirect et délégué départemental de l'association Produit en Bretagne. La LGV c'est bien mais je pense que l'enjeu de la généralisation de la fibre optique l'est tout autant ! » À quelques jours de la mise à 2h15 de Paris de la préfecture des Côtes-d'Armor, l'engouement des Briochins est d'ailleurs timide, que l'on soit patron, élu ou simple citoyen. « Le risque est de voir uniquement les trains passer sans que la foule de parisiens que les études nous promettent, ne s'arrête, préférant poursuivre vers le Finistère ou ayant bifurqué à Rennes pour rejoindre Saint-Malo, précise ce dirigeant d'entreprise industrielle. Pas sûr que les retombées économiques soient au rendez-vous ». Preuve de cet attentisme, les projets immobiliers tertiaires autour de la gare LGV de Saint-Brieuc sont aujourd'hui à l'arrêt. « Notre projet est en stand-by faute de demande, précise Philippe Guénot, P-dg de Commespace à Plérin qui avait racheté la friche Le Tinier Morin au sud de la gare. L'arrivée réelle du train à grande vitesse devrait décanter les choses. »

Payer le prix fort à Redon

D'autres chefs d'entreprises de territoires plus éloignés croient au contraire aux effets positifs de la LGV... mais pour les autres, pas pour eux ! « L'attraction de Rennes va être évidente, estime Jacques François, gérant d'Adeos à Redon et président de l'association des entreprises du Pays de Redon (ADPE). Mais à Redon, nous sommes pénalisés car le service TGV n'est toujours pas satisfaisant. Nos demandes n'ont toujours pas abouti ! Nous voudrions des arrêts supplémentaires pour pouvoir, nous aussi, nous rendre à Paris pour la journée, ou faciliter nos échanges internationaux, lorsque l'on doit prendre un avion à Roissy ou Orly. Souvent, je suis obligé de prendre un taxi Rennes-Redon, à 150 euros, pour rentrer le soir car il n'y a plus de train ! Si j'optais pour la voiture, c'est tout aussi impossible au regard de la saturation des parkings de la gare, et si je me stationne dans les rues de Rennes, j'ai une amende. Résultat, pour un Redonnais, cela coûte 75 à 100 euros de plus qu'à un Rennais pour aller à Paris, sans compter le temps perdu... »

Le Morbihan veut y croire

Dans le Morbihan, l'arrivée de la LGV suscite, elle, plutôt l'enthousiasme avec pas moins de trois arrêts à Vannes, Auray et Lorient. « Ce n'est pas rien de gagner 40 mn sur nos parcours vers Paris », avance Maryvonne Le Roch-Nocera, dirigeante de deux Intermarché et présidente du club TGV Morbihan. Toutefois, elle concède « que cette ligne n'est pas un coup de baguette magique pour le territoire. Moi dans mon quotidien de dirigeante, ce sera un plus. Des effets économiques, il y en aura à court terme et à long terme. » Au premier rang des effets TGV, elle pointe le tourisme, secteur clé de l'économie locale : « des packs ont été imaginés avec la possibilité d'arriver directement dans son logement où sa résidence secondaire. Le parc de Branféré a aussi imaginé des offres. Fun Breizh, une entreprise spécialisée dans l'incentive, intègre le billet dans ses offres de séminaires. » Localement, les premiers effets concernent aussi l'aménagement ou la construction de la nouvelle gare de Lorient. Avec un investissement de 60 millions d'euros pour la gare et la construction d'un nouveau quartier avec son habitat, ses commerces et bureaux, des retombées économiques sont émergentes. Ainsi Bertrand Hesnard, dirigeant du groupe d'hôtellerie-restauration Kolibri à Caudan a choisi d'investir massivement sur place. « Nous croyons beaucoup à ce projet et aux opportunités qui vont naître. Nous investissons 6 millions d'euros pour la construction d'un hôtel et d'un restaurant avec la création de 30 emplois. » Au Nord du Morbihan, des dirigeants pontivyens accueillent plutôt favorablement la LGV attestant que « ces 40 mn gagnées sont celles passées sur la route pour rallier la gare. » Au quotidien, ce qui pourrait changer la donne serait ce projet de nouvelle gare du Centre Bretagne qui, depuis La Brohinière (35), offrirait un cadencement TER pour se connecter à la LGV.

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